Tabac : un moratoire sur les prix pour sauver les buralistes ?

Le prix du tabac avoisine désormais en France les 13 euros le paquet. Face à la montée de la contrebande et à la chute des ventes légales, les buralistes appellent à un moratoire, redoutant un effondrement du réseau officiel.

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By Aurélie Giraud Published on 18 novembre 2025 11h33
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Un paquet à 13 euros et un marché parallèle du tabac en plein essor : les buralistes alertent. - © Economie Matin
4,3 MILLIARDS €Montant estimé du manque à gagner fiscal lié à la consommation de tabac non fiscalisé en 2023.

Depuis 2017, les fumeurs français voient leur budget tabac s’envoler. À chaque loi de finances, le prix du paquet augmente, censé décourager la consommation. Pourtant, selon les professionnels du secteur, cette stratégie tourne à vide : les ventes légales reculent, la contrebande explose, et les buralistes s’essoufflent. Réunis cette semaine à Paris, près du Sénat, les représentants de la profession ont tiré la sonnette d’alarme. Ils réclament une « pause » dans la politique de hausse des prix. Un moratoire, disent-ils, pour éviter que la France ne devienne le principal marché européen du tabac illégal.

Prix du tabac : le paquet frôle les 13 euros, une hausse continue depuis 2017

Le constat est simple : en huit ans, le prix moyen du paquet de cigarettes a bondi d’environ six euros. Il s’établit aujourd’hui autour de 13 euros, contre 7 euros en 2017. Cette hausse spectaculaire est directement liée à la politique de santé publique visant à réduire le tabagisme, mais elle entraîne désormais des effets pervers bien identifiés.

Les buralistes soulignent que cette stratégie pèse lourd sur la consommation légale sans réellement faire reculer le nombre de fumeurs. « Nous ne voulons pas d’un nouveau choc fiscal », alerte Serdar Kaya, président de la Confédération nationale des buralistes, cité par BFM TV. Il plaide pour « un moratoire sur le prix du tabac » afin de réduire les écarts de prix avec les pays voisins.

Lles hausses successives ont conduit à un écart d’environ cinq euros par paquet entre la France et certains pays frontaliers, une différence qui alimente un commerce parallèle florissant.

Les buralistes alertent sur l’explosion du marché parallèle

Lundi 17 novembre, plusieurs dizaines de buralistes ont manifesté près du Sénat, pour réclamer un moratoire avant l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Pour marquer les esprits, une benne remplie de cartouches de cigarettes a été déposée devant les grilles du jardin du Luxembourg. À l’intérieur, « environ 100.000 paquets, soit deux heures de vente sur le réseau illégal », a détaillé Serdar Kaya.

Ce chiffre symbolique illustre la colère de toute une profession. La Confédération nationale des buralistes, qui représente 22.800 commerces de proximité, dénonce un marché parallèle devenu incontrôlable. Selon Le Figaro, la part du tabac consommé en France échappant à la fiscalité nationale représenterait un manque à gagner de 4,3 milliards d’euros pour l’État.

Ce commerce illégal, nourri par les écarts de prix entre pays, pèse aussi sur la sécurité publique. Trafic de contrefaçons, reventes de rue et importations massives depuis la Belgique, le Luxembourg ou l’Espagne forment désormais un véritable écosystème clandestin. Les douaniers multiplient les saisies, mais peinent à contenir le phénomène.

Un amendement controversé, la peur d’un paquet à 25 euros

Dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), un amendement proposait récemment d’augmenter le prix du tabac de 10% par an jusqu’en 2032. À ce rythme, le paquet atteindrait 25 euros d’ici la fin de la décennie. Cette mesure a finalement été rejetée à l’Assemblée nationale. Mais les buralistes craignent qu’un amendement similaire soit présenté lors du passage du texte au Sénat.

« Nous avons échangé avec la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin. Le gouvernement a pris conscience de la situation », a déclaré Serdar Kaya. Selon lui, l’exécutif serait désormais opposé à toute nouvelle hausse hors inflation.

La ministre a d’ailleurs confirmé sa volonté de limiter les achats transfrontaliers en rétablissant « la règle d’une seule cartouche de cigarettes par personne franchissant une frontière intra-européenne », contre quatre actuellement. Une mesure saluée par les professionnels, qui y voient un moyen de freiner l’exode des consommateurs vers les pays voisins.

Un maillage territorial en danger

Derrière les chiffres, c’est tout un réseau économique qui vacille. Le bureau de tabac reste souvent le dernier commerce ouvert dans les villages et petites communes.

« Nous sommes le premier réseau de proximité de France », rappellent régulièrement les buralistes. En 2023, les ventes légales de tabac ont rapporté près de 13 milliards d’euros à l’État. Une baisse durable des ventes officielles aurait donc un double effet négatif : perte de revenus pour les commerçants et chute des recettes fiscales.

Selon nos confrères du Figaro, les professionnels craignent aussi une désertification économique locale, les clients du tabac représentant souvent le socle de la clientèle pour d’autres services (presse, loterie, paiement de factures).

Pour beaucoup, la hausse continue des prix n’est plus un outil de santé publique, mais un déséquilibre économique majeur.

Santé publique et économie : deux logiques qui s’entrechoquent

La politique tarifaire du tabac reste défendue par les autorités sanitaires, qui y voient un instrument efficace de dissuasion, notamment chez les jeunes.

Mais selon les buralistes, cette logique se heurte à la réalité sociale. Les catégories populaires, premières concernées par le tabagisme, sont aussi celles qui supportent le plus lourd fardeau financier. L’augmentation du prix du tabac, loin d’inciter à l’arrêt, conduit certains à se tourner vers des produits de contrebande, bien moins chers mais souvent de qualité douteuse.

Cette situation crée un paradoxe : une mesure censée protéger la santé publique renforce, en pratique, un marché illégal non contrôlé. Les professionnels appellent donc à un rééquilibrage entre santé et économie, sans renoncer à l’objectif de réduction du tabagisme mais en adaptant les moyens.

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Aurélie Giraud, juriste de formation, titulaire d'une maîtrise de droit public (Sorbonne, Paris I), est journaliste à Economie Matin, après avoir travaillé comme correctrice et éditrice dans l’édition.

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