Femmes de nos campagnes : emploi, solitude et charge invisible

Dans les campagnes françaises, les femmes vivent une réalité bien différente de celle des citadines. Isolement, faiblesse des services publics, difficultés d’emploi et surcharge parentale façonnent leur quotidien. Un récent rapport met en lumière ces inégalités territoriales, souvent invisibles, mais profondes et durables.

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By Adélaïde Motte Last modified on 8 décembre 2025 13h19
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Femmes de nos campagnes : emploi, solitude et charge invisible - © Economie Matin

En 2025, près d’un tiers des femmes françaises vivent en zone rurale. Leur vie quotidienne se distingue fortement de celle des femmes urbaines. L’éloignement géographique, la rareté des équipements, les transports limités et l’accès restreint aux services influencent profondément leurs trajectoires personnelles, familiales et professionnelles. Le mot-clé femmes prend ici une dimension territoriale essentielle. Le rapport de l’Institut Terram met en lumière une réalité encore peu prise en compte par les politiques publiques : la ruralité amplifie les contraintes, surtout pour les mères.

Femmes rurales à l’écart des services et de la vie sociale

Dans les territoires ruraux, l’accès aux services du quotidien relève souvent du parcours du combattant. Crèches, PMI, bibliothèques, maisons de quartier, centres médicaux ou lieux culturels se concentrent majoritairement dans les zones urbaines. Or, comme le souligne l’Institut Terram, « ce n’est pas tant le nombre d’équipements qui manque que leur accessibilité ». La distance transforme chaque démarche en déplacement lourd, coûteux et chronophage.

L’isolement devient alors structurel. Lorsque l’entourage familial est éloigné, les possibilités d’entraide disparaissent. Les occasions de sociabilité se raréfient. La solitude s’installe, non par choix, mais par contrainte territoriale.

Une insertion professionnelle plus fragile que dans les villes

Sur le terrain de l’emploi, l’écart entre femmes des villes et femmes des campagnes demeure marqué. Les femmes rurales exercent dans une grande diversité de métiers, mais leurs opportunités restent étroitement conditionnées par la rareté de l’offre locale. En 2022, on comptait plus de 118 000 femmes non-salariées agricoles. Mais cette réalité ne résume pas l’ensemble des situations. Beaucoup travaillent à temps partiel, cumulent plusieurs emplois ou renoncent à des carrières faute de solutions de garde compatibles.

Les chiffres confirment cette fragilité. Les femmes rurales inactives représentent 45 % de leur population, contre 38 % des hommes dans les mêmes territoires. L’écart est encore plus parlant sur le sentiment de sécurité économique : 53 % des femmes rurales déclarent ne pas s’y sentir en sécurité, contre 50 % des femmes urbaines. L’absence de bassins d’emplois proches, la dépendance à la voiture, le coût des déplacements et la rareté des postes qualifiés expliquent en partie ce décrochage.

Pour de nombreuses femmes, travailler signifie accepter des horaires décalés, des contrats précaires ou de longs trajets quotidiens. À l’inverse, rester sans emploi renforce la dépendance financière au conjoint et limite l’autonomie. Le choix est souvent contraint.

La charge quotidienne des mères rurales, entre logistique et solitude

Être mère à la campagne implique une organisation plus lourde qu’en ville. Le moindre rendez-vous suppose un déplacement en voiture. L’école, le médecin, les activités sportives ou culturelles ne se situent que rarement dans le même périmètre. Cette dispersion géographique crée une pression permanente sur les familles, et tout particulièrement sur les mères.

Le rapport met en évidence une réalité implacable : ce sont les femmes qui portent l’essentiel de cette logistique. Près de 87 % d’entre elles assurent les démarches administratives du foyer. Plus de 70 % accompagnent quotidiennement les enfants à l’école et près de 75 % gèrent les activités extrascolaires. Cette accumulation de tâches explique en grande partie la contraction de leur temps personnel.

Cette organisation pèse sur la santé mentale. Le manque de répit, l’isolement relationnel et la fatigue chronique s’installent durablement. À la différence d’une mère urbaine, une mère rurale dispose rarement d’alternatives immédiates pour souffler, confier ponctuellement ses enfants ou partager des temps sociaux.

Comme le résume Salomé Berlioux, « le territoire rural est, pour les femmes, un exhausteur d’inégalités ». La ruralité ne crée pas les déséquilibres, mais elle les intensifie mécaniquement.

Des politiques publiques encore mal adaptées aux réalités rurales

Les politiques d’égalité, de soutien à la parentalité et d’accès à l’emploi sont majoritairement pensées pour des territoires denses. Les dispositifs fonctionnent quand les services sont proches, quand les transports existent, quand les structures associatives sont nombreuses. Mais dans les campagnes, ces mécanismes s’adaptent mal aux contraintes du terrain.

Le phénomène est aggravé par une invisibilité statistique persistante. Les femmes rurales restent peu représentées dans les grandes enquêtes nationales, souvent noyées dans des catégories trop larges. Cette absence de données fines empêche la construction de politiques publiques sur mesure. Résultat : peu de crèches en zones rurales, peu de maisons de services, des solutions de mobilité insuffisantes et un accompagnement à l’emploi souvent déconnecté des contraintes familiales.

Pourtant, les besoins sont clairement identifiés : services de proximité, horaires compatibles avec la vie de famille, transports adaptés, structures multi-services accessibles sans longs trajets. Sans adaptation territoriale, les écarts entre femmes des villes et femmes des champs continueront de se creuser.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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