La domination des banquiers centraux s’effrite

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Par Nick Hubble Publié le 9 octobre 2018 à 5h59
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Les systèmes de prix administrés ne fonctionnent jamais. Les taux d’intérêt n’échappent pas à cette règle.

Si le gouvernement se mettait à fixer le prix du café ou du charbon, on saurait à quoi s’attendre : à une pagaille monstre.

On verrait des pénuries et des excédents, des problèmes de qualité, des pratiques commerciales contestables et des liens douteux entre politiciens et grands patrons.

Mais même ceux qui m’ont appris cela, même les politiciens qui ont mis en œuvre ces idées, n’ont jamais appliqué leur propre pensée politique au système des banques centrales – pourtant, il s’agit exactement des mêmes sortes de problèmes.

Si une institution publique contrôle le taux d’intérêt, on aura des pénuries et des excédents de dettes ; on aura des problèmes de qualité sous la forme de subprime et de renflouements de banques ; on aura des banquiers aux pratiques louches – comme par exemple des opérations en avance sur le marché (front running) de la part des banques centrales et de la manipulation des taux d’intérêt. C’est alors qu’apparaît le pouvoir politique des banques.

Je me demande bien pourquoi j’ai formulé ce paragraphe comme hypothèse. On voit déjà tout cela aux infos.

En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a critiqué la banque centrale avant même qu’elle ne prenne sa décision sur les taux d’intérêt. « Je n’ai jamais vu une seule prévision de la banque centrale concernant l’inflation s’avérer », a-t-il déclaré lors d’un discours à Ankara.

Ce qu’il a soutenu par la suite a complètement déconcerté les observateurs étrangers. Erdogan affirme que les taux d’intérêt élevés alimentent l’inflation – le contraire de ce que tout le monde pense. On pourrait le qualifier d’ignorant mais étant donné l’échec persistant des banquiers centraux pour atteindre leur cible d’inflation avec des taux d’intérêt bas, personne ne peut vraiment la ramener.

La livre turque a plongé à la suite du discours d’Erdogan. Mais quelques heures plus tard, la banque centrale turque a fait connaître sa décision de relever les taux d’intérêt de 17,75% à 24%, 3% de plus que ce à quoi s’attendait le marché. La livre a alors grimpé en flèche et gagné 5%.

Ceci est précisément le genre d’instabilité à laquelle on peut s’attendre lorsqu’une institution gouvernementale est aux manettes. Qu’il s’agisse des contrôles des taux de change, de la politique des taux d’intérêt ou de la politique de contrôle de la masse monétaire, la volatilité finit par frapper. Au lieu d’accuser la manipulation d’être à l’origine des problèmes, ceux qui manipulent accusent l’économie de marché.

Ce qui me ramène à mon propos initial. Il ne manque pas d’articles ces derniers temps à propos de ce qui a provoqué la crise financière. Je ne comprends toujours pas comment on peut accuser autre chose que les banques centrales.

Si une institution gouvernementale contrôle le prix de la dette, la quantité de dette, les règles sur les ratios d’endettement et la façon dont les banques peuvent fonctionner, comment diable peut-on accuser autre chose que les banques centrales et les gouvernements d’être à l’origine des crises ? C’est la partie la plus régulée de l’économie mondiale qui a provoqué une crise en 2008, et pourtant c’est l’économie de marché qu’on accuse…

Mais revenons à ce que les banquiers centraux ont fait ces derniers temps.

Mark Carney de la Banque d’Angleterre a accepté de rester à son poste jusqu’en 2020. Avoir des « Remainers » dans le gouvernement pour faire accoucher le Brexit ne suffit pas. Il en faut également un à la Banque d’Angleterre, une institution qui historiquement s‘est toujours montrée sceptique vis-à-vis de l’Europe – mais ça c’était avant.

Petite remarque : le mandat de l’actuel président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, prend fin en octobre 2019. Il est donc tout à fait qualifié pour remplacer Carney lorsque le temps viendra…

La dernière prévision de Carney au sujet du Brexit – et qui prouve à quel point les banquiers centraux sont partisans de la confiance – est la chute du marché immobilier. Vu que j’essaie désespérément de m’installer à Londres, ma première réaction a été de penser que cela arrangerait bien mes affaires. Que les locataires britanniques puissent louer à des prix abordables me semble être une bonne idée.

Le problème est que cela détruirait de grandes quantités de richesses et laisserait sous l’eau de nombreux propriétaires immobiliers, comme l’a soigneusement souligné Carney. Mais pourquoi les prix immobiliers sont-ils devenus inabordables au point que la demande britannique ne puisse les soutenir ?

Serait-ce à cause de la politique monétaire de Carney ? Il contrôle les taux d’intérêt, qui déterminent l’accessibilité de la dette utilisée pour acheter des biens immobiliers…

Oui, l’offre immobilière est également d’une importance essentielle. Elle est aussi contrôlée par des institutions publiques…

Par conséquent, l’offre et la demande de biens immobiliers est déterminée par des institutions publiques. Mais la banque centrale et l’administration publique accusent le Brexit de mettre en danger les prix de l’immobilier !

Si Carney s’inquiète pour l’économie britannique, il devrait encourager le Brexit. Parce que la BCE met en danger la Zone euro et par conséquent une grande partie de l’UE, comme nous le verrons plus loin.

L’Europe peut-elle survivre ?

Avec la fin annoncée en décembre prochain de l’assouplissement quantitatif (QE) de la BCE, la question se pose du réinvestissement. La BCE ayant acheté d’énormes quantités d’obligations, elle ne peut se contenter de les laisser arriver à échéance et de prendre le cash. Elle doit réinvestir cet argent afin de maintenir la stabilité. Mais réinvestir dans quoi ?

La première variable est la maturité. La BCE achètera-t-elle des obligations d’État à court ou à long terme ? A deux ans ou à 30 ans ? Sa décision influera sur le taux d’intérêt que les États doivent payer sur différentes échéances.

Depuis 1961, les banques centrales utilisent cette variable pour contrôler et manipuler l’économie. On appelle cela une opération twist parce qu’elle déforme la courbe de rendement – un graphique montrant différents taux d’intérêt payés pour les bons du Trésor de maturités différentes. Rendre la dette long terme meilleur marché est censé encourager la croissance.

La seconde variable est de savoir si la BCE réinvestira la dette arrivant à échéance dans les obligations des mêmes pays. A ce sujet, les règles ne sont pas très claires. La BCE doit-elle conserver la même clé de répartition du capital ? Peut-elle se contenter de réinvestir les rendements des obligations allemandes dans la dette italienne arrivant à échéance ?

Ce qui est clair en revanche, c’est le niveau de dépendance des gouvernements vis à vis du financement de la BCE. Sans l’argent que la BCE a investi dans leurs obligations au cours des 10 dernières années, à quoi ressembleraient les taux d’emprunt des pays du sud de l’Europe ?

C’est ce que nous allons bientôt voir, d’après les lignes directrices de la BCE :

« […] après septembre 2018, le Conseil des Gouverneurs de la BCE réduira le rythme mensuel des achats d’actifs à 15 milliards d’euros jusqu’à fin décembre 2018. Il anticipe que, sous réserve que les données à venir confirment les perspectives d’inflation à moyen terme, les achats nets prendront alors fin. »

Naturellement, cela arrive juste au moment où le budget du nouveau gouvernement italien nécessite de l’argent. Et on s’attend à ce qu’il augmente ses emprunts.

On entend déjà les premières rumeurs à propos du débat sur le budget italien. Le ministre des Finances aurait menacé de démissionner car il se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume.

D’une façon ou d’une autre, Giovanni Tria doit réconcilier le Mouvement 5 Etoiles, la Ligue du Nord, les marchés obligataires et l’UE avec son budget, et il en a assez qu’on l’accuse d’être incapable de trouver un compromis. Il se dit aussi que le M5E aurait menacé de le virer – même si Tria et d’autres nient toutes menaces ou désaccords violents.

Les Italiens savent clairement où est le problème : la banque centrale – au moins ils s’en sont rendus compte. Ils savent que les rendements italiens sont sous le contrôle de la BCE. Par conséquent, une hausse des rendements est nécessairement une manipulation politique.

C’est là un moyen pratique de manipuler des demi-vérités. La BCE n’est intervenue que pour temporairement sauver l’Italie. Elle tente à présent de restaurer des conditions normales. Accuser la BCE pour les doses progressives de réalité que capte le gouvernement italien est quelque peu fallacieux. Mais avant de devenir sympathique, pensez que ceci est exactement la suite typique des événements. « Rien n’est aussi permanent qu’un programme public temporaire, » a dit Milton Friedman.

Il est déprimant de voir des banquiers centraux faire les mêmes erreurs qu’avaient faites ceux qui s’occupaient de nos tableaux de rationnement et de nos industries nationalisées.

Mais les choses deviennent cocasses car, face aux conséquences de leurs propres erreurs, ils n’endossent jamais leurs responsabilités. Ils n’admettent pas non plus que la seule solution est d’abandonner leurs pouvoirs et leurs ingérences. Selon eux, une intervention et une règle supplémentaire résoudront les problèmes créés par les interventions et les règles précédentes.

L’UE et la Zone euro continuent à suivre la route de l’interventionnisme. Toutefois, ce qui est nouveau, c’est la capacité des gouvernements nationaux à s’opposer à cela. En général, ce sont ces gouvernements nationaux qui imposent leurs problèmes.

Si le pouvoir et la légitimité des gouvernements nationaux peuvent être utilisés pour lutter contre l’interventionnisme de l’UE et de la Zone euro, peut-être verrons-nous un dénouement se produire.

Malheureusement, du fait de l’accumulation de la dette encouragée par les banques centrales, un dénouement impliquerait une crise financière majeure.

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Diplômé de la prestigieuse université Bond en Finance, Economie et Droit, Nick Hubble est aujourd'hui chroniqueur pour différentes publications financières en ligne telles que "The Daily Reckoning Australia" et "The Money Life Letter".

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