Mal-logement en France : le rapport alarmant de la fondation Abbé Pierre

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Par Patrick Doutreligne Publié le 31 janvier 2014 à 12h25

L’année 2013 a été riche en mesures concernant le logement. Un foisonnement de textes qui marque l’importance accordée à la question et traduit la volonté de la traiter de manière plus globale, notamment par l’inscription de la dimension sociale de la politique du logement dans une perspective plus large de révision des orientations générales de la politique de l’habitat. Autant de textes qui correspondent à l’enjeu que représente le logement pour nos concitoyens et qui soulignent la place qu’il occupe dans l’action gouvernementale.

La Fondation Abbé Pierre s’en félicite et salue l’adoption de mesures structurelles au cours de la 2e année de mandat du Gouvernement. Elle ne peut toutefois attendre qu’elles produisent leurs effets, de sorte que des réponses rapides doivent être apportées aux ménages en grande précarité. Il importe de préciser le point de vue adopté par la Fondation Abbé Pierre pour forger son jugement. Plus qu’au programme d’action gouvernementale, nous nous référons au Contrat social pour une nouvelle politique du logement signé par l’actuel Président de la République alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle et, surtout, à l’évolution de la situation économique et sociale qui forge les besoins, ainsi qu’à la situation du marché immobilier et à l’état de l’offre de logement et d’hébergement, qui dictent les conditions dans lesquelles on y accède. De ce point de vue, la situation demeure préoccupante, en particulier du fait de la dégradation de l’emploi qui s’est poursuivie tout au long de l’année 2013. Le chômage continue son inexorable progression (5,5 millions de personnes pointent à Pôle emploi, soit 2 millions de plus qu’en 2008) et le « travail en miettes » gagne du terrain (la part des embauches en CDD, surtout de très courte durée, atteignait 82,4 % début 2013, niveau le plus élevé depuis dix ans2).

La crise a par ailleurs engendré une forte hausse de la pauvreté. Entre 2008 et 2011 (dernière année pour laquelle nous disposons d’informations), le nombre de personnes pauvres a augmenté de 890 000 personnes et la pauvreté touche désormais 14,3 % de la population française. Un Français sur sept doit donc vivre avec moins de 977 euros chaque mois. Les alertes en provenance des acteurs de terrain sont tout aussi inquiétantes : qu’il s’agisse de la progression des dépenses départementales d’action sociale, de l’augmentation du nombre de sollicitations auprès des associations de solidarité ou des CCAS (qui ont été 77 % à observer une augmentation globale des demandes d’aides en 2013, avec le logement comme premier motif de demande d’aides financières). Cette forte augmentation de la pauvreté s’accompagne d’une hausse des inégalités. Les ménages les plus pauvres voient leur pouvoir d’achat reculer, alors que celui des plus riches progresse.

En 2010, les 10 % les plus riches possédaient 48 % du patrimoine, alors que les 50 % les moins riches n’en détenaient que 7 %. À l’évidence, les effets de la crise sont très inégalement répartis et touchent d’abord les plus modestes et les plus pauvres de nos concitoyens. Ainsi, la marge de manoeuvre financière des ménages s’amoindrit ; et le phénomène est accentué par la hausse des loyers (environ un locataire du secteur libre sur 5 consacre aujourd’hui plus de 40 % de son revenu à son logement) et des prix de vente (qui ont doublé en 10 ans). Les restrictions et la précarité énergétique progressent (3,8 millions de ménages), et la demande de logement social continue d’augmenter pour atteindre plus de 1 700 000 demandes actives au 1er septembre 2013. C’est dans ce contexte que se déploient les nouvelles orientations de la politique du logement en France, et c’est à l’aune de leur capacité à prendre en compte cette réalité sociale de plus en plus inégalitaire et à limiter les effets de la crise pour les plus fragiles, que celles-ci doivent être jugées.

UNE POLITIQUE DU LOGEMENT PLUS SENSIBLE AUX BESOINS, MAIS LA CRAINTE D’UNE DILUTION DES PRIORITÉS SOCIALES

Depuis un quart de siècle, le déficit de la construction constitue un des facteurs majeurs de la crise du logement que la France connaît. L’inadaptation de l’offre émanant du parc existant en est une autre composante, d’autant plus préoccupante que la situation des ménages continue à se dégrader.

Quelle priorité au logement abordable dans les objectifs de production de logements ?

Il faut se réjouir de l’ambition affichée par le Gouvernement de favoriser la construction de 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux. Des objectifs ambitieux qui sont toutefois loin d’être atteints puisque un peu plus de 330 000 logements devraient être mis en chantier et 117 000 logements sociaux ont été financés en 2013 (un chiffre en hausse de 14 % par rapport à 2012). Plusieurs mesures ont été prises cette année pour relancer la production sociale. La « mise à disposition » de terrains publics aux collectivités locales pour favoriser la construction de logements sociaux se fait lentement, mais les décotes sont réelles (comprises entre 25 % et 75 % du prix des terrains, selon le nombre de logements sociaux prévus).

La promesse de campagne du Président de la République de porter l’obligation de construction de logements sociaux dans les « communes SRU » de 20 % à 25 % a été tenue, et commencera à être mise en oeuvre en 2014 pour une échéance portée à 2025. La loi du 18 janvier 2013 encadre d’ailleurs mieux cette obligation en ouvrant la possibilité de quintupler le montant du prélèvement sur les communes en carence, en ajoutant des contraintes de production de PLS et de PLAI et en fixant le rythme de rattrapage pour les quatre prochaines périodes triennales.

D’autres mesures sont venues améliorer le financement du logement social, qu’il s’agisse de la TVA à taux réduit (5,5 %) pour la construction et la réhabilitation thermique, de la baisse du taux du Livret A et de l’augmentation de son plafond pour faciliter le financement des opérations et mobiliser des ressources supplémentaires pour le logement social... Indéniablement, des éléments de relance sont là.

Et le Pacte d’objectifs et de moyens signé le 8 juillet 2013 entre l’État et l’USH acte d’engagements réciproques pour atteindre les objectifs de construction et de rénovation en 2015, dont la Fondation Abbé Pierre souhaite vivement qu’ils soient tenus. Tout comme elle souhaite que les organismes Hlm soient pleinement au rendez-vous dès 2014 au regard des efforts consentis à leur égard. Principales ombres au tableau sur le volet du financement du logement social, et elles sont d’importance : la diminution de la ligne fongible des aides à la pierre et à la surcharge foncière inscrite au budget de l’État pour 2014, qui passe de 500 millions d’euros en 2013 à 450 millions d’euros en 2014 (soit une baisse de 10 %), et le recours à des ressources extrabudgétaires limitées dans le temps.

Au-delà des objectifs quantitatifs, disposer d’un logement abordable, c’est-à-dire accessible et d’un coût compatible avec les ressources des ménages — y compris des plus modestes —, est plus que jamais un impératif. Or, les logements sociaux restent souvent trop chers et le décalage entre une partie des loyers des logements sociaux neufs et les ressources des demandeurs est devenu préoccupant. Il ne faut pas oublier que la hausse de la production ces dix dernières années tient beaucoup à l’offre « PLS » et que ces logements, inaccessibles pour la quasi-totalité des demandeurs, représentent encore près d’un tiers de l’objectif de production annuelle des 150 000 logements sociaux jusqu’en 2017.

Certes, la ministre du logement a lancé un programme de production de « logements très sociaux à bas niveau de quittance », lequel répond à une attente forte des associations pour faire évoluer l’accessibilité financière du logement social. Mais son ambition reste limitée comparée aux besoins (3 000 PLAI adaptés et en diffus en 2015) et, au final, on est encore loin des préconisations du rapport préparatoire au Plan quinquennal de lutte contre la pauvreté9 : un minimum de 40 % de PLAI dans la production sociale globale et une production PLUS sous les plafonds pris en compte pour l’APL d’ici la fin du plan quinquennal.

Pour lire l'intégralité du rapport, veuillez cliquez-ici

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Directeur Général de la Fondation Abbé Pierre.

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