Dans la gestion de l’eau, les tenants du public et du privé toujours à couteaux tirés

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Par Michel Delapierre Modifié le 24 janvier 2017 à 11h04
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Depuis une quinzaine d’années, la France connaît un phénomène de retour à la gestion publique dans le secteur de l’eau.

A l’instar de villes comme Paris, Nice ou Montpellier, plus de 400 collectivités locales en France auraient ainsi repris en mains leurs services d’eau et d’assainissement. C’est peu au regard de l’ensemble de la France, 34 000 services dédiés, mais le phénomène poursuit sa lente ascension.

Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), au début des années 2000, via des contrats de Délégations de Service Public (DSP), les groupes privés détenaient 70% du marché. On est aujourd’hui passé sous les 60%. Pour le modèle public, c’est une croissance de 1,5 à 2% par an.

Croissance des régies

On ne peut donc pas parler de révolution mais les régies continuent de grignoter des parts de marché aux grands opérateurs privés, Veolia, Suez, Saur. Suffisamment pour que ces derniers prennent la menace au sérieux en proposant aux collectivités de nouveaux types de partenariats. Veolia fait désormais la promotion de « sociétés dédiées », tandis que Suez met en avant un modèle de gestion hybride public-privé.

D’autant que sous l’impulsion de changements législatifs récents, un grand nombre de contrats ont été ou vont devoir être renégociés. Après l’arrêt Olivet en 2015, qui a obligé les collectivités à mettre un terme aux contrats de plus de 20 ans, c’est actuellement l’entrée en vigueur la loi NOTRe qui modifie en profondeur le secteur en transférant la compétence eau et assainissement de la commune à l’échelon intercommunal.

Les partenariats hybrides en question

A la Fédération des Entreprises Publiques Locales (FédEPL), on ne s’emballe pas sur la tendance au retour en régie. Selon la FedEPL, il existe avant tout une volonté très forte de la part des collectivités de participer plus étroitement à la gouvernance de leurs services. Or, cela ne passe pas forcément par un retour à une régie publique. Il existe d’autres formes de gestion, comme les sociétés publiques locales (SPL) ou les SEMOP (sociétés d’économie mixte à opération unique), modèle actuellement porté par le groupe Suez.

Créée en 2010, la SPL dont le capital est entièrement public, permet aux collectivités de gérer leurs services avec la souplesse d'une gestion privée. Il en existe une quinzaine en France, à Brest, Rennes, Angoulême, Grenoble ou Aubagne pour les plus connues. Dans le cadre d’une SPL, la collectivité peut toujours faire appel à une société privée pour la gestion de son eau mais cette dernière n’est plus délégataire, elle est uniquement sous-traitante. Et cela fait une grosse différence car les contrats sont moins longs, moins chers et régulièrement révisables.

Créée en 2014, la SEMOP, bénéficie d’un capital mixte public-privé et permet à l’investisseur privé d’être actionnaire majoritaire. La collectivité choisit donc un opérateur non seulement sur les conditions d’exécution des contrats mais également sur sa capacité à être actionnaire. Pour les promoteurs de ce modèle, l’objectif est clair : remettre de la gouvernance publique dans la gestion de l’eau tout en gardant l’expertise privée.

C’est en 2015, à Dole dans le Jura que fut créée la première SEMOP en partenariat avec le groupe Suez. D’autres communes ont suivi: La Seyne sur Mer dans le Var, Sète dans l’Hérault. Il y aurait aujourd’hui une vingtaine de projets similaires en France.

Toutefois, pour les défenseurs de la gestion publique, la SEMOP est loin d’être un modèle aussi clair qu’on ne le laisse entendre.

Ils estiment ainsi que ce modèle ne donne que l’illusion du pouvoir aux élus. Tout simplement parce que la collectivité est actionnaire minoritaire et qu’un minoritaire n’impose jamais ses vues au majoritaire. La collectivité bénéficiera, tout au plus, d’une capacité de blocage mais la réalité du pouvoir restera à l’opérateur privé.

Les collectivités pourraient également être confrontée à des choix douloureux : que feront-t-elles si l’opérateur décide d’augmenter ses tarifs en raison de problématiques non prévues à la signature du contrat ? Seront-t-elles engagées au prorata de leur capital si la SEMOP est déficitaire ?

Les risques de contentieux sont réels, tout comme les conflits d’intérêts potentiels.

La délégation de service public toujours sous le feu des critiques

De son côté, le leader mondial Veolia reste fidèle au modèle privé de la Délégation de Service Public mais insiste sur le fait qu’il met désormais en place des « sociétés dédiées ». En clair, ces sociétés sont distinctes de la maison mère et n’en supportent plus les frais associés.

Pour les partisans de la gestion publique, c’est argument ne tient pas la route car il n’apporte aucune garantie nouvelle par rapport à la situation antérieure. Pour eux, le principal problème de la DSP reste l’opacité de la gestion et la proximité entre les élus et les représentants du privé. Or, sur ce point, aucun changement n’est esquissé.

Et de prendre exemple sur les récents déboires de la SEMM (Société des Eaux de Marseille Métropole), filiale du groupe Veolia dont le contrat pour la gestion des eaux de Marseille a été renouvelé en 2013. Deux ans plus tard en 2015, le parquet financier national ouvrait une enquête pour favoritisme, prise illégale d'intérêts, complicité et recel de ces délits autour des quatre marchés de la distribution de l'eau et de l'assainissement de la métropole.

Outre cette enquête toujours en cours, Bernard Mounier, président de Eau Bien Commun, insiste sur l’extrême difficulté à récupérer des informations concernant l’exécution du contrat. Il met notamment en exergue l’opacité qui entoure une multitude de questions relativement techniques : la facturation des compteurs, les comptes sur les travaux de renouvellement du réseau, les frais de mutualisation à la maison mère, les rapports annuels du délégataire, le faible capital social de la société, le nombre exact de personnes facturées en équivalents temps plein, les procédures de pénalités, les politiques d’intéressement, les emprunts, autant de sujets complexes qui ne sont jamais clairement exposés selon lui.

Loi NOTRe, des changements à prévoir

Concernant le futur de la gestion de l’eau en France, il est pour l’instant difficile de savoir si la tendance au retour en régie se poursuivra ou sera stoppée. La situation se dessinera clairement d’ici 3 ou 4 ans lorsque toutes les nouvelles autorités compétentes auront fait leur choix. Mais avec la loi NOTRe, c’est un véritable chamboulement dans la gestion de l’eau et de l’assainissement qui s’annonce et qui risque de couter cher au modèle de gestion public.

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