Derrière les ambitions climatiques de l’Accord de Paris, une transformation économique mondiale s’est amorcée depuis dix ans. Transitions industrielles, investissements massifs, tensions Nord-Sud : le climat est devenu un paramètre clé de la croissance. Mais à quel prix et avec quels retours ?
Finance verte, inégalités : que reste-t-il de l’Accord de Paris 10 ans après ?

Adoptés le 12 décembre 2015 lors de la COP21, l'Accord de Paris a placé la lutte contre le changement climatique au cœur de l’agenda international. En visant à limiter le réchauffement sous +2 °C, ils ont déclenché une réorientation progressive de la finance mondiale, des modèles de production et des politiques publiques, au croisement des enjeux climatiques et économiques. Dix ans plus tard, l’heure est au bilan, entre coûts d’inaction, promesses non tenues et chantiers inachevés. L'Accord de Paris n'est plus un texte diplomatique : il est devenu une ligne budgétaire planétaire.
Une décennie d’investissements mais des flux inégalement répartis
Depuis 2015, la transition énergétique a entraîné une mobilisation financière sans précédent. Pour soutenir l’effort, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an en faveur des pays en développement d’ici 2020. Pourtant, « ce montant n’a été atteint qu’imparfaitement, et souvent sous forme de prêts », selon Décideurs Magazine. Une carence qui pèse lourd sur les économies les plus vulnérables, alors même qu’elles sont les moins responsables des émissions historiques.
Ce déséquilibre a alimenté un ressentiment croissant entre Nord et Sud, visible lors des dernières COP. Les mécanismes de compensation carbone, la taxation du transport maritime ou les fonds d’adaptation climatique n’ont pas suffi à rééquilibrer les capacités d’action. Selon l’OCDE, « l’accord entre dans une phase critique où sa crédibilité est testée dans un contexte géopolitique difficile ».
Dans les économies avancées, en revanche, les investissements verts ont parfois soutenu la croissance. En Europe, les plans de relance post-COVID ont intégré d’importants volets climatiques. L’industrie automobile, le secteur énergétique ou encore l’agriculture de précision ont vu émerger de nouveaux champions économiques, souvent soutenus par la commande publique.
Des secteurs en transition, d’autres à la traîne
Si certaines filières ont su profiter de la dynamique impulsée par l'Accord de Paris, d’autres peinent à engager leur mutation. Les énergies fossiles restent dominantes dans de nombreux pays émergents, et les incitations fiscales en faveur du charbon, du pétrole ou du gaz naturel demeurent parfois supérieures aux subventions aux renouvelables.
En parallèle, la croissance des émissions mondiales s’est ralentie sans pour autant inverser la tendance. Malgré une inflexion observée, notamment en Europe et dans certains États américains, la planète reste éloignée de la trajectoire nécessaire pour contenir le réchauffement. Comme le rappelle le CNRS, il faudrait réduire les émissions mondiales de 42 % d’ici 2030 pour espérer rester sous le seuil de +1,5 °C. Les engagements actuels permettraient tout au plus une baisse de 12 % d’ici 2035, selon Earth.org.
Dans ce contexte, les coûts économiques de l’inaction deviennent de plus en plus visibles : pertes agricoles liées aux sécheresses, destructions d’infrastructures causées par les événements extrêmes, migrations climatiques… L’inaction représente déjà plusieurs points de PIB perdus pour certains États insulaires ou africains.
Climat : catalyseur de conflits économiques et levier d’innovation
Au-delà des tensions géopolitiques, l'Accord de Paris ont révélé la dimension conflictuelle de la transition. L’enjeu climatique redistribue les cartes du commerce mondial, des brevets technologiques, et des normes environnementales. Certaines économies tentent d’ériger des barrières écologiques — taxes carbone aux frontières, conditionnalités vertes — qui peuvent renforcer les déséquilibres.
Pourtant, de nombreuses entreprises ont perçu l'Accords de Paris comme un cadre d’innovation. La finance verte — obligations climatiques, ESG, mécanismes de compensation — a connu une expansion rapide, bien que partiellement encadrée. Selon Public Sénat, Laurent Fabius, ancien président de la COP21, continue de considérer le texte comme un « pilier fondamental de l’action contre le réchauffement climatique ». Mais il appelle à un sursaut : « Si on n’agit pas pour des raisons altruistes, il faut agir par égoïsme éclairé », a-t-il déclaré.
La COP30, qui s’est tenue à Belém (Brésil), a marqué ce tournant. Elle a vu l’émergence d’alliances économiques sud-sud sur les minerais critiques, les technologies solaires ou encore les infrastructures résilientes. Ce rééquilibrage progressif reste fragile, mais pourrait annoncer un changement de paradigme.
Les marchés face à l’urgence climatique
Alors que l’année 2025 est annoncée comme l’une des plus chaudes jamais enregistrées, les marchés financiers prennent conscience du risque systémique que représente le climat. Les agences de notation intègrent désormais les risques physiques et de transition dans leurs évaluations. Les banques centrales, quant à elles, intensifient la pression réglementaire pour aligner les portefeuilles avec les objectifs climatiques.
Ce réveil tardif pourrait toutefois s’avérer décisif. La décennie à venir s’annonce comme celle du passage à l’échelle des politiques bas-carbone. Mais le pari économique de l'Accords de Paris ne pourra être gagné que si les arbitrages budgétaires, fiscaux et industriels suivent l’ambition affichée.