Aliments d’origine végétale : bons pour la santé et l’environnement

Pour lutter contre l’obésité et le changement climatique, il faut changer les habitudes alimentaires, d’après Éric Lambin, membre du Groupe de conseillers scientifiques principaux de la Commission européenne.

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Par Horizon Publié le 6 novembre 2023 à 5h00
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20%Les dépenses alimentaires coûtent 20% du budget mensuel d'un ménage.

La santé humaine est inextricablement liée à l’alimentation et à l’environnement. La situation est devenue urgente dans ces trois domaines partout dans le monde, et donc en Europe.

Le système alimentaire actuel est mauvais pour la santé puisqu’il contribue à l’obésité et détruit l’environnement, notamment en provoquant des émissions de gaz à effet de serre et une perte de biodiversité.

Face à ces enjeux et à ces défis ambitieux, Horizon Magazine va diffuser d’ici fin 2023 une série de cinq articles sur l’«alimentation durable». L’objectif est de mettre en avant les améliorations fondamentales qui pourraient être apportées dans ce domaine, notamment avec l’aide de la recherche et de l’innovation.

Dans l’article d’aujourd’hui, le premier de la série, nous entrons dans le vif du sujet avec un entretien avec Éric Lambin, professeur de géographie et de sciences du développement durable à l’Université catholique de Louvain en Belgique.

M. Lambin est également membre du Groupe des conseillers scientifiques principaux (GCSA) de la Commission européenne, qui a publié en juin 2023 un Avis scientifique intitulé «Vers une consommation alimentaire durable». L’avis a été demandé par Stella Kyriakides, commissaire européenne en charge de la santé et de la sécurité alimentaire.

Les prochains articles de la série se concentreront sur les changements de régime alimentaire, les systèmes alimentaires urbains, le microbiome et le rôle de la législation.

1. Alimentation, santé et durabilité sont liées depuis des milliers d’années. Pourquoi devrait-on y accorder une attention particulière aujourd’hui?

Nous sommes actuellement confrontés à une crise de santé publique, avec des problèmes généralisés de surpoids, d’obésité et de malnutrition, et à une crise environnementale mondiale.

Aujourd’hui, l’élevage est responsable de plus de 14 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, soit plus que les émissions de l’ensemble des automobiles et des camions du monde entier. La production de viande, et en particulier de bœuf, favorise le changement climatique directement, en raison des émissions de méthane qu’elle génère, et indirectement en entraînant la transformation de forêts tropicales en pâturages et cultures destinées à la production de nourriture pour animaux. Outre le fait qu’elle augmente les émissions, cette transformation des forêts entraîne également une perte de biodiversité. Nous nous imaginons que la plupart des champs que nous voyons sont des cultures destinées à la consommation humaine, alors qu’en réalité les deux tiers des terres agricoles de la planète sont des pâturages et que 40 % des terres cultivées dans le monde sont destinées à l’alimentation animale.

Pour remédier à cette situation, notre Avis scientifique appelle à opérer des changements à l’échelle du système.

2. Concrètement, en quoi consisterait un système alimentaire plus durable?

La plupart des Européens devraient manger plus de produits d’origine végétale car, bien souvent, leur alimentation est trop riche en viande et en produits laitiers, lesquels ont une empreinte environnementale bien plus importante que les aliments d’origine végétale.

Pour évoluer vers une alimentation plus saine et plus durable, il est recommandé de consommer plus de légumineuses, de fruits, de légumes, de noix et de graines et moins de viande (notamment de viande rouge et transformée), moins d’aliments riches en graisses saturées, en sel et en sucre, moins d’encas de faible qualité nutritionnelle, ainsi que moins d’aliments ultra-transformés, de boissons sucrées et de boissons alcoolisées.

Pour ce qui est des aliments d’origine animale, nous devrions consommer en priorité du poisson et des fruits de mer issus de sources durables.

Nous devons également réduire le gaspillage alimentaire afin d’éviter de consommer inutilement des ressources pour cultiver, récolter, transporter et emballer des denrées alimentaires qui finissent à la décharge.

3. Quel rôle l’UE peut-elle jouer pour garantir une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement?

L’Avis scientifique recommande d’axer les mesures politiques visant à obtenir un changement de comportement de la part des consommateurs sur l’ensemble de «l’environnement alimentaire». Celui-ci regroupe tous les lieux dans lesquels les consommateurs se procurent leur nourriture, mangent et discutent de leur alimentation.

Les mesures politiques doivent donc s’adresser non seulement aux consommateurs, mais aussi aux fournisseurs, producteurs, fabricants, distributeurs et détaillants du secteur agro-alimentaire. Les compétences nécessaires pour accélérer la transition vers une alimentation plus durable et plus saine se répartissent sur tous les niveaux de gouvernance, de l’UE jusqu’aux États membres, en passant par les régions et les municipalités.

L’UE peut définir des lignes directrices, adapter les subventions, développer des labels, étendre son système actuel de tarification du carbone et encourager les États membres à agir à leur niveau.

4. Quelles sont les actions de l’UE préconisées par le GCSA dans ce domaine?

L’UE devrait adopter plusieurs politiques complémentaires fondées sur la tarification, l’information et la réglementation.

Les aliments sains et durables devraient être le choix le plus simple et le plus économique. Les États membres de l’UE devraient mettre en place de nouvelles mesures incitatives, notamment en réduisant la TVA sur les fruits et légumes, et des mesures dissuasives comme des taxes sur la viande et le sucre.

La diffusion d’informations fiables sur les conséquences environnementales et sanitaires des différents aliments encourage les consommateurs à prendre des décisions saines et durables. Ceci passe par une éducation alimentaire, par des recommandations nutritionnelles nationales et par l’apposition d’étiquettes sur les emballages.

De nouvelles mesures politiques devraient également rendre les régimes alimentaires sains et durables plus facilement disponibles et accessibles. Cela signifie, par exemple, mettre en avant les produits sains dans les rayons des points de vente.

5. Quel est le rôle de l’avis scientifique, notamment celui du GCSA, dans les décisions politiques?

Les conseils scientifiques encouragent des prises de décision fondées sur des données probantes car elles analysent les résultats scientifiques disponibles sur un sujet donné, en se fondant sur des données scientifiques de haute qualité.

Les conseillers scientifiques jouent le rôle d’intermédiaires entre la science et la politique. Ils doivent prouver leur sérieux en suivant un processus d’analyse des preuves à la fois transparent et impartial. Le GCSA travaille en étroite collaboration avec le consortium Science Advice for Policy by European Academies (SAPEA). Le consortium rassemble des groupes multidisciplinaires réunissant les meilleurs experts européens sur les sujets sur lesquels le Collège des commissaires a besoin d’un avis.

Sur des sujets tels que les systèmes alimentaires, soumis à l’influence d’intérêts particuliers puissants, il est essentiel de formuler des recommandations indépendantes et fondées sur des données scientifiques.

6. Comment les consommateurs peuvent-ils contribuer au changement? 

Les consommateurs peuvent contribuer au changement en prenant des décisions d’achat éclairées et conformes à leurs valeurs.

Toutefois, les modèles de changement comportemental reconnaissent que la motivation ne suffit pas à elle seule à modifier les comportements alimentaires. Les consommateurs doivent aussi avoir la capacité et la possibilité d’adopter de nouveaux comportements.

Les comportements des consommateurs sont influencés à la fois par des facteurs personnels, comme leurs préférences gustatives, leurs attitudes et leurs connaissances, et par des facteurs externes, principalement le prix, l’information et les normes sociales et culturelles.

Un travail doit être fait sur l’ensemble de ces facteurs. D’où la nécessité d’adopter un ensemble de mesures diversifiées et complémentaires ciblant l’ensemble de l’environnement alimentaire.

7. Quel devrait être l’équilibre entre commerce alimentaire international et local?

Il est prouvé que les aliments produits en local ne sont pas toujours plus durables que ceux qui sont importés. À titre d’exemple, certains légumes cultivés sous serre en Europe peuvent consommer davantage d’énergie que les légumes cultivés en Afrique.

Cependant, pour promouvoir une consommation durable, l’UE pourrait limiter les importations de denrées alimentaires provenant de régions dans lesquelles la production alimentaire occasionne d’importants dommages environnementaux. C’est le cas, par exemple, des aliments provenant d’écosystèmes présentant une grande biodiversité et une forte densité de carbone, des cultures gourmandes en eau produites dans des zones où l’eau manque et des fruits de mer provenant de stocks gérés non durablement.

Certaines de ces restrictions sont déjà couvertes par la nouvelle législation européenne sur les produits «zéro déforestation».

8. Comment l’UE peut-elle contribuer à assurer un traitement équitable des petits exploitants?

Les petites exploitations peuvent avoir du mal à s’adapter aux nouvelles réglementations car elles n’ont pas la capacité d’investir dans des méthodes et des systèmes de production à la pointe de la technologie.

Pourtant, elles jouent un rôle clé dans certaines régions d’Europe en les approvisionnant en denrées alimentaires, en préservant les paysages culturels et en maintenant l’attractivité sociale des zones rurales.

Les petits agriculteurs ne sont pas toujours aussi bien représentés dans les débats politiques que les grandes exploitations. Par conséquent, les nouvelles mesures politiques devraient anticiper les effets négatifs possibles sur les petites exploitations agricoles. Elles devraient faire l’objet d’un suivi et être révisées périodiquement pour faire en sorte qu’elles n’aient pas de conséquences indésirables.

9. Quelles sont les principales difficultés occasionnées par un tel changement sur le plan social et politique?

Comme pour tout processus transformateur, les intérêts particuliers auxquels profite la situation actuelle opposent une certaine résistance. Il est essentiel de créer un environnement donnant les moyens à toutes les parties prenantes d’œuvrer pour se rapprocher de l’objectif d’une alimentation saine et durable.

Cette approche pourrait également contribuer à surmonter l’opposition des acteurs auxquels le système en place profite, notamment la réticence de certaines grandes organisations du secteur privé qui ont beaucoup de poids. Par exemple, les représentants du secteur agroalimentaire disposent de bien plus de ressources pour défendre leurs intérêts que, par exemple, les générations futures. Le débat est donc déséquilibré.

Les organisations de la société civile ont un grand rôle à jouer pour défendre les intérêts de ceux qui ne peuvent se faire entendre.

10. Quel rôle le bien-être animal a-t-il dans tout cela?

Le bien-être animal est une dimension éthique essentielle de la durabilité. Il est également au cœur du concept «One Health» qui prend en considération la santé des personnes, des animaux et de l’environnement.

Les gens modifient leurs habitudes alimentaires et consomment des produits d’origine végétale pour protéger leur santé, l’environnement et/ou le bien-être animal. Ces trois motivations sont d’égale importance et vont dans le même sens: diminuer la consommation de produits d’origine animale et réduire l’élevage intensif.

Les entreprises ont ainsi l’opportunité de privilégier des produits de qualité et des normes élevées en matière de bien-être animal. Sur le plan politique, une taxe sur la viande qui serait présentée comme un «impôt pour le bien-être animal» pourrait être mieux acceptée socialement qu’une taxe environnementale.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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