Apple : une condamnation majeure en faveur des opérateurs français

Douze ans après les faits, la justice française condamne Apple à 48 millions d’euros pour des clauses jugées abusives imposées à des opérateurs. Le jugement détaille des obligations publicitaires et des achats minimums d’iPhone. Dans le même temps, Apple fait face à un contexte concurrentiel tendu, après une sanction de 150 millions d’euros liée à l’ATT.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 27 octobre 2025 14h01
Apple Une Condamnation Majeure En Faveur Des Operateurs Francais
Apple : une condamnation majeure en faveur des opérateurs français - © Economie Matin

Apple et les opérateurs : la fin d’un bras de fer vieux de douze ans

Le 27 octobre 2025, le tribunal de commerce de Paris a rendu sa décision : Apple devra verser 48 millions d’euros aux opérateurs français pour avoir imposé, dès 2013, des conditions commerciales jugées « déséquilibrées ». En cause, les contrats liant la firme de Cupertino à Bouygues Telecom, SFR et Free lors de la commercialisation des iPhone 5s et 5c.

À l’époque, Apple imposait à ses partenaires de financer ses campagnes publicitaires, d’acheter un volume minimum d’appareils et de se soumettre à un encadrement strict de leurs prix. Autant d’obligations qui, selon le tribunal, ont créé « un déséquilibre significatif » dans la relation contractuelle. La décision clôt un contentieux initié il y a plus d’une décennie, symbole d’un rapport de force inégal entre un constructeur tout-puissant et des opérateurs dépendants de ses produits phares.

Des millions d’euros en jeu pour chaque opérateur

Le jugement fixe le montant total de la condamnation à environ 48 millions d’euros, comprenant une amende de 8 millions, 950 000 euros de frais de procédure et près de 39 millions d’euros de dommages-intérêts. Ces derniers ont été répartis entre les opérateurs selon leur exposition au contrat : environ 16 millions pour Bouygues Telecom, 15 millions pour Free, et 7,7 millions pour SFR, d’après le média L’Informé.

Cette victoire judiciaire marque un tournant pour le secteur. Elle réaffirme que la distribution des smartphones, même lorsqu’elle concerne un produit iconique comme l’iPhone, ne peut échapper au droit commercial français. Les opérateurs, longtemps contraints de suivre la stratégie marketing d’Apple, voient ainsi leur autonomie commerciale reconnue et protégée par la justice.

Des pratiques jugées abusives dans un contexte de domination

Le tribunal a estimé qu’Apple avait abusé de sa position pour imposer des obligations disproportionnées. Ce type de clauses — financement publicitaire imposé, engagements d’achat ou restrictions tarifaires — relève du champ des « pratiques restrictives de concurrence ». En d’autres termes, le constructeur a profité de sa position dominante pour verrouiller la négociation et transférer ses risques commerciaux à ses partenaires.

Cette décision fait écho à un autre dossier : celui de l’App Tracking Transparency (ATT). En mars 2025, l’Autorité de la concurrence avait infligé à Apple une amende record de 150 millions d’euros pour avoir favorisé ses propres applications dans le système de consentement publicitaire d’iOS. L’Autorité estimait que les règles imposées aux développeurs tiers étaient « abusives », créant une distorsion de concurrence au profit d’Apple.

Une nouvelle étape dans la régulation des géants du numérique

Apple a la possibilité de faire appel de cette condamnation, comme elle le fait régulièrement dans les contentieux commerciaux et antitrust. Mais cette double séquence judiciaire — clauses abusives et abus de position dominante — traduit une inflexion nette : les régulateurs et les tribunaux français n’hésitent plus à sanctionner les pratiques contractuelles jugées déséquilibrées.

Pour Bouygues Telecom, Free et SFR, cette décision a une valeur autant symbolique qu’économique. Elle met fin à une décennie de procédures et renforce leur pouvoir de négociation face aux constructeurs. Pour Apple, elle s’ajoute à une série de sanctions européennes sur fond de domination technologique et de contrôle des écosystèmes. La marque à la pomme, habituée à imposer ses conditions, doit désormais composer avec un environnement juridique qui se durcit en Europe — et qui pourrait inspirer d’autres acteurs du numérique.

Cette série de condamnations illustre plus largement la mutation du rapport entre les géants technologiques et les régulateurs européens. Longtemps tolérées au nom de l’innovation, les pratiques contractuelles d’Apple sont désormais scrutées à l’aune de la souveraineté numérique et de la loyauté concurrentielle. L’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) accentue encore cette pression : la Commission européenne pourra, dès 2026, imposer des remèdes structurels aux acteurs désignés comme “gatekeepers”. Pour Apple, déjà sous le feu de plusieurs procédures en matière d’app store et de publicité ciblée, cette évolution marque un tournant stratégique : chaque nouvelle décision nationale, à l’image de celle rendue à Paris, alimente un corpus jurisprudentiel européen de plus en plus contraignant.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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