Armement : la machine industrielle française en ordre de bataille

Face à une conjoncture géopolitique marquée par une demande croissante en équipements militaires, la France déploie les atouts de sa base industrielle et technologique de défense (BITD). Forte de plus de 26 000 entreprises et de près de 200 000 emplois directs et indirects, la filière constitue un pilier stratégique de l’économie nationale. Longtemps restée dans l’ombre, cette industrie à haute valeur ajoutée revient au centre du jeu, portée par des records d’exportations, une commande publique dynamique et une reconfiguration des équilibres mondiaux.

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
By Rédacteur Published on 30 septembre 2025 4h30
Le Pentagone a transféré 2 400 milliards de dollars aux industriels de l’armement
Armement : la machine industrielle française en ordre de bataille - © Economie Matin
1200 MILLIARDS €Les entreprises industrielles représentent plus de 1.200 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France.

Une filière stratégique en pleine accélération

La base industrielle et technologique de défense française (BITD) affiche un poids économique majeur. En 2023, elle générait un chiffre d’affaires annuel estimé à 30 milliards d’euros. Composée de neuf grands groupes industriels et d’un tissu dense de sous-traitants répartis sur l’ensemble du territoire, elle représente plus de 26 000 entreprises et plus de 200 000 emplois selon les dernières données du ministère des Armées. Cette capacité industrielle repose sur des piliers institutionnels solides, à commencer par la Direction générale de l’armement (DGA), maître d’œuvre public chargé de piloter la politique d’armement de l’État.

Dans un contexte marqué par le retour de la guerre sur le sol européen et la montée des incertitudes stratégiques, notamment en lien avec d’éventuels désengagements des États-Unis, la Commission européenne a lancé en mars 2025 le programme « ReArm Europe ». Doté d’une capacité de mobilisation de 800 milliards d’euros, ce plan vise à renforcer les capacités de production militaire des États membres. Pour la France, deuxième exportateur mondial d’armement en 2023 selon le SIPRI, cette dynamique représente autant une opportunité qu’un impératif de transformation.

Comme l’avait souligné le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le Rapport au Parlement sur les exportations d’armement 2023 : « Dans le nouveau contexte d’économie de guerre qui s’impose à nous, nous devrons veiller à ce que nos exportations […] contribuent à une ambition de remontée en puissance de l’outil de production. »

Un maillage industriel national dense et complémentaire

L’une des spécificités de la BITD française réside dans la diversité de son maillage territorial. L’assemblage du Rafale, fleuron de l’aviation de combat, est réalisé à Mérignac par Dassault Aviation, mais mobilise environ 400 entreprises réparties sur tout le territoire. De même, le canon Caesar, largement utilisé en Ukraine, résulte d’une chaîne industrielle complexe : les tubes sont ébauchés dans la Loire par Aubert & Duval, acheminés ensuite à Bourges, puis assemblés à Roanne par KNDS, avec des châssis conçus à Limoges par Arquus.

Cette logique de filière se décline dans de nombreuses régions. Dans le Centre-Val-de-Loire, l’Observatoire économique régional recense pas moins de 230 entreprises liées à l’industrie de défense. On y retrouve une usine KNDS dans le Cher spécialisée dans la production de munitions, et un site Thales dans le Loiret dédié aux systèmes d’armements aéroportés et terrestres.

Des ancrages historiques continuent également de structurer cette géographie industrielle. À Saint-Étienne, ville historiquement liée à la production du Famas, ou à Bergerac, avec sa poudrerie stratégique, les savoir-faire se perpétuent. C’est également le cas à Tarbes, où les forges — un temps menacées de liquidation — fabriquent désormais des corps d’obus pour plusieurs pays européens. Ces territoires participent à la résilience d’un outil productif souvent discret, mais redevenu critique dans le cadre de l’économie de guerre contemporaine.

« Il n’existe pas d’industrie de défense forte sans implantation territoriale solide. Nos chaînes de production sont aussi une garantie de souveraineté », expose Nicolas Chamussy, PDG de KNDS France.

Des champions nationaux bien positionnés à l’international

La France compte cinq entreprises figurant parmi les cinquante premiers groupes mondiaux de défense, hors Airbus considéré comme paneuropéen. Thales (16e rang mondial) domine le secteur français avec plus de 10 milliards de dollars de recettes militaires en 2023, soit 52 % de son activité. Naval Group (32e), spécialisé dans la construction de bâtiments de surface et de sous-marins, Safran (33e), Dassault Aviation (46e), et le Commissariat à l’Énergie Atomique (50e) complètent ce peloton de tête.

« Nos matériels s’imposent dans un large spectre capacitaire : frégates, missiles, satellites, hélicoptères ou artillerie », soulignait encore Sébastien Lecornu. La performance du Rafale à l’export, notamment au Qatar, en Égypte et en Inde, ne constitue donc que la partie la plus visible d’un éventail technologique plus large.

La croissance des exportations françaises d’armement, qui ont atteint un record de 27 milliards d’euros en prises de commandes en 2022, traduit cette attractivité. Le secteur repose néanmoins sur des équilibres complexes. La BITD reste structurellement dépendante de ses débouchés à l’international : près de 40 % de son chiffre d’affaires est tiré des exportations. Ce levier économique est crucial pour amortir les cycles d’investissement longs et stabiliser les chaînes d’approvisionnement.

Cette dépendance est toutefois encadrée par des mécanismes réglementaires stricts. Le rapport parlementaire sur les exportations d’armement souligne que ces dernières « continuent de s’inscrire dans le strict respect de nos engagements internationaux » et doivent répondre à des critères exigeants en matière de droits humains, de transparence et de lutte contre le détournement.

No comment on «Armement : la machine industrielle française en ordre de bataille»

Leave a comment

* Required fields