L’industrie de l’armement affiche en 2024 des résultats financiers sans précédent, portée par la demande mondiale. Les fabricants d’armes enregistrent des croissances à deux chiffres, et les marchés se réorganisent autour de flux stratégiques. Ce boom transforme les équilibres économiques du secteur Défense et rebat les cartes de la puissance industrielle.
Armes et profits : 679 milliards de dollars pour les fabricants en 2024

Les ventes d’armes n’ont jamais été aussi élevées. Selon les données de décembre 2025, l’industrie mondiale de la Défense atteint des niveaux historiques, tant en chiffre d’affaires qu’en concentration de marché. L’analyse économique de cette tendance révèle une restructuration accélérée des chaînes de valeur et une dépendance accrue des États à leurs fournisseurs stratégiques.
Un marché mondial de l’armement en pleine croissance
En 2024, les revenus cumulés des 100 principaux fabricants d’armes ont atteint 679 milliards de dollars, selon le SIPRI. Cette hausse de 5,9 % sur un an survient dans un contexte de tensions géopolitiques majeures, où la demande publique s’est emballée.
Les dépenses militaires mondiales, quant à elles, ont franchi la barre des 2 720 milliards de dollars — un bond de 9,4 %, selon Reuters, soit la plus forte progression depuis plus de trois décennies. Ce double signal illustre le retour de la Défense comme moteur macroéconomique : les commandes d’armes agissent comme des leviers budgétaires pour les États, avec un effet direct sur l’activité industrielle.
L’économie de guerre s’impose dans plusieurs zones : l’Europe multiplie les investissements, le Moyen‑Orient augmente ses acquisitions, et l’Asie adapte ses chaînes logistiques. Résultat, les fabricants sont contraints d’augmenter leurs cadences, d’élargir leur base fournisseurs, voire de relocaliser certaines productions critiques.
Une concentration des revenus autour des géants de l’armement
Le marché reste dominé par les firmes américaines, qui ont généré à elles seules 334 milliards de dollars en 2024, soit près de 49 % du total mondial, selon Yahoo Finance. Sur les 39 groupes américains classés dans le Top 100 du SIPRI, 30 ont vu leur chiffre d’affaires croître.
L’Europe enregistre une dynamique plus forte : 23 des 26 entreprises du continent ont vu leurs ventes progresser, pour un total de 151 milliards de dollars, en hausse de 13 %. Le groupe franco‑allemand KNDS, l’italien Leonardo, ou encore le suédois Saab figurent parmi les plus performants.
Cette structuration autour d’acteurs dominants a plusieurs implications économiques. D’abord, les marges bénéficiaires de ces groupes sont dopées par des contrats pluriannuels, sécurisés et indexés. Ensuite, l’intégration verticale devient une priorité stratégique : certains fabricants internalisent la production de composants pour sécuriser les délais. Enfin, la concurrence s’exacerbe sur les segments critiques (missiles, drones, munitions), provoquant une ruée vers l’innovation.
Investissements massifs et effets sur les écosystèmes industriels
Face à l’explosion des commandes, de nombreux fabricants ont lancé des plans d’investissement massifs. L’entreprise Czechoslovak Group (CSG), spécialisée dans les munitions et l’artillerie, a enregistré une croissance exceptionnelle de son activité, principalement alimentée par la guerre en Ukraine. Elle a ouvert de nouvelles lignes de production en Europe centrale et prévoit une extension vers les Balkans.
En France, Nexter et MBDA ont vu leurs carnets de commandes grossir sous l’effet des contrats gouvernementaux. Le ministère des Armées a accéléré ses engagements budgétaires dans le cadre de la Loi de programmation militaire, avec des retombées immédiates pour les sous‑traitants et les PME du secteur Défense.
Ces investissements ne se limitent pas à la production. Ils incluent aussi la formation de main‑d’œuvre spécialisée, l’automatisation des sites industriels, et le développement de capacités d’exportation. Ce tissu industriel en expansion devient un vecteur d’emploi et d’innovation technologique dans plusieurs régions.
Une dynamique durable ou un pic conjoncturel ?
Malgré ce boom, des incertitudes persistent quant à la durabilité du cycle. D’un côté, les conflits prolongés (Ukraine, Gaza) et la tension stratégique entre grandes puissances (États‑Unis, Chine, Russie) laissent présager une demande soutenue. D’un autre, certains analystes soulignent le risque d’un retournement de conjoncture si les États réduisent leurs budgets une fois les pics de tension passés.
Par ailleurs, l’équilibre entre production nationale et achats à l’étranger reste fragile. Plusieurs pays cherchent à rapatrier des capacités ou à mutualiser leurs achats via des alliances. Cette logique pourrait redessiner la géographie des flux, en réduisant la dépendance à certains grands fabricants.
La stabilité du marché dépendra donc d’un subtil équilibre : maintien des tensions géopolitiques, volonté politique de soutien aux industriels, et capacité des fabricants à livrer rapidement des équipements complexes.