En France comme en Europe, les assureurs évoluent dans un contexte marqué par l’inflation, la hausse des sinistres climatiques, un cadre réglementaire renforcé et l’arrivée de nouveaux acteurs digitaux. Cette instabilité fragilise leurs marges et accentue la volatilité des comportements clients. Dans ce paysage mouvant, la fidélisation ne se limite plus à un enjeu commercial : elle devient un levier de résilience.
Assurance : la donnée, pierre angulaire de la fidélisation client

Les assureurs doivent dépasser le paradigme du « produit » pour embrasser une logique relationnelle centrée sur la donnée. Car aujourd’hui, ce n’est plus seulement la qualité de la couverture qui forge la loyauté, mais la capacité à comprendre, anticiper et accompagner les besoins clients dans la durée. Autant d’enjeux qui peuvent être atteints grâce à une exploitation intelligente, fluide et éthique de la donnée.
Une relation client sous pression
Selon le Global Insurance Report 2025 (1), les assureurs européens peinent à fidéliser durablement leurs clients. Le taux de satisfaction des assurés dans l’UE reste en effet inférieur de 10 points à celui observé chez les leaders asiatiques et nord-américains. En France, 58 % des clients affirment ne pas ressentir de différence tangible entre leur assureur et ses concurrents, et seuls 30 % se disent véritablement engagés envers leur compagnie d’assurance. Cette érosion s’explique par plusieurs facteurs : des parcours client encore trop complexes, une communication souvent standardisée, et une faible personnalisation des offres. Pourtant, les attentes évoluent vite : selon ce même rapport (1), 65 % des assurés européens attendent de leur assureur des services proactifs et personnalisés et 70 % seraient prêts à partager davantage de données en échange d’une meilleure expérience. Cette ambition numérique est pourtant encore en décalage avec l’expérience vécue : alors que 88 % des dirigeants du secteur cherchent à améliorer leur présence en ligne (2), 46 % des assurés déclarent rencontrer des difficultés à souscrire une police d’assurance en ligne (3). Ce hiatus entre intention stratégique et réalité perçue alimente frustration et désengagement — deux freins majeurs à la fidélisation.
Transformer la donnée en confiance et en croissance
L'exploitation intelligente de la donnée et du machine learning peut améliorer considérablement l'expérience client ainsi que les performances financières d'une entreprise. Dans le secteur de l'assurance, ces technologies permettent par exemple de prédire le moment optimal pour relancer les paiements échoués, ce qui contribue à réduire le taux de désabonnement involontaire - également appelé « churn » -, un point sensible majeur dans les modèles de revenus récurrents. Autre exemple, elles améliorent la détection de la fraude en identifiant en temps réel les schémas suspects ou les numéros IBAN non valides. Au-delà de limiter leurs pertes financières, les entreprises instaurent ainsi un climat de confiance vis-à-vis de leurs clients : elles les rassurent sur la sécurité de leurs données financières. Ce double avantage se traduit par des flux de revenus plus stables, des coûts opérationnels plus faibles et une meilleure fidélisation client, créant ainsi un cercle vertueux où l'utilisation intelligente de la donnée contribue directement à la satisfaction client et à la rentabilité de l'entreprise.
L’IA générative et l’assurance embarquée : des accélérateurs en Europe
L’essor de l’IA générative change la donne. Dans des pays comme la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, des assureurs expérimentent des agents conversationnels capables de gérer les sinistres, d’orienter les clients ou encore de personnaliser les offres. Ces usages permettent de réduire les délais de traitement jusqu'à 60 % tout en améliorant la qualité du service client (1). Mais pour fidéliser durablement les clients, il faut aller au-delà de l'automatisation. Les assureurs doivent utiliser les données pour anticiper les besoins, adapter la couverture et s'engager de manière proactive, en particulier avec les clients qui risquent de se désabonner. L'assurance embarquée ajoute un autre levier de fidélisation : en intégrant une couverture directement sur le point de vente (achat automobile, billet d’avion, location de vélo, etc.), les assureurs rencontrent les clients au moment où ils en ont le plus besoin, ce qui accroît la simplicité et la pertinence de l'offre. Toujours selon McKinsey (1), l’assurance embarquée pourrait représenter 20 % des nouveaux contrats en Europe d'ici 2027. Pour exploiter pleinement ce potentiel, les assureurs devront garantir une utilisation efficace de la donnée à chaque point de contact, afin que les interactions soient pertinentes, personnelles et fiables.
Une confiance à regagner par la transparence
Mais au-delà des nouvelles technologies, c’est la capacité à instaurer une relation de confiance qui reste déterminante. En Europe, 80 % des consommateurs se disent préoccupés par l’usage de leurs données personnelles (1). Les assureurs doivent donc construire une stratégie de fidélisation fondée sur la transparence, l’éthique et la valeur partagée. Certaines compagnies d’assurances françaises commencent d’ailleurs à intégrer des dispositifs de « data trust » : charte de transparence, outils de consentement dynamique et retour de valeur explicite sur l’utilisation des données. Ce type d’initiative permet non seulement de rassurer les clients, mais aussi de les engager activement dans la co-construction des offres.
De la donnée au changement culturel
Pour exploiter tout le potentiel de la donnée au service de la fidélisation, les assureurs doivent également se transformer en profondeur. L’automatisation des paiements, par exemple, illustre cette mutation. Elle ne se limite pas à un gain de confort pour le client : elle améliore l’efficacité opérationnelle, réduit les erreurs et permet aux équipes de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Selon une étude (4), 85 % des directeurs financiers estiment que l’automatisation libère du temps pour leurs équipes, et près de la moitié qu’elle améliore leurs prévisions financières. Cela implique de casser les silos entre gestion des risques, marketing, IT et service client, de développer des compétences « nouvelles » (data science, UX design, éthique de l’IA) et de mettre en place une gouvernance agile de la donnée, orientée valeur client. Le rapport de McKinsey (1) met en lumière les efforts de certains assureurs européens qui adoptent cette culture désilotée : cycles courts d’innovation, écoute active du client, expérimentation continue. Ce sont ces approches, centrées sur l’usage et l’expérience, qui permettent de construire une fidélité forte, émotionnelle, et durable.
En France comme en Europe, les assureurs sont à un tournant stratégique. Confrontés à des clients plus volatils, plus exigeants mais aussi plus enclins à partager leurs données en échange de valeur, ils doivent repenser en profondeur leur modèle relationnel. L’essor de l’économie de l’abonnement, la diversification des offres et l’intensification des interactions montrent que de nouvelles formes de fidélité émergent — plus actives, plus personnalisées, plus conditionnelles aussi. Dans ce contexte, celles et ceux qui sauront faire de la donnée un levier de pertinence, de simplicité et de confiance disposeront d’un avantage décisif. Rappelons que la fidélité ne se décrète pas. Elle se construit, jour après jour, interaction après interaction.
(1)Global Insurance Report 2025 de McKinsey
(2) World Property and Casualty Insurance Report 2023, Capgemini
(3)World Payments Report 2025, Capgemini
(4)« Payer Experience Report », une étude YouGov pour GoCardless menée au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en France, en Allemagne et en Australie. Juin 2022
