Les banques multilatérales de développement dont le monde a besoin

Lawrence H. Summers a été économiste en chef de la Banque mondiale (1991-1993), secrétaire du Trésor des États-Unis (1999-2001), directeur du Conseil économique national américain (2009-2010), et président de l’Université d’Harvard (2001-2006),

N.K. Singh, président de la 15e Commission des finances de l’Inde, et président de l’Institute of Economic Growth, a été membre du Parlement ainsi que secrétaire du Premier ministre Narendra Modi.

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Par Lawrence H. Summers and N.K. Singh Publié le 9 août 2023 à 10h00
Banques Multilaterales De Developpement Bmd International Summers Singh
20 MILLIARDS $Les projets d'investissement de la Banque mondiale génèrent, chaque année, jusqu'à 20 milliards de dollars

Nous assistons cet été à un véritable incendie planétaire. Les experts estiment qu’une nouvelle menace de santé publique comparable au COVID pourrait émerger au cours de la prochaine génération. Les augmentations de taux d’intérêt plongent plusieurs dizaines de pays dans une situation insoutenable sur le plan de la dette. Et pour la première fois en près d’un demi-siècle, l’économie mondiale se fracture au lieu de s’unir.

Ces réalités ont façonné les recommandations que nous venons tout juste de formuler au G20 par l’intermédiaire d’un groupe spécial d’experts de la finance du développement (que nous coprésidons). Notre conclusion centrale est la suivante : cette période singulièrement difficile nécessite une transformation radicale des activités des banques multilatérales de développement (BMD), à commencer par la Banque mondiale. Alors que les pays en voie de développement sont confrontés à des besoins de financement beaucoup plus importants pour atteindre les objectifs climatiques et de développement, les versements issus des BMD ne suivent pas la cadence, et le degré auquel celles-ci transfèrent actuellement des ressources vers les pays en voie de développement est d’une faiblesse inacceptable.

Là où la plupart des institutions œuvrent le plus souvent pour renforcer progressivement leur envergure et leur efficacité, les BMD restent figées sur place. Nous devons évoluer au-delà des débats stériles sur les questions de savoir si nous avons besoin de fonds supplémentaires ou plutôt de meilleures politiques, d’initiatives plus écologiques ou de davantage de dépenses pour le développement, de plus nombreux programmes du secteur public ou plutôt de prêts privés, de plus d’endettement ou de plus de capitaux. Le discours du « x et y » doit remplacer celui du « x ou y ». Pour ce faire, nous appelons à une action sur trois fronts.

Premièrement, il est nécessaire que les BMD assument un triple mandat, en ajoutant les biens publics mondiaux (BPM) à leurs objectifs actuels d’éradication de l’extrême pauvreté et d’amélioration de la prospérité commune. Cela signifiera étoffer les politiques et procédures nécessaires pour intégrer leurs agendas climatique et de développement. En clarifiant et en s’engageant formellement pour ces objectifs, les BMD peuvent parvenir à mieux concevoir et exécuter les programmes autour des BPM (tels que l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la biodiversité, la sécurité hydrique, ou encore la préparation aux pandémies), rapidement et grande échelle.

Deuxièmement, les parties prenantes doivent fournir aux BMD les ressources requises. D’après nos calculs, il est nécessaire que les niveaux de prêt soutenables au sein des BMD soient multipliés par trois d’ici 2030, pour passer à environ 400 milliards $ par an. Ceci inclut les octrois et financements privilégiés pour les pays les plus pauvres, les financements non privilégiés pour les pays à revenu intermédiaire solvables, et les ressources nécessaires pour mobiliser la finance privée.

Une priorité majeure doit consister à convaincre les donateurs de fournir un montant supplémentaire de 30 milliards $ chaque année en octrois et financements privilégiés pour les pays à revenu faible (PRF). Ceci permettrait de tripler d’ici 2030 les financements de l’Association internationale de développement, ce qui est essentiel pour aider les PRF à atteindre leurs objectifs de développement, à gérer les chocs mondiaux, ainsi qu’à mener une solide adaptation et des plans de résilience selon des cadres de dette soutenables. Cette démarche atténuerait par ailleurs les inquiétudes des PRF selon lesquelles un mandat élargi des BMD se ferait au détriment du soutien dont ils ont besoin pour poursuivre leur développement économique et humain.

Concernant les pays à revenu intermédiaire, environ la moitié du montant nécessaire à une multiplication par trois des niveaux de prêt peut être générée par les BMD elles-mêmes, via une utilisation plus efficace des capitaux existants. L’autre moitié nécessitera toutefois une nouvelle ronde d’augmentations générales du capital. Fort heureusement, ce mécanisme requiert des donateurs qu’ils ne payent que quelques centimes sur un dollar, ce qui leur confère une excellente rentabilité. Chaque dollar issu d’un donateur pourrait en effet rapporter 7 $ en nouveaux prêts souverains, et 8 $ supplémentaires dans la mobilisation directe et indirecte des capitaux privés.

Même en cas d’augmentation majeure des prêts des BMD, l’aide publique sera toutefois loin de suffire pour répondre aux besoins. Les capitaux privés doivent combler ce manque. La bonne nouvelle, c’est que la plupart des BMD intègrent des départements chargés de catalyser les financements privés dans une multitude de secteurs, de l’énergie jusqu’aux infrastructures, en passant par la santé, l’agriculture et l’inclusion financière.

La mauvaise nouvelle réside en revanche dans leurs antécédents décevants en la matière : en moyenne, les BMD n’exploitent que 60 centimes de capitaux privés pour chaque dollar qu’elles engagent, bien en dessous du niveau potentiel. Ces six dernières années, leur mobilisation directe et indirecte de financements privés a plafonné à 60-70 milliards $ par an.

Ce montant contraste avec le demi-millier de milliards de dollars nécessaires de la part du secteur privé pour contribuer à combler les manques de financement. Les BMD doivent viser au moins une multiplication par deux de leurs ratios de mobilisation et d’engagement, en appréhendant des difficultés clés telles que le risque de change, le risque politique et réglementaire, le manque de projets finançables, et l’insuffisance du capital-risque. Par-dessus tout, un plus fort appétit pour le risque au sein des BMD constituera la clé de la réussite.

Troisièmement, il est nécessaire qu’une coalition de financeurs (incluant gouvernements, organisations caritatives et secteur privé) crée un nouveau « mécanisme face aux défis mondiaux », qui offre une multitude d’options de financement, de type garanties, capitaux propres et autres instruments de partage du risque. C’est essentiel pour remédier à un défaut systématique des BMD : la sous-utilisation des instruments hors prêts (tels que les garanties) pour les emprunteurs souverains et non souverains. Ces outils deviennent particulièrement adaptés au climat économique volatile d’aujourd'hui.

Les BMD sont des véhicules financiers adaptés au soutien à notre planète ainsi qu’à ses populations. Elles fournissent la combinaison nécessaire entre expertise, pérennité, financements peu coûteux, influence et capacités de partage des connaissances. Pour contribuer toutefois à transformer le futur des pays en voie de développement, les BMD devront commencer par se métamorphoser elles-mêmes. Cela signifie adopter une culture globale de changement, afin de devenir plus axées sur le client, et de mieux fonctionner ensemble – notamment via une démarche commune en matière de financements, de partage du risque et de détermination des normes.

Nous sommes conscients que la mise en œuvre de l’agenda que nous proposons nécessite un solide leadership politique, ainsi qu’une capacité à maintenir le cap. Il n’existe cependant pas d’autre choix selon nous. L’avenir de notre planète et de ses populations est en jeu.

© Project Syndicate 1995–2023

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Lawrence H. Summers a été économiste en chef de la Banque mondiale (1991-1993), secrétaire du Trésor des États-Unis (1999-2001), directeur du Conseil économique national américain (2009-2010), et président de l’Université d’Harvard (2001-2006), où il est aujourd’hui professeur. N.K. Singh, président de la 15e Commission des finances de l’Inde, et président de l’Institute of Economic Growth, a été membre du Parlement ainsi que secrétaire du Premier ministre Narendra Modi.

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1 commentaire on «Les banques multilatérales de développement dont le monde a besoin»

  • Ce bon vraiment

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