Ils dénoncent une dépendance asymétrique, une concurrence faussée et un pouvoir devenu excessif de la part de Booking. Face à une plateforme qui dicterait ses règles, l’hôtellerie européenne riposte. Une plainte historique qui pourrait rebattre les cartes du secteur.
Booking : Plus de 10.000 hôtels portent plainte

Le 4 août 2025, plus de 10 000 hôtels à travers l’Europe ont officiellement engagé une procédure judiciaire conjointe contre Booking.com, géant de la réservation en ligne basé aux Pays-Bas. L’initiative est coordonnée par Hotrec, la principale confédération européenne de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme, qui accuse la plateforme de pratiques anticoncurrentielles persistantes.
La parité tarifaire de Booking au centre de la plainte collective de l’hôtellerie européenne
En ligne de mire : l’imposition de clauses de parité tarifaire, qui empêchent les hôtels d’afficher sur leur propre site internet un tarif inférieur à celui proposé sur Booking. Ces clauses, surnommées "clauses de la nation la plus favorisée", sont jugées par les professionnels du secteur comme une entrave directe à leur liberté commerciale. Markus Luthe, porte-parole de Hotrec, déclare dans un entretien accordé à RTL Belgique : « Cette pratique empêche toute concurrence et nuit directement aux consommateurs comme aux hôteliers ».
Selon l’article de NL Times daté du même jour, la plainte regroupe 10 273 hôtels issus de 26 pays européens. Ces établissements affirment avoir été contraints d’accepter des conditions contractuelles abusives, sous peine de déréférencement. Ils demandent réparation pour les pertes économiques accumulées depuis plusieurs années.
Réservation, concurrence et réglementation : Booking sous pression
Cette offensive juridique survient dans un contexte réglementaire évolutif, marqué par l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) de l’Union européenne, en mars 2024. Ce règlement impose de nouvelles obligations aux plateformes considérées comme des "contrôleurs d’accès", un statut attribué à Booking.com par la Commission européenne. L’interdiction des clauses de parité est désormais expressément prévue dans le texte. Pourtant, selon les plaignants, Booking n’aurait pas modifié ses pratiques suffisamment rapidement.
À cela s’ajoute une plainte complémentaire du côté des consommateurs, initiée par l’association néerlandaise Consumentenbond en partenariat avec la fondation Consumers' Competition Claims (CCC). Elle accuse Booking d’avoir, entre 2013 et 2024, induit les clients en erreur via :
- des fausses promotions,
- une mise en scène artificielle de pénurie (ex : "dernière chambre disponible"),
- et une opacité volontaire sur les frais de service.
« Les hôteliers européens ont longtemps souffert de conditions injustes et de coûts excessifs. Il est temps d’agir ensemble », a déclaré Alexandros Vassilikos, président d’Hotrec.
Booking vs les hôtels : Une bataille judiciaire à plusieurs niveaux
D’un point de vue procédural, la plainte a été déposée auprès d’un tribunal néerlandais, pays d’enregistrement de Booking Holdings. Une première audience est prévue à La Haye à la fin du mois d’octobre 2025, souligne Blick.
La démarche bénéficie du soutien financier de LegalFair, un fonds européen spécialisé dans les actions collectives, qui prend en charge l’ensemble des frais de procédure. Du côté des consommateurs, c’est la société Bidwell qui avance les coûts. Aucun paiement n’est demandé aux participants, mais un pourcentage maximal de 25 % sera prélevé en cas de succès.
Des fédérations nationales telles que le GNI en France ou l’Alberghi Uniti en Italie ont également exprimé leur appui à l’initiative. Plusieurs actions en justice nationales pourraient suivre si Booking ne modifie pas sa politique commerciale.
Booking contre-attaque et maintient sa ligne
Booking.com a réagi rapidement, déclarant dans un communiqué transmis à plusieurs médias : « Nous contestons fermement les allégations portées contre nous. Depuis la mise en application du Digital Markets Act, nous avons adapté nos conditions pour nous conformer aux nouvelles exigences européennes. »
Le groupe précise : "Les déclarations faites par HOTREC et d'autres associations hôtelières sont inexactes et trompeuses. Le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) auquel HOTREC et ces associations font référence pour justifier une possible action collective n’a pas conclu que les clauses de parité tarifaire de Booking.com étaient anticoncurrentielles. En réalité, la CJUE n’a même pas été saisie pour évaluer si nos clauses avaient des effets anticoncurrentiels ou un impact sur la concurrence. La Cour s’est simplement prononcée sur le fait que ces clauses relèvent du champ d’application du droit de la concurrence de l’UE et que leurs effets doivent être appréciés au cas par cas. Nous souhaitons également confirmer que nous n’avons reçu aucune notification formelle d’une action collective. Des informations complémentaires sont disponibles sur ce lien."
Malgré cette défense, les plaignants persistent. L’objectif affiché n’est pas seulement d’obtenir des compensations financières, mais surtout d’imposer un changement structurel dans les rapports de force entre plateformes de réservation et professionnels de l’hébergement. Selon les estimations fournies par l’association Consumentenbond, les indemnisations potentielles pour les consommateurs pourraient atteindre plusieurs centaines d’euros par réservation, sur un total représentant des centaines de millions d’euros d’exposition pour la plateforme.
Une rupture annoncée dans les modèles économiques de la réservation en ligne ?
Si la plainte aboutit, les conséquences pourraient être majeures. Le modèle commercial même de Booking.com, qui repose sur la visibilité algorithmique et des commissions parfois supérieures à 20 %, serait fragilisé. Les hôteliers réclament un accès équitable au marché numérique, sans dépendre d’un seul canal.
En parallèle, la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) a déjà rendu un avis défavorable aux clauses de parité dans une décision antérieure, posant un précédent juridique majeur. Les autorités européennes surveillent désormais de près les grands acteurs du numérique, considérés comme les principaux "gatekeepers" de l’économie en ligne.
