Caroline Weber : « Les chefs d’entreprise sont souvent perdus face à une réglementation beaucoup trop lourde »

Directrice générale de Middlenext et co-présidente de l’Association européenne des valeurs moyennes cotées en Bourse, Caroline Weber déplore la surrèglementation qui pèse sur la vie des PME et ETI françaises.

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Par Rédaction Publié le 17 avril 2024 à 15h30
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En quoi consiste l’activité de Middlenext ?

Nous avons quatre missions. D’abord, nous produisons de l’information sur le fonctionnement de la Bourse, nous organisons des rencontres autour de petits-déjeuners et de déjeuners, et nous informons nos adhérents à travers plusieurs vecteurs. Nous avons ensuite une activité de lobbying qui constitue un axe fort de notre stratégie : nous avons ainsi pu faire changer une bonne centaine de lois et quatre directives européennes, ce qui nécessite beaucoup de temps et d’énergie, surtout au niveau des institutions européennes. Troisième axe : la formation. Aujourd’hui, nous constatons que les chefs d’entreprise sont souvent perdus face à une réglementation beaucoup trop lourde. Enfin, Middlenext réalise ces trois premières missions en s’appuyant sur son institut de recherche : nous disposons ainsi d’une base de données sur toutes les entreprises moyennes depuis 15 ans.

De nombreux chefs d’entreprise considèrent que les PME et les ETI manquent d’accès aux liquidités, et se plaignent de la frilosité des acteurs de la finance traditionnelle. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

C’est le problème typique de la poule et de l’œuf. À partir du moment où vous avez moins de matières premières – c’est-à-dire que vous avez moins d’entreprises qui se cotent en Bourse –, vous avez forcément moins d’investisseurs qui s’y intéressent. En conséquence, vous avez moins de liquidités. Tout est fait pour décourager le système d’investissement dans les PME. Nous faisons donc face à un problème structurel.

Une entreprise cotée en Bourse a un accès plutôt privilégié aux banques traditionnelles. La vraie question est la suivante : quelles sont les règles qui pèsent sur les banques traditionnelles ? Par « tradition », celles-ci financent l’immobilier, les immobilisations corporelles, le BFR (besoin en fonds de roulement)… mais c’est plus compliqué lorsqu’il faut financer des croissances externes ou organiser la liquidité pour certains actionnaires – en particulier lors des successions.

Précisément, pourquoi est-ce plus compliqué ? Quelles contraintes les investisseurs rencontrent-ils ?

Il y a de nombreuses contraintes additionnelles côté investisseurs. Prenons l’exemple de la directive européenne Solvency 2 qui s’applique aux compagnies d’assurance. Elle les oblige à conserver du capital afin de pouvoir absorber un choc provoqué par la réalisation d’un risque majeur. À l’époque, on a donc expliqué aux assureurs qu’il était beaucoup plus prudent d’investir dans la dette grecque que d’investir dans les entreprises. Ainsi, quand l’Union européenne a mis en place cette réglementation, 600 milliards d’euros initialement prévus pour le financement des entreprises ont disparu. Aujourd’hui, nous avons toujours un vrai sujet d’allocation de capital. Cela fait des années que je me bats pour qu’1% de cette réserve soit allouée au financement du tissu des PME-ETI. Alors qu’un pourcent représente peu pour les grands acteurs, nous ne l’avons jamais obtenu.

Les pouvoirs publics n’entendent pas vos doléances ?

Aujourd’hui, la situation est compliquée : le président de la République vient de faire des annonces que nous espérons voir suivies d’effets. L’Europe lance le Listing act pour relancer la cotation des PME. Ce dernier ambitionne de réduire les formalités administratives et les coûts inutiles pour les entreprises lors des phases d’introduction en bourse, mais également post introduction, afin d’encourager les PME et ETI à se faire coter et les entreprises cotées à le rester. Mais les faits sont têtus : le manque de liquidités et l’extraordinaire renchérissement des coûts ont entrainé un delisting massif.

La Bourse est un outil formidable qui permet de financer avec effet de levier où on ne rembourse pas l’argent, de financer des croissances externes, d’attirer des talents, etc., ce qui représente un véritable enjeu pour la majorité des entreprises cotées. Or les différentes règlementations, comme le Listing act, ou Solvency 2, ont abîmé la nature même de la Bourse.

En dehors de la Bourse, quelles sont les autres options de financement pour les entreprises ?

Selon nos statistiques chez Middlenext, il s’agit surtout d’autofinancement. Le chef d’entreprise peut aussi faire entrer un fonds dans le capital de son entreprise. Le recours à l’obligataire est trop cher pour une PME. On trouve également les OCABSA (Obligations Convertibles en Actions avec Bons de Souscription d’Actions) qui restent un instrument relativement marginal. Souvent, le dirigeant ne veut pas faire d’augmentation de capital – d’abord par ce que c’est très cher et parce qu’au bout d’un moment, il pourra se faire trop diluer et perdre le contrôle de son entreprise. Un dirigeant qui ne veut pas se diluer n’a pas beaucoup de solutions qui s’offrent à lui.

Vous mentionnez les OCABSA, qui sont souvent décriées à cause des risques de dilution. Quelle vision avez-vous de cette solution alternative ?

Les OCABSA sont certes risquées, mais si les investisseurs sont prévenus, ils peuvent choisir d’y avoir recours ou pas. L’AMF (Autorité des marchés financiers) décourage ce type d’outil parce qu’ils sont risqués. Mais je pense que tout système qui permet d’éviter un dépôt de bilan ou une liquidation d’entreprise est bon à prendre. Avec tous les avertissements de sécurité souhaitables.

Sur ce point, le régulateur a des positions très doctrinaires. La posture de l’AMF n’est pas d’aider au financement des entreprises, mais de protéger les investisseurs. Il est donc logique que l’AMF considère que les OCABSA ne sont pas parfaites. Personnellement, je pense qu’il faut tout essayer pour éviter que l’entreprise tombe. Mais il est évident que les PME font face à une vraie surrèglementation, en particulier si l’on compare avec les règles du private equity. Aujourd’hui, les règles ne sont adaptées ni à la réalité des besoins des chefs d’entreprises, ni à l’économie réelle.

Depuis 15 ans, vous évoquez la surrèglementation des marchés financiers. Qu’en est-il de la responsabilité de l’AMF dans ce décor règlementaire ?

Si les pouvoirs publics, tant nationaux que supranationaux, créent la réglementation à travers leurs différentes politiques, les entités comme l’AMF n’en sont que les régulateurs. L’AMF est elle-même surveillée par l’ESMA (Autorité européenne des marchés financiers). Or, à force d’ouvrir des parapluies dans tous les sens pour que tout le monde surveille tout le monde, les acteurs appliquent un principe de précaution. Il faudrait donc un geste politique fort au niveau européen et un soutien politique massif du gouvernement français pour renverser la tendance.

Les règles qui encadrent le marché ont évolué, et ne sont plus adaptées. La masse des PME cotées est entrée en Bourse il y a une vingtaine d’années. À cette époque, les entreprises avaient accès plus facilement à un marché présentant un bon rapport qualité/prix pour l’accès au financement. Aujourd’hui, elles font face au même système règlementaire que les grandes multinationales.

Selon vous, il y a un manque évident d’adaptation du cadre règlementaire qui impacte le financement des PME et ETI. Comment adapter ces règles à la réalité des besoins ?

Je pense qu’il faut reprendre les règles du second marché qui existaient il y a quelques années, et qui ont fait leurs preuves. Dans un monde idéal, il faudrait un cadre réglementaire par taille d’entreprise et qui prendrait en compte la structure de l’actionnariat. Ce ne sont pas les mêmes enjeux de régulation lorsque le dirigeant est actionnaire majoritaire ou lorsqu’il est salarié. Les lois sur la rémunération des dirigeants n’ont pas beaucoup de sens dans les PME quand on voit des écarts de 1 à 20 – voire bien plus – entre PME cotées et entreprises du CAC 40. Les enjeux de gouvernance pour les PME ne sont pas les mêmes. Il y a notamment un vrai sujet avec les questions de succession : les PME sont souvent des entreprises très incarnées, avec des dirigeants qui ont souvent une empreinte forte sur leur entreprise.

Il faudrait également mettre en place une étude d’impact pour chaque loi, afin de vérifier, tous les 3 ans, si elle est encore pertinente ou si elle mérite d’être amendée, voire supprimée.

Les systèmes de régulation sont obnubilés par la prévention et la documentation des risques possibles. Les entreprises doivent désormais formaliser des cartographies de risque : en général, anticorruption, extra-financière, etc. On oublie en permanence que le dirigeant majoritaire est le premier sanctionné lors de difficultés dans son entreprise. Y a-t-il réellement besoin de rédiger des rapports de 400 pages pour en parler ? C’était 40 pages il y a 30 ans et il n’y avait pas plus de sinistralité. Et ces rapports ne sont lus que par une poignée de personnes.

Un dernier exemple, concernant la RSE : les entreprises doivent bien sûr en faire, mais l’enjeu est surtout qu’elles agissent pour adapter leur modèle d’affaires à la transition écologique. Le corpus de transparence qui vient de sortir est lunaire : nous avons compté 2217 indicateurs parmi lesquels l’entreprise va devoir en choisir plusieurs centaines. Est-ce bien raisonnable ?

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