La start-up française Dark, pionnière de la sécurité spatiale, vient d’annoncer la fin de ses activités. Derrière cet échec retentissant, c’est tout un modèle d’innovation duale – entre défense et espace – qui vacille, révélant les failles structurelles du New Space hexagonal.
Dark : la chute d’une étoile du New Space français

Un symbole du New Space français qui s’éteint
Créée en 2021 par Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, anciens ingénieurs de MBDA, Dark voulait devenir le “GIGN du spatial”. La jeune pousse s’était spécialisée dans la protection de l’orbite terrestre face à la prolifération de débris et de satellites espions. Son projet phare, Interceptor, un engin lancé depuis un avion pour intercepter des objets en orbite basse, devait incarner cette ambition technologique.
Conçue pour saisir ou dévier des menaces spatiales grâce à des capteurs et à une poussée douce, la machine promettait de sécuriser les infrastructures orbitales françaises. Ouest-France rappelait que ce dispositif, mêlant robotique et propulsion, visait aussi à “nettoyer l’espace”. Ce positionnement à la frontière du civil et du militaire faisait de Dark une figure emblématique du New Space européen.
Malgré un discours séduisant et une stratégie claire, Dark n’a pas survécu à la dure réalité économique. Le 8 octobre 2025, la société a officiellement annoncé sa fermeture. Dans un communiqué, elle expliquait : « Continuer sans ancrage aurait signifié transformer Dark en un modèle fragile dépendant d’un seul client ». Le constat est amer : en France, peu de structures privées parviennent à s’imposer durablement dans le spatial de défense sans soutien étatique constant.
Un modèle économique sans orbite stable
Sur le plan financier, Dark n’était pourtant pas un échec total. En quatre ans, la start-up avait levé près de 11 millions de dollars — dont 5 millions en 2021 et une extension de 6 millions d’euros en 2024. Ces fonds devaient servir à l’industrialisation d’Interceptor et à l’installation d’un centre à Bordeaux-Mérignac, proche de grands acteurs aéronautiques.
Mais les besoins réels dépassaient largement les capitaux disponibles. En l’absence de contrats pluriannuels et d’engagements fermes de l’État, la viabilité du projet s’est rapidement effritée. L’Agence d’innovation de défense (AID) avait bien sélectionné Dark pour son programme Salazar, consacré à l’interception d’objets spatiaux, mais cette collaboration restait à l’échelle de prototypes.
Les dirigeants résumaient la situation en ces mots : « Notre ambition était d’ancrer une capacité privée… Pourtant, les bases nécessaires à sa réalisation n’ont jamais vu le jour en France. » Derrière cette phrase, c’est tout le dilemme du New Space français qui s’exprime : comment faire émerger un champion privé dans un secteur encore dominé par le financement public et la logique institutionnelle du CNES ou du ministère des Armées ?
L’échec d’un chaînon manquant entre innovation et souveraineté
Si la disparition de Dark émeut tant les observateurs, c’est qu’elle symbolise les contradictions du modèle spatial français. D’un côté, l’État encourage l’innovation duale et l’émergence de start-up de défense. De l’autre, il peine à transformer ces promesses en commandes concrètes ou en cadres stables. L’absence de doctrine claire sur la protection spatiale et le manque de moyens dédiés ont empêché la consolidation d’un écosystème pérenne.
Cette lacune stratégique contraste avec la dynamique américaine, où les start-up du secteur – à l’image d’Astroscale ou True Anomaly – bénéficient d’un environnement contractuel et financier plus fluide. En France, les cycles budgétaires et l’appareil administratif rendent le décollage de telles structures incertain.
La chute de Dark illustre aussi le retard pris dans la valorisation industrielle des technologies de défense spatiale. Ses ingénieurs avaient conçu un véhicule capable de placer jusqu’à 300 kg en orbite basse : une prouesse technique qui ne s’est jamais traduite en débouchés commerciaux. En dépit d’un intérêt réel du ministère des Armées, l’entreprise s’est trouvée piégée dans un entre-deux – trop militaire pour séduire le privé, trop privée pour attirer les grands programmes publics.
Un avertissement pour le spatial français
Au-delà du cas de Dark, cette faillite interroge la stratégie nationale du New Space. Le modèle actuel, reposant sur des appels à projets ponctuels et des aides limitées, montre ses limites. Faute d’un ancrage industriel ou d’un cadre européen fort, les initiatives audacieuses s’éteignent les unes après les autres.
L’échec de Dark n’est donc pas isolé : il révèle la fragilité d’une filière qui peine à concilier innovation, souveraineté et financement durable. Pour beaucoup d’experts, cette disparition pourrait servir d’électrochoc : sans réforme structurelle du soutien public-privé, la France risque de voir ses futures “étoiles” tomber avant même d’avoir atteint l’orbite.
