Fin mars 2023, le parquet national financier perquisitionne cinq grandes banques françaises dont la Société Générale, BNP Paribas et HSBC. Ces poids lourds du système bancaire français sont accusés d’avoir aidé des investisseurs à échapper à l’impôt sur les dividendes. Si les drames de l’insécurité font régulièrement la une de l’actualité, la criminalité en col blanc est plus souvent passée sous silence. Elle est pourtant la plus couteuse et pèse le plus sur le quotidien des Français. Tour d’horizon des grands scandales financiers internationaux de ces dernières années.
Des Cumex aux Luanda Leaks : tour d’horizon de la criminalité en col blanc
La Société Générale, BNP Paribas, Exane, Natixis et HSBC sont visés par cinq enquêtes préliminaires ouvertes en décembre 2021. Toutes sont accusées de blanchiment d’argent aggravé et fraude fiscale aggravée. Pour la Société Général et BNP s’ajoute une accusation relative au schéma de fraude dit « CumCum »[1]. Il s’agit d’une pratique qui consiste à contourner les règles fiscales en exploitant les différences de traitement fiscal entre deux pays. Ici, les investisseurs ont voulu éviter de payer des impôts sur les dividendes reçus de sociétés étrangères. Pour ce faire, les investisseurs vendent temporairement les actions juste avant la date de détachement des dividendes, puis les rachètent juste après, pour bénéficier du traitement fiscal plus favorable dans leur pays d'origine. Ces transactions sont parfois organisées à travers des prête-noms ou des sociétés écrans pour rendre difficile l'identification du véritable bénéficiaire des dividendes. En 2021, l’estimation pour la France du manque à gagner de recette fiscale causé par cette pratique était de 33 milliards d’euros[2].
La banque suisse UBS au cœur d’un scandale de corruption
En 2019, c’est la banque suisse UBS qui est impliqué dans un grave scandale de corruption. La banque est accusée d’avoir facilité la corruption dans plusieurs pays comme l’Argentine, la Grèce ou la Malaise. Des pots-de-vin ont été versés à des responsables gouvernementaux afin d’obtenir des contrats et éviter des impôts à des clients. Plus grave encore, la banque aurait facilité le blanchiment d’argent en aidant des clients à transférer de l’argent illégalement. Ces pratiques illégales de corruption ont conduit à une condamnation à 4.5 milliards d’euros en France, une amende record pour l’évasion fiscale dans le pays… Avant d’être réduite à 1,8 milliards en appel[3]. Dans le même temps, cinq anciens dirigeants et cadres d’UBS ont été condamnés à des peines allant de six à dix-huit mois de prison, avec sursis. Cette peine était assortie d’amende de 50.000 à 300.000 euros[4]. Bien que cette affaire ait un impact majeur sur la réputation d’UBS, les acteurs principaux de cette fraude massive n’iront jamais derrière les barreaux.
La fille d’un ancien président et le milliard envolé
En Afrique, la corruption est malheureusement une affaire courante, comme l’illustre les classements et les rapports de Transparency International. Certains cas peuvent parfois prendre des ampleurs considérables, comme ce fut le cas avec l’affaire de la dette cachée au Mozambique en 2016[5]. En 2020, c’est la fille de l’ex-président angolais qui est accusé de détournement d’argent. Selon un rapport publié par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), Isabel dos Santos aurait détourné un milliard d’euros de fonds publics issus d’entreprises publiques vers des paradis fiscaux[6]. Selon ces dossiers, la femme d’affaire aurait été au cœur d’une nébuleuse d’au moins 400 sociétés dans 41 pays, remontant parfois jusqu’aux années 1990. Ce système impliquait un grand nombre d’intermédiaires, parmi lesquels des banques et des sociétés de conseils occidentales comme PwC ou le Boston Consulting Group[7]. Ces derniers, concentrés sur l’appât du gain, auraient délibérément ignoré les signaux d’alarme. Ici, les sanctions appliquées furent rapides et efficaces. En novembre 2022, Interpol a émis un mandat d'arrêt international contre Isabel dos Santo. Un mois plus tard, tous les biens d’Isabel dos Santos étaient saisis dans toutes les institutions bancaires. Bien que des actions judiciaires pèsent sur elle, la femme d’affaire angolaise poursuit une existence dorée à Dubaï où la loi la protège[8].
Abliazov, le réfugié kazakh aux 7 milliards
Plus rocambolesque, Moukhtar Abliazov est un oligarque kazakh condamné dans son pays également en Ukraine et en Russie. Abliazov est un acteur politique important du Kazakhstan en tant que fondateur du parti d'opposition "Démocratie du Kazakhstan". Il a été élu au Sénat kazakh en 2004, mais a rapidement démissionné de son poste pour protester contre les politiques du président Nursultan Nazarbayev, qu'il considérait comme antidémocratiques. En 2009, il est accusé d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars de la banque BTA qu’il dirigeait. Ablyazov et ses associés ont créé pendant plusieurs années un réseau complexe de sociétés écrans pour transférer des fonds de la banque vers des comptes offshore[9]. Ces opérations ont permis à l’homme d’affaire de s'enrichir personnellement tout en laissant la banque au bord de la faillite. Les enquêteurs ont découvert que la banque avait accordé des prêts à des sociétés écrans, qui n'avaient pas les moyens de les rembourser. Les fonds ont ensuite été transférés vers des comptes offshore contrôlés par Ablyazov et ses associés, qui ont utilisé l'argent pour acheter des biens immobiliers, des avions privés, des bateaux de luxe, des voitures de sport et des œuvres d'art[10].
Poursuivis pour détournement de fonds, il se rend dans un premier temps au Royaume-Uni avant de fuir pour la France à la veille d’une condamnation. Il est cependant arrêté en 2013 près de Grasse. Après plusieurs années de procès, il obtient en 2022 l’abandon des poursuites judiciaires en France[11]. Il perd, en revanche, à la fin de l’année 2022, son statut de réfugié.
Une insuffisante réponse politique
Cette décision illustre le manque de fermeté vis-à-vis des crimes financiers. On remarque que si des peines sont prononcées, elles le sont tardivement ou sont allégées, voire ne sont pas prononcées dans les faits. Il se pose donc la question de la volonté réelle du pouvoir politique de faire appliquer les peines. Notamment des acteurs de cette taille et de cette influence. De facto, s’il existe une volonté apparente de lutter fermement contre les grands crimes financiers et la corruption, les responsables ou complices ne risquent rarement plus qu’un sursis et une amende financière.
[1] https://www.lecho.be/entreprises/banques/soupcons-de-fraude-fiscale-geante-des-perquisitions-dans-cinq-banques-en-france/10456846.html
[2] https://www.francetvinfo.fr/economie/impots/cumex-files-ce-que-l-on-sait-du-pillage-fiscal-a-140-milliards-deuros-revele-par-plusieurs-medias_4815903.html
[3] https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/ubs-condamne-en-appel-a-verser-18-milliard-deuros-1372080
[4] https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/services/fraude-fiscale-la-banque-suisse-ubs-condamnee-a-une-amende-record-de-3-7-milliards-d-euros_AV-201902200055.html
[5] https://www.jeuneafrique.com/1226640/economie/scandale-de-la-dette-cachee-au-mozambique-ou-sont-passes-les-2-milliards-de-dollars/
[6] https://www.icij.org/investigations/luanda-leaks/
[7] https://www.rtl.fr/actu/international/affaire-dos-santos-qu-est-ce-que-les-luanda-leaks-7799949896
[8] https://www.courrierinternational.com/article/corruption-recherchee-par-l-angola-isabel-dos-santos-mene-une-vie-de-fugitive-tranquille-a-dubai
[9] https://www.reuters.com/article/bta-ablyazov-khrapunov-idUSL8N13767J20151112
[10] https://www.reuters.com/article/kazakhstan-banker-assets/private-jets-luxury-flats-seized-from-kazakh-banker-idUKLV39270020090331?edition-redirect=in
[11] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/abandon-des-poursuites-contre-l-opposant-kazakh-abliazov-le-parquet-general-forme-un-pourvoi-en-cassation-20220120