Pour un frein de la dette aux États-Unis

R James Breiding a obtenu une maîtrise (diplôme des études supérieures) de l’Ecole John F Kennedy de Gouvernement à l’Université de Harvard et de l’Institut for Management Development (IMD) de Lausanne. Il analyse dans cet article les grandes différences entre la gestion de la dette en Suisse et aux Etats-Unis.

James Breiding
Par R. James Breiding Publié le 6 juin 2023 à 5h11
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31000 MILLIARDS $La dette des USA dépasse les 31.000 milliards de dollars.

Depuis 1960, les États-Unis ont relevé le plafond de leur dette à 78 reprises – bientôt 79, si le Congrès approuve le tout dernier accord de dernière minute. Sur un mur de Manhattan, non loin de Times Square, un large panneau affiche en temps réel le montant de la dette nationale.

Depuis son installation en 1989, cette horloge de la dette nationale progresse inexorablement à la hausse, étant passée de 2 700 milliards à plus de 31 000 milliards aujourd’hui. Jamais l’économie américaine et l’économie mondiale n’ont été aussi endettées. Depuis l’an 2000, le stock de la dette mondiale a explosé, étant passé de 87 000 milliards $ à plus de 300 000 milliards actuellement – une cadence presque deux fois supérieure à celle de la croissance du PIB mondial.

En laissant de côté les théâtralités, intrigues et stratégies politiques qui accompagnent de nos jours chaque augmentation du plafond de la dette américaine, existe-t-il un moyen de stopper ou de ralentir l’horloge ?

Au tournant du dernier siècle, la Suisse a élaboré une solution appelée « frein de la dette », qui impose au gouvernement fédéral d’équilibrer ses budgets sur la période d’un cycle économique. Face au creusement de la dette publique ainsi qu’à des déficits à répétition dans les années 1990, un groupe d’économistes et de politiciens suisses ont commencé à préconiser un amendement constitutionnel visant à limiter les dépenses et emprunts de l’État. En 2001, la gouvernement suisse a proposé le frein de la dette, qui a été très largement approuvé par les électeurs dans le cadre d’un référendum, et qui est devenu partie intégrante de la Constitution du pays.

Cette mesure a produit des effets remarquables. Depuis son adoption, la dette publique totale en tant que part du PIB a diminué pour passer de 30 % à 20 %. Sur la même période, la dette a grimpé jusqu’à des niveaux sans précédent en Grande-Bretagne (186 %), au Japon (227 %), aux États-Unis (123 %) et ailleurs.

Si le frein de la dette suisse fonctionne, c’est parce qu’il vise un objectif simple et convaincant : limiter la croissance de la dette publique en empêchant le gouvernement de dépenser de l’argent dont il ne dispose pas. Étant par ailleurs ancré dans la Constitution, il revêt un haut niveau de légitimité politique, et n’est pas facilement révocable ni amendable. Fixer un repère clair par rapport auquel mesurer les progrès, c’est rendre les dirigeants élus plus responsables auprès des citoyens qu’ils représentent, c’est éliminer la tentation de creuser la dette pour obtenir une réélection tout en transmettant aux générations futures le fardeau de son remboursement.

Dans le même temps, le frein de la dette n’est pas une camisole de force. Il inclut des stabilisateurs automatiques et contracycliques, qui permettent des déficits temporaires lors de périodes de fébrilité économique, par exemple durant la crise du COVID-19, et il encourage au remboursement de la dette en périodes favorables.

Aujourd’hui, la Suisse bénéficie d’une notation de crédit AAA, ce qui n’est pas négligeable dans un monde aux coûts d’emprunt croissants. Aux niveaux actuels de la dette et des taux d’intérêt, le contribuable américain dépense environ 15 fois plus en paiement d’intérêts que le contribuable suisse. Et pendant que la Suisse libère ainsi des ressources à investir dans l’éducation, la recherche, la garde d’enfants ainsi que plusieurs autres biens et services publics essentiels, les petits-enfants des contribuables américains vont devoir assurer le service de la dette sans en avoir jamais observé les bienfaits.

Il ne s’agit pas de nier l’importance du contrat social intergénérationnel, les plus âgés transmettant leurs traditions et leur sagesse aux jeunes, qui de leur côté apportent points de vue différents, idées nouvelles et avancées technologiques. Pour autant, le deal doit être équitable pour tous. Le terme allemand schuld signifie en effet « dette », mais également « culpabilité » – sorte de synonyme moral qui nous rappelle la nécessité d’honorer notre part du contrat.

Certes, la Constitution des États-Unis est immensément plus difficile à modifier que la loi suprême suisse. Il n’en demeure pas moins que les pères fondateurs américains considéraient l’accumulation de la dette publique comme une question d’importance fondamentale. Ils avaient compris qu’une dette excessive était susceptible de peser lourd sur les générations futures, de menacer la stabilité économique, et de compromettre l’indépendance nationale. Ils savaient que l’excès de dette avait entraîné la chute de l’Empire romain, de la monarchie française, de la République néerlandaise, et de l’Empire espagnol. Le recette du désastre avait toujours été la même : guerres coûteuses et dépenses extravagantes.

Les fondateurs de l’Amérique croyaient au contraire en l’importance de la responsabilité budgétaire, et préconisaient des dépenses publiques limitées, afin d’éviter une dette excessive. Alexander Hamilton considérait que l’État devait jouir de l’autorité d’emprunter de l’argent à la stricte condition que « la création de dette s’accompagne toujours des moyens d’éteindre celle-ci ». Thomas Jefferson ajoutait : « Pour préserver l’indépendance [du peuple], nous ne devons pas laisser nos dirigeants faire peser sur nous une dette perpétuelle ».

C’est ainsi que la Constitution des États-Unis a prévu des garde-fous pour empêcher les abus de pouvoir, y compris l’irresponsabilité budgétaire. Ses rédacteurs confiant le pouvoir de dépenser à la branche législative, leur intention consistait à assurer une surveillance et un contrôle sur les dépenses.

La Constitution américaine a été amendée seulement 27 fois depuis 1787, tandis que le texte suisse l’est régulièrement. Un processus rigoureux et difficile implique certes une légitimité forte, qui n’a pas fait défaut lorsque 85 % des citoyens suisses ont voté en faveur de la mise en place d’un frein de la dette. Les citoyens américains méritent une chance de décider s’ils souhaitent que soit appliquée une mesure comparable.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2023

James Breiding

R. James Breiding est l’auteur des ouvrages intitulés Swiss Made: The Untold Story Behind Switzerland’s Success (Profile Books, 2013) et Too Small to Fail: Why Some Small Nations Outperform Larger Ones and How They Are Reshaping the World (Harper Business, 2019)

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