Comment faire fonctionner une horloge nucléaire ?

Même si elles ne sont pas principalement utilisées pour donner l’heure, les horloges nucléaires pourraient permettre aux scientifiques de tester la compréhension fondamentale qu’a l’humanité de la réalité.

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Par Horizon Publié le 15 avril 2023 à 9h42
Horloge Atomique Recherche Science Creation
250000 EUROSLe thorium à un faible coût, environ 250.000 euros la tonne

Thorsten Schumm est horloger, mais pas le genre d’horloger à s’asseoir devant un établi couvert de ressorts et de rouages, une loupe grossissante coincée dans l’œil. Non, la pièce d’horlogerie qu’il fabrique est tout autre.

On entend assez souvent parler d’horloges atomiques, mais si les recherches de M. Schumm se déroulent comme prévu, c’est une horloge nucléaire qu’il pourrait parvenir à mettre au point. Et loin de se contenter de donner l’heure, cette horloge pourrait aider à percer certains des secrets les mieux gardés de l’univers.

«C’est encore du domaine du rêve», a déclaré M. Schumm, professeur à l’Université de technologie de Vienne en Autriche. «Personne ne sait comment encore comment en fabriquer une.»

M. Schumm a l’intention de changer les choses et de faire la lumière sur certaines des forces fondamentales de la nature.

Fraction de seconde

Une horloge peut être basée sur tout ce qui oscille à intervalles réguliers et qui peut être lu. Les premières horloges étaient mécaniques. De nombreuses montres reposent aujourd’hui sur les oscillations électromécaniques d’un cristal de quartz.

Mais la technologie des horloges est montée d’un cran dans les années 50 avec l’apparition des horloges atomiques.

Les atomes sont constitués d’un noyau entouré d’un nuage d’électrons en orbite. Le «tic-tac» d’une horloge atomique dépend des «transitions quantiques» opérées par ces électrons.

Voilà comment ça marche. Les électrons peuvent absorber un paquet d’énergie, ce qui les fait passer d’un «état fondamental» à un «état excité» d’énergie plus élevée. Ensuite, ils peuvent retomber à l’état fondamental, libérant ce paquet d’énergie pendant la descente.

Ces transitions énergétiques se produisent selon une fréquence particulière qui peut être utilisée pour mesurer le temps. Tout ceci se produit étonnamment vite.

Par exemple, officiellement, une seconde correspond à 9 192 631 770 oscillations d’un paquet d’énergie excitant un atome de césium-133.

Si les horloges atomiques sont si précises, c’est qu’elles produisent énormément d’oscillations, ou transitions. Ainsi, si le mécanisme de lecture manque une ou deux transitions, cela ne pose généralement pas de problème étant donné qu’il y en a plus de 9 milliards par seconde.

Les horloges nucléaires fonctionnent différemment. Leur «tic-tac» ne dépendrait pas des électrons mais plutôt des vibrations du noyau lui-même. Ces dernières sont beaucoup plus rapides que celles des transitions électroniques.

Mais, comme le dit M. Schumm, du travail est encore nécessaire pour parvenir à faire fonctionner une horloge nucléaire.

Heureuse coïncidence

Il s’est intéressé à ce mystère nucléaire un peu par hasard.

Il s’avère qu’un isotope rare du thorium-229 est de loin le matériau le plus simple à partir duquel une horloge nucléaire pourrait être fabriquée. En pense en effet qu’il a les oscillations les plus lentes de tous les noyaux. De plus, l’institut dans lequel M. Schumm travaille est l’un des rares à y avoir accès.

On ne trouve pas le thorium-229 dans la nature. On l’obtient seulement par désintégration nucléaire de certains types d’uranium.

L’Université de technologie de Vienne a passé un accord avec l’Oakridge National Laboratory, aux États-Unis, qui lui fournit du thorium-229 issu de restes d’uranium utilisé lors d’essais nucléaires effectués il y a plusieurs décennies.

Il n’avait pas échappé à M. Schumm que son prénom et le nom de cet élément venait tous deux du mythique dieu nordique Thor.

«Cela m’a titillé», dit-il.

Il était temps

Depuis 2020, M. Schumm effectue des recherches fondamentales sur la création d’une horloge nucléaire dans le cadre du projet ThoriumNuclearClock, financé par l’UE et qui court jusqu’à début 2026.

M. Schumm et son collègue, le professeur Ekkehard Peik de l’Institut national de métrologie de Braunschweig, en Allemagne, sont les chercheurs principaux du projet, avec Marianna Safronova de l’Université du Delaware, aux États-Unis, et Peter Thirolf de l’Université LMU de Munich, en Allemagne.

Faire fonctionner une horloge nucléaire exige d’utiliser un laser réglé avec précision sur le niveau d’énergie adéquat. Mais pour la plupart des noyaux, la fréquence d’énergie nécessaire est loin d’être accessible avec la technologie laser actuelle.

Le thorium-229 est l’un des plus gros noyaux stables. On pensait qu’il pourrait adopter un état présentant la très faible quantité d’énergie qui peut être atteinte par les lasers actuels, même si personne ne comprend vraiment comment, ni pourquoi.

«En fait, il n’était même pas certain que cet état du thorium-229 existait vraiment», a déclaré M. Schumm.

Maintenant, on sait qu’il existe. En 2020, M. Schumm et ses collègues ont publié une mesure du niveau d’énergie de l’isotope. Depuis, ils ont continué de compléter ces connaissances.

Tout ceci laisse entrevoir la possibilité de réaliser un test réel de l’horloge. M. Schumm et ses collègues chercheurs ont travaillé à l’élaboration d’un laser spécialement conçu pour exciter le thorium exactement à la fréquence adéquate.

Ils prévoient d’être en mesure, prochainement, de diriger pour la première fois ce laser vers certains atomes de thorium piégés dans le but de déclencher chez eux l’oscillation souhaitée.

«Nous sommes impatients de pouvoir réaliser cette expérience, car c’est quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant», a déclaré M. Peik. «Comme d’autres chercheurs, nous avons fait plusieurs expériences dans ce domaine avec le thorium-229, mais sans rencontrer le succès escompté. Cette fois, nous pensons être beaucoup mieux préparés.»

Clair comme du cristal

Pour les besoins de ces expériences, les atomes de thorium seront confinés dans des pièges atomiques, une opération très minutieuse. Ainsi, parallèlement au projet ThoriumNuclearClock, M. Schumm a également dirigé un projet de deux ans financé par l’UE intitulé CRYSTALCLOCK, qui avait pour objectif de mettre au point un mécanisme de conception et de lecture plus simple adapté à une horloge nucléaire.

L’idée était ici de faire pousser un cristal constitué de fluorure de calcium en faisant en sorte de disperser des atomes de thorium-229 dans tout le matériau. Le matériau ainsi obtenu est à la fois solide et beaucoup plus facile à utiliser que les pièges à atomes.

M. Schumm et ses collègues, dont le Dr Tomas Sikorsky, ont publié un article démontrant que ces cristaux dopés au thorium pourraient être cultivés en 2022. La prochaine étape consistera à commencer à chercher comment lire l’oscillation de ces cristaux.

M. Schumm indique qu’une technique de «tomographie nucléaire» pourrait être adaptée à cette fin et que l’ensemble du processus serait alors beaucoup plus simple que d’utiliser des atomes de thorium dans des pièges.

Forces de la nature

Le jeu en vaut la chandelle, non seulement parce que nous avons besoin d’horloges plus précises mais surtout parce que cela permettrait de tester la compréhension fondamentale qu’a l’humanité du fonctionnement de la réalité.

Les meilleures théories de physique expliquent que l’univers repose sur quatre forces fondamentales: l’interaction gravitationnelle, l’interaction électromagnétique, l’interaction faible et l’interaction forte. Ces forces sont connues et ces chiffres sont souvent désignés comme étant les «constantes» fondamentales.

Mais on ne sait pas si ces forces ont été et seront toujours les mêmes. Certains signes laissent penser qu’elles étaient beaucoup plus élevées à une époque très lointaine proche du Big Bang, et qu’elles pourraient même encore changer de façon infime.

Les horloges atomiques et nucléaires pourraient offrir la possibilité de tester ces hypothèses. Le «tic-tac» d’une horloge atomique étant surtout affecté par la force de l’électromagnétisme, un changement de la vitesse de l’oscillation pourrait suggérer une modification de la force sous-jacente.

Toutefois, l’interaction électromagnétique étant très faible, les horloges atomiques, en dépit de leur extraordinaire précision, pourraient ne jamais être en mesure de capter un tel changement.

Les transitions de l’horloge nucléaire sont, en revanche, influencées par l’interaction forte. Ainsi, si une horloge nucléaire fonctionnelle devait un jour être créée, elle pourrait être utilisée pour surveiller si des changements se produisent au niveau de l’interaction forte au fil du temps.

«Passer des atomes aux noyaux n’a pas pour but d’obtenir une horloge plus précise», a déclaré M. Schumm. «En fait, il est probable que la première horloge nucléaire ne sera pas aussi performante que les meilleures horloges atomiques. Le but est plutôt de mettre au point un tout nouveau type de technologie qui pourrait essentiellement tester l’interaction forte.»

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du Conseil européen de la recherche et des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA) de l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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