Combattre le feu par l’innovation: une initiative paneuropéenne contre les incendies de forêt extrêmes

Des chercheurs, des pompiers et des communautés financés par l’UE ouvrent la voie à des méthodes innovantes et collaboratives pour aménager des paysages capables de résister à des incendies de forêt de plus en plus dévastateurs.

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By Horizon Published on 8 août 2025 5h00
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Hollywood en feu : déjà 50 milliards de dollars de dégâts, et ce n'est que le début - © Economie Matin
31% le nombre de feux devrait augmenter de 31 % à la fin du siècle par rapport à la moyenne des années 2010

Asier Larrañaga Ochoa de Eguileor, spécialiste des incendies de forêt au Service d'incendie et de secours de Catalogne, a été témoin de l'incendie de Solsonès en Espagne en 1998, un événement qui reste gravé dans sa mémoire car il s’est accompagné d’une prise de conscience.

«La formation théorique que j’avais reçue sur les incendies ne me préparait en rien à ce que j’ai rencontré sur le terrain. Les feux sautaient d'une vallée à l'autre. Les coupe-feu ne servaient à rien. C’est alors que j’ai compris que nous faisions face à un type de menace différent.»

Des observations ultérieures sur les incendies de forêt ont confirmé ce qu'il avait vu. De la Grèce au Chili, les incendies brûlent désormais plus vite, plus fréquemment et de manière plus imprévisible que par le passé.

D'après le service d'information de la Commission européenne, le Centre commun de recherche, plus de 60 000 feux de forêt consument chaque année en moyenne un demi-million d'hectares dans l'UE, entraînant des pertes humaines et économiques se chiffrant à environ 2 milliards d'euros.

L'ampleur et la nature imprévisible de ces incendies ont mis en évidence les lacunes des techniques traditionnelles de lutte contre les incendies. C'est ici qu'entre en jeu une initiative financée par l'UE nommée FIRE-RES, qui propose une approche intersectorielle pour faire face à l'aggravation des incendies de forêt.

Un nouveau terme, «incendies de forêt extrêmes», est utilisé pour décrire ces feux qui défient les efforts de contrôle, génèrent leurs propres conditions météorologiques et se propagent à une vitesse terrifiante. Relever ce défi n’exige pas seulement d’adopter de nouvelles technologies. Cela implique également de transformer radicalement la façon dont nous nous préparons et réagissons face aux incendies.

Une nouvelle stratégie: transformer les paysages

Coordonnée par le Centre de sciences et technologies forestières de Catalogne, l'initiative FIRE-RES a bénéficié d'une subvention de 20 millions d'euros afin d'aménager des territoires résilients aux incendies en Europe et dans le monde jusqu'à la fin de l'année 2025. Le projet réunit des chercheurs d'Espagne, de Grèce et de huit autres pays de l'UE, ainsi que du Chili et de la Norvège.

Le Dr. Antoni Trasobares, directeur du Centre de sciences et technologies forestières de Catalogne et titulaire d'un doctorat en sciences et économie forestières, coordonne les efforts des chercheurs. 

«Nous devons agir sur les éléments que nous pouvons maîtriser. Nous ne pouvons modifier ni le vent ni les vagues de chaleur, mais nous pouvons transformer nos paysages pour réduire le risque que ces incendies deviennent hors de contrôle», a déclaré M. Trasobares, qui a plus de vingt ans d’expérience en gestion forestière et coordination de recherche internationale.

FIRE-RES utilise 11 «Living Labs», ou zones d'essai à ciel ouvert, répartis dans autant de pays, dont deux laboratoires communs en Allemagne/Pays-Bas et Norvège/Suède. Pompiers, chercheurs, agriculteurs et communautés locales y testent nouvelles méthodes de lutte contre les incendies: alertes précoces par drones, outils de cartographie des zones à risque, brûlages préventifs et matériaux de construction ignifuges.

Conscients qu'il n'existe pas de solution universelle, les partenaires du projet adaptent leurs innovations aux spécificités régionales. Cela pourrait impliquer de protéger les limites entre zones urbaines et sauvages, d’utiliser des données météo avancées issues de drones ou de satellites pour surveiller en temps réel la santé de la végétation et la propagation du feu, ou encore de mettre en œuvre des brûlages contrôlés. 

Une autre méthode combine l'utilisation d'arbres et d'animaux de pâturage. L'objectif est de réduire la densité des arbres tout en permettant aux moutons, aux chèvres et au bétail de consommer herbe, arbustes et sous-bois, réduisant ainsi le combustible susceptible d’alimenter les incendies.

Face aux incendies, combiner l'innovation et la tradition

En Catalogne, des techniciens pompiers de l'équipe spécialisée des incendies de forêt GRAF, tels que Laia Estivill Gonzalez, utilisent déjà les outils de données de FIRE-RES pour anticiper le comportement des feux et former les chefs d’intervention.

«Nous échangeons nos connaissances avec les pompiers des Pays-Bas et du Chili. Ceci nous aide – et les aide – à réagir plus rapidement et plus intelligemment», a-t-elle expliqué.

«FIRE-RES combine science et savoirs locaux, particulièrement dans les régions rurales où les communautés vivent avec le feu depuis des siècles mais se sentent actuellement dépassées.»

Dans d'autres régions, comme en Sardaigne et en Aquitaine, les communautés remettent en vigueur des pratiques ancestrales telles que le pâturage des chèvres et les brûlages contrôlés afin de réduire le combustible disponible pour les flammes. En Galice, les habitants sont formés à la prévention des incendies par le biais du projet Fire-Safe Villages, qui intègre participation communautaire, gestion foncière et enseignement novateur.

Ces mesures réduisent les risques d’incendie et permettent de renouer le lien entre les populations et leurs paysages, tout en créant des emplois et en restaurant un équilibre naturel.

Une initiative particulièrement innovante a vu le jour dans les vignobles: le label FireWine. Les pompiers collaborent avec les viticulteurs pour réhabiliter les terrains agricoles abandonnés, ce qui réduit les risques d’incendie et donne naissance à des produits résilients et commercialisables.

«Il est essentiel de disposer de moteurs économiques qui favorisent la prévention des incendies», affirme M. Trasobares. «Cela permet de protéger à la fois le territoire et les moyens de subsistance.»

Réinventer la science du feu

Marc Castellnou, un analyste en stratégie de lutte contre les incendies de forêt en Catalogne, attire l'attention sur le fait que les incendies actuels remettent en question les croyances établies.

«Nous pensions autrefois que les incendies attisés par le vent et ceux alimentés par les panaches de fumée étaient des phénomènes différents», explique-t-il, faisant allusion à deux formes différentes d’incendies, l’un essentiellement propulsé par le vent et l’autre par la chaleur extrême du feu lui-même. «Toutefois, lors de l'incendie de La Jonquera [en Catalogne] en 2012, nous avons observé ces deux phénomènes se manifester en même temps. Ce constat a changé notre façon de voir les choses.»

Depuis, son collègue M. Larrañaga a analysé des incendies en Espagne, au Portugal et plus récemment en Grèce. L'analyse de l'incendie d’Alexandroupolis en 2023 (le plus grand feu de forêt jamais enregistré en Europe, qui a ravagé 94 000 hectares) a conduit à une véritable prise de conscience.

«Ces forêts sont des forêts méditerranéennes subhumides. Nous n'aurions jamais pensé qu'elles pouvaient entretenir des feux se déplaçant à 5 km/h pendant plus de douze heures. Mais c'est ce que nous avons observé», a-t-il déclaré. «Et des paysages similaires en Europe pourraient subir le même sort sous certaines conditions.»

Il a alerté sur le fait que se contenter d’éteindre les incendies témoignait d’une méconnaissance du problème.

«La technologie joue un rôle clé, mais les paysages et l'historique d'utilisation des terres dictent le comportement des incendies. Si nous n'intégrons pas le risque d'incendie dans l'agriculture, la sylviculture et l'aménagement du territoire, nous allons droit dans le mur.»

La nouvelle stratégie de l'UE cherche à combler ce fossé entre la science, la politique et la pratique quotidienne. Son modèle de gestion intégrée des incendies tient compte des aspects sociaux, économiques, culturels et écologiques.

«Le feu fait partie de la nature», a précisé M. Trasobares. «Nous devons arrêter de le voir exclusivement comme un ennemi et apprendre à le gérer de façon intelligente, comme le font les communautés autochtones depuis des siècles.»

L'équipe de FIRE-RES a exposé ses travaux à la Commission européenne et au Parlement européen, en mettant en avant un message clair: les paysages résilients devront être diversifiés, gérés et façonnés par les communautés.

Cette initiative transfrontalière démontre aussi l’intérêt d'une collaboration internationale.

«Les incendies de forêt ne sont pas un problème exclusivement national», a précisé Mme Estivill. «En partageant nos connaissances, nous établissons une nouvelle culture européenne de sécurité des incendies basée sur la prévention plutôt que sur la réaction.»

À l'écoute des acteurs locaux

M. Trasobares rappelle que le risque d'incendie est plus qu'un problème environnemental.

«Il est lié aux subventions agricoles, à l'exode rural, à la propriété forestière et même à l’éducation. Notre but est de faire collaborer tous ces secteurs.»

L’équipe de recherche prend aussi en compte les retours des intervenants sur le terrain: pompiers, propriétaires fonciers et responsables municipaux.

«Nous ne nous contentons pas de partager des innovations, nous les façonnons collectivement. Ce processus renforce la confiance et entraîne un changement durable», déclare Mme Estivill.

Alors que le projet doit se conclure en décembre 2025, l'équipe prépare déjà la prochaine étape: sa transformation en un pôle permanent de savoir et d'action.

«La base scientifique est fiable, les outils fonctionnent et les communautés sont impliquées», a affirmé M. Trasobares. «Pour développer ce projet, il nous faut désormais une volonté politique et des moyens financiers.»

En plaçant la science, l'innovation et les communautés au cœur de sa stratégie, l'Europe prend des mesures audacieuses pour anticiper la menace des feux de forêt.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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