Intégration des APL dans le revenu universel d’activité : comprendre les bouleversements en cours

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Par Eddie Jaquemart Publié le 19 décembre 2019 à 5h46
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5 EUROSLe gouvernement a baissé les APL de 5 euros en 2018.

En France, il existe aujourd’hui trois catégories d’aides personnelles au logement.

La première, appelée allocation de logement familiale (ALF), a été instaurée par la loi de 1948 pour le logement privé afin d’accompagner la sortie de l’encadrement des loyers qui faisait loi depuis 1914. La seconde, appelée allocation de logement sociale (ALS) est créée en 1972 et cible des publics spécifiques logés dans le parc privé, initialement des personnes en situation de handicap, jeunes salariés, demandeurs d’emploi de longue durée. Elle sera progressivement étendue, sous seule condition de ressources, à toutes les personnes exclues des autres aides au logement (ALF et APL). La troisième apparaît avec la loi Barre en 1977 : c’est l’aide personnalisée au logement qui concerne exclusivement le parc de logements conventionnés du parc social et partiellement du parc privé (convention ANAH). Cette APL, attribuée à des locataires, sous-locataires ou résidents, est versée mensuellement en tiers-payant aux propriétaires bailleurs. Accordée également aux accédants à la propriété familiale qui remboursent un prêt conventionné, elle est versée à la banque. La loi de finances 2018 est venue modifier l’octroi de l’APL accession au 1er février 2018 aux seuls foyers achetant un logement ancien dans une commune située en zone 3.

Depuis des années, l’objectif des gouvernements successifs est de réduire le budget alloué aux APL. Aujourd’hui, ce phénomène s’accélère dangereusement depuis l’arrivée à la présidence d’E. Macron : après avoir baissé les APL de 5 euros par mois pour l’ensemble des 6,5 millions d’allocataires, du parc privé comme du parc social, le gouvernement a souhaité aller plus loin en ponctionnant une partie des APL perçues par les organismes de logement social. A travers cette mesure, appelée « réduction de loyer de solidarité » (RLS), il a ainsi décidé de faire porter l’économie qu’il souhaitait réaliser sur le budget dédié aux aides au logement sur le seul secteur locatif social. Présentée comme une mesure indolore pour les locataires, cette décision a été rejetée par de nombreux acteurs du logement qui redoutaient, à juste titre, que la ponction sur la trésorerie des bailleurs sociaux n’aie pour conséquence une baisse de la construction et une baisse des réhabilitations et de l’entretien du parc de logements sociaux. Le temps a malheureusement donné raison aux opposants à cette mesure puisque les chiffres évoquent une baisse de 15 % entre 2017 et 2018 sur les mises en chantier de logements sociaux. Cette mesure avait pour but inavoué de commencer la restructuration du secteur HLM, que poursuivra la loi Elan avec des mesures structurelles.

Et les aides au logement n’ont pas fini d’être bouleversées puisque le gouvernement s’engage actuellement dans de nouvelles réformes. C’est tout d’abord la contemporanéité des APL qu’il s’apprête à mettre en place au 1er janvier 2020. La nouvelle formule consiste à modifier l’année de calcul des ressources des allocataires : les ressources de l’année N (année en cours, avec révision chaque trimestre) seront prises en compte et non plus celles de l’année N-2. Cette modification permettrait de supprimer l’Apl pour 1,2 million de foyers et impacterait particulièrement les jeunes et les précaires. Une dangereuse précarisation qui risque de créer des situations particulièrement complexes alors même que le coût de la vie pour les jeunes et les étudiants augmente deux fois plus vite que l’inflation. De la même manière, un jeune isolé de moins de 25 ans entrant dans la vie active avec un revenu autour de 750 euros et payant un loyer de 400 euros ne percevra plus que 165 euros d’APL au bout d’un an contre 366 euros actuellement. Son taux d’effort passera progressivement de 6 à 31 %, le gouvernement ayant décidé de mettre en place un forfait ressources afin de rendre la mesure moins brutale.

L’autre grand bouleversement qui s’apprête à malmener les allocataires de l’APL n’est autre que le fameux revenu universel d’activité (RUA), vaste chantier de refonte des aides sociales dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Le non-recours est une réalité puisque 30 % des bénéficiaires ne recourent pas au RSA et près de 70 % au RSA activité selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de mars 2018. Pour l’Assemblée nationale, ce taux important de non-recours découle de différents facteurs et possède plusieurs explications : abandon face à la complexité du processus, refus de l’assistanat, traumatisme à la suite d’une précédente expérience inaboutie, etc. Privilégiant la thèse de la trop forte complexité du système qui minerait « l’adhésion à notre modèle de solidarité en laissant penser qu’il est aisé de cumuler de multiples revenus sans chercher à travailler », le gouvernement note également que « la multiplicité des aides a un coût certain pour les finances publiques ».

C’est ainsi qu’il s’est lancé dès juin dernier dans le projet de refonte de ces aides en réunissant un comité national du RUA comprenant les associations, les territoires et les partenaires sociaux. En parallèle, une consultation publique a été mise en place sous différentes formes (consultation en ligne, concertation territorialisées et thématisées, « focus groups » composés de bénéficiaires et d’agents et jury citoyen).

Et malgré les protestations vigoureuses de l’ensemble des acteurs du monde du logement, le gouvernement vient d’annoncer l’intégration des APL dans le RUA. Le regroupement des aides sociales en un revenu unique devrait donc comprendre a minima le RSA, la prime d’activité et les aides personnelle au logement. La logique du gouvernement omet que chaque aide a son propre objectif et public : alors que le RSA et la prime d’activité sont des aides au retour à l’emploi, l’APL est de son côté destinée à subventionner la dépense logement des ménages modestes. L’aide au logement n’est pas une aide sociale et elle ne doit, par conséquent, pas être assimilée à ces dernières. Par ailleurs, cette réforme se fera avec une simulation à budget constant, autrement dit sans financement supplémentaire. Si la vocation première du gouvernement est d’inciter 30 % de la population à demander ses droits, on peut se demander où il entend trouver 5 milliards d’euros supplémentaires par an !

Plutôt que de les intégrer au futur revenu universel d’activité à travers un « supplément logement », les APL devraient être revalorisées pour enfin « soutenir le niveau de vie des ménages les plus modestes » comme l’affirme la note technique diffusée par le ministère des Solidarités et de la Santé dans le cadre de la concertation sur le RUA.

En conclusion, avec l’arrivée de ce nouveau gouvernement, les APL ont donc été la cible d’une attaque en 4 phases : la baisse mensuelle de 5 euros, la réduction de loyer de solidarité, la mise en place de la contemporanéité et le revenu universel d’activité.

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Né à Dunkerque, attaché à sa région et à son folklore, Eddie Jacquemart l'est également à ses origines sociales. Fils d'un docker et d'une petite commerçante, il a appris tôt l'importance des luttes sociales et de la solidarité. Il se souvient, par exemple, avoir fait du porte à porte dans son immeuble HLM pour soutenir financièrement une grève des dockers. Pour lui, les HLM, où il a découvert la salle de bain, sont un symbole du progrès social qu'il faut défendre à tout prix. Il rencontre la CNL en 1995 en créant une amicale HLM dans la banlieue lilloise. Trois ans plus tard, il devient le trésorier de la fédération CNL du Nord puis son président en 2000. A partir de 2006, il s'intéresse aux questions du logement des pays voisins et depuis 2009, il représente la CNL au Bureau de l’IUT (International Union of Tenants – Union internationale des locataires). En 2013, suite au 50e congrès national, il est élu président national de la CNL, réélu depuis en 2016 et 2019.

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