Cédric de Saint-Jouan : « Le biométhane arrive à maturité ». Interview exclusive

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Par Michel Delapierre Modifié le 29 novembre 2022 à 9h23
Biomethane

En février dernier, Engie se portait acquéreur de Vol-V Biomasse, filiale d’un groupe français spécialisé dans la production d’énergies renouvelables. Selon son fondateur, Cédric de Saint-Jouan, après l’éolien et le solaire, le développement du biométhane est devenu l’une des alternatives crédibles aux énergies fossiles.

Comment votre groupe est-il devenu leader dans la production de biométhane ?

Cédric de Saint-Jouan : "Nous avons commencé à travailler sur cette source d’énergie il y a dix ans et notre première centrale a ouvert fin 2016. A la veille de la cession, nous étions le numéro un en France avec une vingtaine de projets opérationnels ou en construction. Dès le début, nous avons cherché à rationaliser et à industrialiser les process de développement, de production et la maintenance. La technologie est maitrisée, mais les process complexes (approvisionnement de substrats, logistique, gestion des digestats). Parvenir à maîtriser ces process a demandé beaucoup d’investissement en savoir-faire, en temps et en argent."

Comment s’inscrit le rachat de Vol V dans la stratégie générale d’Engie ?

" Les grands groupes ont été en retard dans le développement du biométhane. Mais, aujourd’hui, le secteur est très dynamique et double quasiment tous les ans. Le rachat de Vol-V Biomasse par Engie marque un tournant dans l’histoire du méthane car cette acquisition va structurer le marché.

En effet, Engie a compris que dans les années à venir, le gaz n’avait d’avenir en France que s’il était décarboné. Lors des scénarios présentés pour la future PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie), dont le décret devrait être publié cet été, le gaz a été très attaqué et l’on a vu le lobby électrique (et derrière lui le lobby nucléaire) plaider en faveur de scénarios uniquement électrique au dépend du gaz. Aujourd’hui, si l’énergie issue de l’éolien et du solaire revient beaucoup moins chère que la production nucléaire, celle-ci reste intermittente. Un scénario purement électrique justifierait le maintien, peut être la relance de la capacité nucléaire.

De son côté, Engie, qui gère les infrastructures de distribution en gaz par l’intermédiaire de GRDF et de GRT, doit préserver l’entretien de ce gigantesque réseau, une véritable cathédrale souterraine. Le recours au biométhane, qui permet de décarboner le gaz, prend dès lors tout son sens : Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, a annoncé en novembre dernier un plan de 800 millions d’euros destiné à ce secteur sur les 10 ans à venir. En achetant Vol-V Biomasse, Engie fait un grand bond en avant et met la main sur un savoir-faire structuré. Mais leur modèle sera différent du nôtre : nous étions propriétaires à 100% des actifs, eux veulent faire rentrer des agriculteurs et des fonds. Engie va donc rapprocher notre modèle des agriculteurs. La neuvième centrale sera mise en service courant juin. Dix projets de plus sont d’ores et déjà autorisés. Un rythme de cinq centrales supplémentaires par an est tout à fait tenable. Cela représente un énorme potentiel de développement."

Quel avenir pour Vol-V désormais ?

" La production et la distribution d’énergie connaissent des vagues successives de révolutions : après l’éolien et le solaire dans le renouvelable, le gaz de schiste ou encore les batteries au lithium ont connu une chute massive de leurs coûts de production… Il y aura bientôt une « révolution de l’hydrogène », dans le sens où il ne s’agit pas uniquement de produire une nouvelle énergie, mais il faut revoir tout le système de transport, et adapter tout le système productif pour pouvoir utiliser cette nouvelle énergie, dans l’industrie lourde mais aussi dans le transport. Il faudra faire plus de véhicules ou de bornes de carburant à hydrogène. Cela représente des opportunités de business quasiment infinies ! Ce changement massif n’a de sens que s’il utilise un hydrogène décarboné.

Chez Vol-V, nous allons continuer à investir en nous focalisant sur la transition énergétique et la lutte contre le dérèglement climatique. Notre action n’a de sens que dans cette optique."

Quelle est la ligne politique actuelle concernant le biométhane ?

" L’une des exigences du gouvernement est de voir le prix du biométhane baisser comme le prix de l’éolien et du solaire l’ont fait. Avec l’éolien et le solaire, cela s’est fait de manière naturelle avec la massification du marché et la baisse des coûts de production. Le gouvernement cherche les mêmes résultats avec le biométhane en déclenchant des appels d’offres, malheureusement les process sont beaucoup plus complexes et moins matures dans le biométhane.

Par ailleurs, les collectivités territoriales sont très intéressées par le biométhane qui touche principalement des zones agricoles et parfois délaissées. Quand l’éolien et de solaire créent assez peu d’emploi sur place, le biométhane, lui, propose un modèle de projet type de l’économie circulaire : des déchets locaux issus de l’agriculture, traités sur place et qui permettent de produire du gaz qui est injecté et consommé localement.

Pour le moment, l’énergie issue du biométhane est trois fois plus chère que le prix du marché et deux visions s’affrontent : la première, technocrate, considère les énergies renouvelables comme un coût, c’est ce que défendent le ministère de l’Economie et la CRE (Commission de Régulation de l’Energie). La seconde, politique, consiste à considérer que le renouvelable représente le monde de demain, qu’il faut investir pour prendre des parts dans ses nouvelles technologies industrielles, exportables et créatrices d’emplois.

Or, aujourd’hui, les élus locaux pèsent moins que Bercy et ses exigences budgétaires. Si les coûts de l’éolien et du solaire ont baissé, c’est qu’un marché a pu être créé. Dans le cas du biométhane, les autorités veulent une baisse préalable à l’ouverture du marché. C’est possible mais ça va s’inscrire dans le temps. Rappelons que pour l’éolien, il a fallu plus de quinze ans, pour le solaire plus de dix.

Face à la vision plus technocrate, on assiste à des réactions des agriculteurs, des parlementaires, dont 140 ont écrit une lettre qui dit « on veut du biométhane » pour le développement des territoires. Les présidents de région ont également fait une lettre dans le même sens. Mais comme la décision prendra la forme d’un décret, ça ne se passera pas à l’Assemblée."

Le biométhane est-il une piste de développement sérieuse pour la filière agricole ?

" Les agriculteurs connaissent une crise structurelle : pour eux, la production d’énergie permet une rationalisation de la gestion leur exploitation et de leur terre ainsi qu’une source de revenu supplémentaire.

L’agriculture s’est organisée pour pouvoir opérer une mutation autour de l’énergie. Ils ont monté une association avec GRDF, France Gaz Renouvelable qui vise à défendre l’intérêt des agriculteurs, et qui témoigne que le biométhane connait un soutien très fort de la part de ce secteur."

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