Changement climatique et migration : entre stratégie d’adaptation et déplacement involontaire

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Par Katrin Millock Modifié le 13 avril 2015 à 10h21
Migration Monde Changement Climatique Planete
232 millionsOn recensait en 2013 dans le monde pas moins de 232 millions de migrants internationaux.

La migration induite par le changement climatique, peut-elle être perçue comme une stratégie d’adaptation au changement climatique ou doit-elle être analysée uniquement sous l’angle d’un déplacement involontaire ? La mobilité des populations peut réduire la vulnérabilité des personnes exposées et, dans ce sens-là, les migrations peuvent représenter une stratégie d’adaptation efficace.

Cette intervention tentera d’expliquer le paradigme autour du changement climatique et de la migration a évolué au fil des ans : on est passé d’estimations imprécises ou des études de cas à des études plus quantitatives. Le 5ème rapport d’évaluation du groupe de travail II du GIEC, qui traite des incidences et de l’adaptation au changement climatique, rappelle qu’il y a une forte probabilité d’accroissement des flux migratoires suite aux changements climatiques mais qu’il reste beaucoup d’incertitude quant à la grandeur de ces flux. Actuellement, nous ne savons pas quantifier les flux potentiels induits par le changement climatique, mais nous savons qu’ils seront plus probables dans le futur même si un accord ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre était conclu à Paris plus tard cette année. La migration commence donc, petit à petit, à être vue comme une stratégie d’adaptation parmi les autres.

Migrations : ce que nous apprend la recherche

Que nous apprend la recherche récente sur le sujet ? En premier lieu, le paradigme a évolué, on ne suppose plus que toute la population exposée migre suite à un événement extrême tel qu’une inondation ou une sécheresse sévère. Plutôt que de s’intéresser à la population exposée, on essaie de distinguer les facteurs de vulnérabilité qui rendent telle ou telle catégorie de la population vulnérable et plus susceptible de migrer, et à étudier leur interaction avec le degré d’exposition au facteur de changement environnemental et les caractéristiques socio-économiques des personnes exposées.

Le deuxième enseignement général concerne la nécessité de distinguer la nature du changement climatique dans la modélisation de la réponse migratoire. Certes, les images ou reportages dans la presse invoquent souvent des cas dramatiques tels que des ouragans, mais il y a aussi des changements plus lents qui sont moins extrêmes auxquels les personnes ont plus de temps à s’adapter. La forme de migration à laquelle on peut s’attendre dépend donc de la nature que prendrait le changement climatique dans chaque région particulière.

En troisième lieu, si une partie de la population exposée est particulièrement vulnérable et si l’interaction entre les facteurs économiques et environnementaux sont suffisamment forts pour créer des flux migratoires, ces flux se dirigeraient plutôt des zones rurales vers des zones urbaines, dans une première étape, avant d’induire des flux migratoires internationaux dans une deuxième étape. En particulier, même si la recherche récente rejette l’hypothèse de flux internationaux induits par des anomalies de température ou de précipitation, le plus probable est que ces flux migratoires suivraient des canaux de migration existants, si jamais il y avait une migration internationale, et ceci à cause des réseaux et donc des coût de migration moindre.

Les pays du sud doivent intégrer les flux migratoires

Voilà donc trois points principaux de la recherche récente. Le champ interdisciplinaire de migration et environnement est très investi actuellement avec le croisement des données climatiques avec des bases de données de recensement de migrants. Ces travaux contribuent à éclaircir le rôle potentiel de la migration comme stratégie d’adaptation entière. Il semble possible d’en déduire certaines implications politiques : ce seront surtout les pays au sud qui vont devoir intégrer ces flux migratoires, soit à l’interne soit dans des pays voisins. La menace brandie d’une autre source de flux immigrants vers l’Europe n’est peut-être pas le plus probable et l’impact premier serait sur les pays d’origine des migrants, en termes d’impact économique sur leurs marchés de travail et sur l’urbanisation accrue dans les pays les plus pauvres surtout.

En tant que tel cette forme de migration aggraverait des problèmes environnementaux ou sociaux déjà existants. Le rôle des politiques de soutien devrait donc être d’aider ceux pour qui cette migration n’est pas choisie à rester sur place ou de revenir s’il y a eu migration temporaire. Mais la migration n’est pas uniquement une source de problèmes, elle rapporte aussi des ressources aux non-migrants en termes de transferts financiers. Comme le savent bien les spécialistes de la question, ces transferts de fonds des migrants dépassent largement l’aide officielle au développement donnée par les pays les plus riches. L’utilisation de ces fonds et leur rôle dans l’adaptation au changement climatique est une question très importante.

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Katrin Millock, PhD, est chargée de recherche CNRS à l'Ecole d'Economie de Paris et au Centre d'Economie de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Spécialiste en économie de l'environnement et des ressources naturelles, elle travaille sur les politiques de l'environnement et a effectué des expertises pour l'OCDE et le Ministère français de l'Environnement. Plus récemment elle a piloté un projet financé par l'ANR sur la migration et l'environnement.

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