Les chefs d’orchestre français, persona non grata en France

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Par Philippe Herlin Publié le 23 juin 2020 à 6h38
Chef Orchestre France Culture Musique
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Deux nouveaux chefs viennent d’être nommés à la tête d’orchestres français, deux chefs inconnus et étrangers... Pourquoi ?

L’Orchestre de Paris vient de nommer son nouveau directeur musical, qui succèdera à Daniel Harding, il s’agit de Klaus Mäkelä, un jeune Finlandais de 24 ans. Il y a quelques mois, l’Orchestre National de France avait nommé le successeur d’Emmanuel Krivine, le Roumain de 39 ans Cristian Mãcelaru. Ces nominations ne manquent pas d’interpeller : pourquoi nommer des inconnus à la tête d’orchestres de réputation internationale, puisque c’est clairement le cas pour ces deux excellentes formations symphoniques. Et ensuite, n’y a-t-il pas des chefs français talentueux capables d’occuper ces postes ?

Il est normal que les orchestres de niveau international soient parfois dirigés par des chefs étrangers – la qualité avant tout – mais encore faut-il que ceux-ci soient des pointures et attirent la lumière (et les recettes), comme le britannique Daniel Harding à l’Orchestre de Paris. Ce n’est clairement pas le cas avec les deux susnommés. On ne sait pas vraiment d’où ils sortent, Mäkelä serait «prometteur», à seulement 24 ans, mais Mãcelaru ? Mystère.

Peut-être manque-t-on de bons chefs français ? Rien n’est plus faux, ils font des carrières souvent brillantes, mais à l’étranger ! Parmi les quarantenaires et les cinquantenaires, citons : Stéphane Denève (Orchestre philharmonique de Bruxelles, chef invité principal de lOrchestre de Philadelphie), Louis Langrée (Cincinnati, Mostly Mozart Festival), Frédéric Chaslin (Jerusalem Symphony Orchestra), François-Xavier Roth (Gürzenich de Cologne), Philippe Auguin (Washington National Opera), Bertrand de Billy (invité dans les grands opéras allemands et au MET de New York), Ludovic Morlot (Opéra de Seattle), Alain Altinoglu (invité des plus grands orchestres dans le monde), Lionel Bringuier (Tonhalle de Zurich). Tous auraient pu prétendre pourvoir aux deux postes cités.

Certes les carrières sont plus internationales qu’il y a quelques décennies, mais tout de même, les Allemands, les Anglais, les Italiens ne rejettent pas leurs directeurs musicaux hors de leurs frontières, ils font en sorte d’en garder une proportion significative chez eux. La France fait cavalier seul sur ce point, avec ses orchestres parisiens comme de régions, elle cultive un tropisme antinational, au point de préférer d’illustres inconnus à des chefs confirmés et reconnus, mais Français... Pourtant la «souveraineté» revient à la mode, le président Emmanuel Macron lui-même la défend, il serait peut-être temps de se mettre à la page.

Surtout, c’est le plus important, il en va de la qualité artistique intrinsèque de notre vie musicale : qui, mieux que des Français, pour travailler le «son» de nos orchestres dans nos compositeurs, et qui mieux qu’eux pour défricher notre répertoire et révéler toute sa richesse, au-delà des noms les plus connus, comme a su le faire Michel Plasson à Toulouse pendant 35 ans ? Oui, décidément, il est temps d’arrêter cette politique suicidaire.

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Philippe Herlin est économiste, Docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers, il a publié plusieurs ouvrages chez Eyrolles et rédige des chroniques hebdomadaires pour Goldbroker. Il écrit tous les vendredis un article sur l'art et la culture vus à travers l'économie, et intervient ponctuellement sur d'autres sujets. Son site : philippeherlin.com.

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