Les jeux dangereux de la BCE. L’argent et le temps valent zéro à ses yeux

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Par Alain Desert Publié le 24 septembre 2014 à 2h31

La majorité fait-elle la vérité ? Mr Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, aligne en cette rentrée économique 2014 toute une série de nouvelles mesures pour contribuer au redressement de l'économie poussive de la zone euro, avec une nouvelle fois des marchés euphoriques qui ont approuvé et applaudi. On verra dans cet article que la vision court terme des marchés financiers qui bénissent la BCE à chaque intervention, masque la dure réalité qui pourrait se présenter à nos yeux et à nos porte-monnaie dans quelques années, en réaction à une politique toujours plus accommodante, toujours plus orientée vers des assouplissements monétaires censés faciliter le crédit, la croissance, la remontée de l'inflation, l'assainissement des bilans bancaires, la fluidité des liquidités, tout cela accompagné du principal taux directeur à zéro (0,05% pour être précis) qui définitivement donne acte à la gratuité de la monnaie banque centrale.

Je vais essayer dans cet article de voir quelles (in)cohérences se dégagent de toutes ces mesures, bien évidemment non évaluées par les marchés, car je n'imagine pas un instant que ces mêmes marchés réagissant au quart de seconde à ces annonces, aient pu faire une analyse fouillée en prenant un peu de recul.

La force de frappe

Elle a frappé fort, très fort selon certains, pour en autres contrarier les anticipations déflationnistes des agents économiques, éviter toute panique, et démontrer que l'institution assoie sa suprématie à travers un homme capable de maintenir la barre d'un navire en détresse nommé « Europe ». Un navire qui prend l'eau de toute part, où tout se fissure, où il faut tout faire, tout entreprendre pour l'empêcher de couler.

Fallait-il frapper si fort ? Oui répondront une majorité d'analystes. Il fallait surprendre positivement en montrant une audace toujours plus forte, une ambition réelle pour relancer une croissance européenne en berne. Rares sont ceux qui développent une critique appuyée à l'égard de cette politique. La majorité ne fait pas la vérité, et pas davantage la minorité. La vérité bien souvent est ailleurs. Les marchés applaudissent aujourd'hui, mais applaudiront-ils demain ?

Pour éviter tout délire lexical, je m'abstiendrai de citer les acronymes chers à nos argentiers, et utiliserai des mots simples comme « actif, dette, prêt, crédit ».

Pousser la corde ne sert à rien

Certaines théories économiques nous enseignent qu'une politique monétaire ne peut avoir une grande influence sur la croissance, car c'est comme « pousser sur une corde ». La BCE, avec la fixation des taux directeurs à zéro peut difficilement « pousser » l'activité économique, par contre elle peut la freiner en relevant les taux d'intérêts, restreignant ainsi le crédit, donc la consommation. On peut prendre aussi l'image de la fenêtre : on ouvre la fenêtre pour faire entrer un peu d'air chaud s'il fait meilleur dehors, mais la refermer ne refroidira pas la pièce. Dans le monde de la physique les phénomènes sont souvent asymétriques (exemple des phénomènes entropiques), et il en est de même en économie (si on augmente la pression fiscale on obtiendra certains effets ; la baisser de la même valeur n'annulera pas tous les effets produits.

Exemple :
augmentation du travail au noir).


Aujourd'hui, la BCE participe à faire émerger les conditions de retour de la confiance, rassure les acteurs économiques, lubrifie les mécanismes économiques et financiers avec ses injections massives de liquidités, mais ne peut aller plus loin (la BCE fait tout ce qu'elle peut mais ne peut pas tout). Pour qu'un ensemble de mesures soient efficaces, il faut bien souvent les associer, les entreprendre en même temps. Ainsi Mr Draghi ne cesse d'interpeller les états récalcitrants, les enjoignant à faire leurs réformes structurelles, à mener la politique budgétaire adéquate qui parallèlement à la politique monétaire produirait les effets attendus.

La politique budgétaire appartient aux états, et c'est à eux, eux seuls, de mener les réformes, l'Europe ne disposant pas d'un budget communautaire digne d'une zone monétaire commune. De ce point de vue il a certainement raison. Mr Draghi a donné du temps, un temps limité, une ressource qui se raréfie quand les phénomènes s'accélèrent ; aux états, et surtout à la France, de mettre à profit ce temps.

Les rachats d'actifs et la tuyauterie bancaire

Depuis quelque temps nous avions tous oublié un mot à la mode en 2008 « le mot titrisation » pas très facile à prononcer, dont on devine facilement la racine : « le titre ». Je titrise, tu titrises, nous titrisons, ... Essayez de conjuguer, vous verrez, c'est un bon exercice. Redevons sérieux, la BCE a annoncé un programme de rachats de dettes privées pour soutenir le marché du crédit et à cette occasion on pourrait voir resurgir les processus de titrisation qui furent au cœur des polémiques lors de la crise de 2008-2009. Cela vous rappelle forcément quelque chose ... les Subprimes ...

Les banques vont donc construire autour d'elles une tuyauterie sophistiquée, ponctuée de nombreux points d'expertise pour faire sortir de leur bilan les crédits embarrassants, en confectionnant des paquets cadeaux attrayants, bien colorés, bien ficelés, qui après un transit vers une BCE généreuse devront attirer un marché qui n'aura vu que l'emballage sans se soucier des contenus. Les agences de notation qui ont failli dans leur jugement en notant « AAA » des produits toxiques, s'amuseront à noter ces paquets, séduites par les couleurs et les brillances, davantage que par les produits.

Malgré des incohérences manifestes, la planche à billet continue de tourner

Difficile de comprendre cette politique aux accents schizophréniques : d'un côté les banques ont dû renforcer leurs fonds propres, grâce à une restriction du crédit contribuant à l'allégement de leur bilan ; d'un autre côté la BCE sollicite les banques pour accorder davantage de crédits aux entreprises, à travers les opérations ciblées nommées T-LTRO et de rachats d'actifs (mince, j'avais dit que je n'utiliserai pas d'acronyme !). Les techniques différent mais en final la BCE fait tourner à plein régime la planche à billets, tout comme les Etats-Unis avec les opérations successives de « Quantitative Easing », car en rachetant des dettes privées elle permet aux banques de prêter à nouveau en créant de la monnaie.

Les banques ont bien évidemment intérêt à vendre du crédit. Plus elles en vendent, plus elles font de profits. Qui pourrait critiquer le boulanger de vouloir vendre toujours plus de baguettes ? Si la farine ne lui coûte rien, il pourra diminuer ses prix et en vendre davantage. Les banques vont donc avoir la possibilité de prêter à des entreprises avec en contrepartie l'accès à une matière première gratuite (liquidités banque centrale). N'est-on pas en train de marcher sur la tête ? La gratuité de l'argent banque centrale, une aberration économique que peu de gens réprouvent, entraîne le gaspillage et la gabegie d'une ressource certes illimitée en théorie, mais dont on doit entretenir une certaine rareté pour éviter tout effet indésirable tels que l'inflation, les bulles spéculatives, la déformation de la courbe des taux, l'emprunt d'état quasi-gratuit voire rémunéré sur le court terme (le prêteur accepte de perdre de l'argent en le confiant à des états impécunieux en quasi-faillite!), etc.

On a bien affaire à un système déviant dont on ignore le sens de la marche, la vitesse, privé de boussoles devenues inopérantes ou incapables de nous indiquer le Nord.

Les hommes oublient vite ...

Aurait-elle oublié que la crise actuelle est née aux Etats-Unis avec les Subprimes, les excès de distribution de crédits aux particuliers, aux opérations massives de titrisation qui ont permis aux banques de se soustraire aux risques inhérents à leurs activités en arrosant le marché mondial de produits toxiques? Certes, comparaison n'est pas raison, mais on sait très bien que de nombreux pays en Europe sont handicapés par la lourdeur des dettes aussi bien privées que publiques. On ne résout pas un problème de dette par de la dette supplémentaire, par une politique de fuite en avant.

Un jeu dangereux

Quel niveau de qualité pourra-t-on accorder à tous ces actifs inscrits au bilan de la Banque Centrale dans quelques années au moment venu de les revendre ?


Les états impécunieux et la BCE avancent en zone inconnue en transférant vers le sommet d'une pyramide (structures de contrôle et de régulation) toute une série de problématiques et vers la base (le peuple) un ensemble de risques financiers, vu qu'a à la fin des fins ce sera bien le contribuable qui paiera

1ère phase (lente): Transfert des problèmes et des risques : entreprises ou particuliers => banques => état => BCE
2ème phase possible (rapide): Transfert inversé des risques et des réparations : BCE => état => ménages.

Dans un premier temps les risques liés aux rachats d'actifs sont bien portés par la banque Centrale, mais comme toute entreprise elle peut faire face à des difficultés de gestion, à la dévalorisation de ses actifs, à un désintéressement envers ses produits installés en boutique et donc être en difficulté comptable quand bien même elle ait le pouvoir suprême de la création monétaire (je ne parle pas de faillite car une banque centrale ne fait pas faillite et ne disparaît pas). Ces dernières années nous ont enseigné que tout ce qui ne doit jamais arriver finit souvent par se produire : défaut d'un état, faillites bancaires, crise systémique. A la différence d'une entreprise qui peut disparaître, la pseudo-faillite ne serait vue que sous des aspects techniques et comptables, scellant une insolvabilité due à l'érosion de la valeur de ses actifs supérieure au montant de ses capitaux propres, et c'est là que le second temps arrive, avec l'intervention des états pompiers-actionnaires qui prendront soin de la recapitaliser. Mais avec quel argent, l'argent de qui ? Devinez ...

Retour sur les taux à zéro

Je me suis déjà longuement exprimé sur la politique des taux bas, proches de zéro. Je vous renvoie à un article intitulé « L'étau des marchés et les taux à zéro des banques centrales ». Je dirai simplement que les taux à zéro constituent un vrai piège d'où il est difficile de sortir. Mme Yellen présidente de la FED déploie activement ses subtilités langagières pour préparer les marchés à cette éventualité.

Conclusion

La BCE a donné du temps aux états pour entreprendre leurs réformes, la France restant à la traîne alors que l'horloge tourne de plus en plus vite. Les montants en jeu dans cette nouvelle phase monétaire seront très importants et toutes les opérations en cours et à venir vont une nouvelle fois doper le bilan de la BCE qui avait dégonflé ces derniers mois. Preuve que rien n'a été résolu.

Rappelons que la BCE a deux missions principales : la stabilité des prix (contrôle de l'inflation autour de 2%) et la stabilité de la monnaie. La création monétaire au-delà des exigences purement économiques donc techniques, dictées par l'inflation et la croissance, peut mettre en péril la stabilité monétaire par des facteurs de divergence ou d'impulsion, en initiant des boucles de rétroactions positives (effets d'emballement) toujours difficiles à contrôler et à freiner. La BCE comme d'autres banques centrales joue les apprentis-sorciers en faisant tourner les planches à billets, en alimentant les mauvais circuits, ceux d'une finance jamais rassasiée, anesthésiée par tous ces euros qui crépitent en tombant du ciel, et nous réserve ainsi des lendemains bien incertains.

Rien de très grave aux yeux des marchés financiers toujours confiants dans cette fuite en avant, regardant l'écume sans analyser la vague, rassurés par toutes ces facilités monétaires et cet endettement sans limite censé faire croître des organismes gavés durant des décennies. Notre économie a vécu pendant 40 ans à crédit en ayant accumulé un amas de dettes qui le jour où les taux d'intérêts retrouveront le niveau d'avant crise fera le cauchemar des plus téméraires (4% environ, taux normal lorsqu'on fait 3 à 4% de croissance en nominal, ce que souhaite la BCE : 2% d'inflation + 1.5 à 2% de croissance). A ce prix, la charge de la dette française, figée à ce jour, autrement dit les intérêts à payer, atteindrait 80 milliards d'euros annuel, plus de 4000 euros par foyer imposable ! A comparer avec les 8 euros mensuels promis pour le minimum vieillesse ...

Dormez bien, tout est sous contrôle !

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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