Déréglementation des dentistes : la qualité des soins en question #BESTOF

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Par David Mailhes Publié le 24 décembre 2014 à 3h53

Les dentistes ont mauvaise presse, même s'ils ne font plus pleurer les enfants. Leur statut de nantis aux honoraires abusifs est régulièrement dénoncé dans des reportages de désinformation télévisuels.

En tout état de cause, la colère et l'inquiétude des chirurgiens-dentistes, exprimées aujourd'hui aux côtés des autres professionnels libéraux, sont plus promptes à susciter l'ironie et le mépris qu'à alimenter un véritable débat constructif sur des évolutions et des aménagements peut être légitimes, mais à définir dans la concertation.

Cet a priori est regrettable car la pierre d'achoppement des revendications des chirurgiens-dentistes risque de passer à la trappe à force d'être ignorée. Or c'est bien de la qualité des soins dont il s'agit. Voilà ce que les dentistes entendent protéger envers et contre tout. Leur subsistance en dépend. Car la qualité des soins prodigués est l'unique atout dont ils disposent pour entrer en concurrence avec leurs confrères, le bouche-à-oreille aidant.

Malheureusement, la notion même de qualité des soins est absente du vocable de nos ministres, qui préfèrent renvoyer les acteurs de santé à leur conscience professionnelle. Peut-être parce que cette qualité a un coût. Elle exige des investissements substantiels en matériel onéreux et en personnel. Des investissements que seule la perspective d'une activité soutenue justifie.

Il convient de rappeler ici que la rémunération des actes dentaires par le système de santé français est la plus basse de tous les pays de l'Union Européenne. Les soins de base n'ayant pas été réévalués depuis des dizaines d'années malgré les évolutions techniques, les dentistes français acceptent depuis trop longtemps d'opérer dans un système qui les oblige à travailler jusqu'à 70% de perte -- à l'exception de la facturation des prothèses, matériel et service inclus, qui leur autorise l'unique marge de manoeuvre à leur disposition pour compenser le manque à gagner sur les soins et gagner leur vie.

Quel que soit l'angle de vue choisi, la déréglementation concoctée par l'Inspection Générale des Finances portera atteinte au modèle d'affaire des dentistes, menaçant le fondement même de la capacité des chirurgiens-dentistes à maintenir la qualité des soins.

La suppression du numerus clausus suscite à lui seul de nombreuses interrogations. Pourquoi les jeunes dentistes qui s'installent risqueront-ils d'investir dans un cabinet équipé, s'ils ne peuvent pas compter sur un flux d'activité capable de le rentabiliser?

Ces même jeunes dentistes, en outre, à quelle qualité de soin auront-ils été formés? Le coût élevé des équipements, qui dicte les critères de rentabilité d'un cabinet privé, empêche déjà l'Etat d'offrir à tous les étudiants l'infrastructure nécessaire à une formation de qualité : les contraintes budgétaires ont divisé au moins par deux le temps de pratique clinique des étudiants sur des patients au cours des dix dernières années. Comment le démantèlement du numerus clausus, qui promet de gonfler les rangs des étudiants, sera-t-il géré par ces institutions déjà en difficulté? On peut imaginer que des universités privées, aux frais de scolarité élevés, émergeront pour répondre à l'augmentation de la demande, comme cela a déjà été tenté sans succès par l'université portugaise Fernando Pessoa. Au bout de combien d'années les candidats comprendront-ils que l'investissement n'en vaut pas la chandelle, vue la baisse de revenu annoncée par nos dirigeants?

Les chirurgiens-dentistes ont retenu en outre l'attention particulière de l'IGF, qui a lancé une piste de réflexion sur la dissociation de l'acte prothétique, où la facturation de la prothèse sera délivrée directement au patient par le prothésiste, donc séparée des actes de préparation et de pose par le dentiste. Conçue sans doute pour faire jouer la loi du marché sur les honoraires du seul acte dentaire non réglementé (et rentable) afin de les tirer vers le bas, cette initiative balaiera toute notion de responsabilité du dentiste à l'égard de ce qui est pourtant son outil de travail—la prothèse.

Ce ne serait pas la première fois que les chirurgiens-dentistes se trouvent assujettis à une procédure aussi inefficace qu'injurieuse pour des praticiens fiers de leur métier, et attachés à leur indépendance quasi-entrepreneuriale en dépit de la lourdeur des réglementations. La loi exige déjà que les devis distinguent le prix de la prothèse du coût de l'acte. En fait, ils sont les seuls professionnels en France tenus de dévoiler sur leurs devis l'intégralité de leurs frais, y compris les « charges de structure du cabinet, autres que celles déjà affectées au prix de vente du dispositif. » Comme s'ils devaient se justifier en apportant la preuve de leur non-culpabilité.

Par ailleurs, l'ouverture annoncée du capital des cabinets libéraux aux groupes financiers achève de sonner l'alarme. En quoi le fait de devoir rapporter des dividendes à des actionnaires non productifs permettrait de rendre du pouvoir d'achat aux français ? Les professionnels dentaires seront soumis à des logiques de rentabilité définies par des directeurs financiers, et l'exigence de qualité de soins sera reléguée aux notes de bas de page. Le dentiste, lui, sera salarié et, à ce titre, n'aura plus guère voix au chapitre, son rôle se résumant à coter le plus d'actes possibles -- sans parler de la récurrence de facturation d'actes mal conduits par manque de temps, de matériel ou de savoir. Autant de coûts supplémentaires pour la collectivité.

L'industrialisation de la profession la privera de tout ce qui en a fait la force et la richesse : la relation personnelle entre le patient et son dentiste ; la fierté que retire le praticien de la qualité de son travail ; sa satisfaction d'entrepreneur de récolter les fruits de son labeur, et de n'avoir de compte à rendre qu'à ceux-là même qui assurent sa subsistance: ses patients.

A plusieurs égards, la logique de destruction de la qualité des soins est déjà engagée. Et si des changements sont à instaurer dans la profession, c'est bien pour enrayer cette inquiétante dérive. Cela ne pourra pas se faire sans créer les conditions d'une saine émulation entre confrères. Pourquoi ne pas autoriser les chirurgiens-dentistes à mieux communiquer sur leurs titres et leurs spécialisations ? Une fois de plus, la difficulté de certains praticiens à rentabiliser leurs investissements découragent nombre d'entre eux à se former sur la durée. Stimuler la formation continue de tous contribuerait à améliorer les soins prodigués.

Les chirurgiens-dentistes, pas plus que les autres « rentiers » des professions libérales, n'ont de capitaux à placer dans des paradis fiscaux. Leur argent, ils le dépensent et l'investissent en France. Leur qualité de vie est le résultat de nombreuses années d'études assorties d'un acharnement quotidien à donner le meilleur d'eux-mêmes jusqu'à 50 heures par semaine. Elle est le signe, aussi, que l'ascenseur social offert par l'université à n'importe quel bachelier motivé par la perspective d'une carrière personnellement gratifiante et financièrement attrayante, a correctement fonctionné jusqu'à présent. La méritocratie aussi. Personne, à ma connaissance, n'a reçu le concours de médecine dans son certificat de naissance.

A qui le démantèlement des chirurgiens-dentistes profitera-t-il? Pas aux patients.

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David Mailhes est chirurgien-dentiste à Toulouse. Diplômé en 2002, il est installé en exercice libéral depuis 2004. Conscient de l'importance de la formation post-universitaire pour améliorer l'offre de soins, il est titulaire de plusieurs Diplômes d'Université : D.U. de Réhabilitation des Maxillaires (implantologie), D.U. Occlusodontie et Prothèses, et D.U. de Droit Médical et Expertise.

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