Spectacles : le système français privilégie les projets de courte durée

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Par Isabelle Barbéris Modifié le 3 juillet 2013 à 9h15

L'organisation française du marché de l'emploi dans le domaine du spectacle vivant allie économie subventionnée et concurrentielle : c'est une spécificité qui la distingue de l'organisation allemande, qui fonctionne sur le modèle de la troupe permanente. En Allemagne, la création d'un spectacle est, d'une part, destinée à fournir du travail aux permanents travaillant dans les théâtres publics, d'autre part à enrichir le répertoire.

Les spectacles français reposent sur des projets courts, type festival

En France, le salariat interstitiel valorise les créations et les équipes de courte durée constituées autour du projet, rendant la reprise et la pérennisation d'un spectacle complexe et aléatoire.

Cette économie du projet s'exprime à travers une culture festivalière forte, qui se manifeste non seulement par la recrudescence de festivals à forts effets d'entraînement sur l'économie locale, mais aussi des différents « temps forts » qui transforment peu à peu les « saisons » des théâtres en successions de mini-festivals, dont l'efficacité, que ce soit en termes d'émergence ou d'entraînement économique, se trouve diluée, tandis que l'effet concurrentiel en ressort exacerbé.

La diffusion des spectacles et l'accès à ces derniers ne sont pas garantis par leur entrée au répertoire, comme c'est largement le cas en Allemagne, mais par un système de cofinancement (par l'alliage des coréalisations et des coproductions) entre structures. Les contrats souscrits durant le montage d'un spectacle vont, dans son cycle de vie, déterminer en grande partie ses différents lieux de représentation après la création. L'achat de spectacle est donc secondaire dans le système des tournées.

Le modèle français du spectacle favorise les écarts de rémunération entre vedettes et salariés pauvres

La crise des finances publiques oblige aujourd'hui les créateurs à multiplier les coréalisateurs et coproducteurs pour viabiliser un projet. Un des inconvénients d'un tel système, fonctionnant en grande partie avec l'avance sur recette, et ne privilégiant pas l'achat du produit fini, réside dans le fait qu'une fois coproduit et coréalisé, un mauvais spectacle pourra néanmoins trouver des lieux de diffusion.

Cette organisation du travail se distingue, non seulement du star-system, mais aussi du modèle anglo- saxon de la troupe de permanents salariés. Elle favorise une division du travail où la reconnaissance symbolique la plus forte va au metteur en scène, non pas en tant que chef d'entreprise censé en maintenir la cohésion sur le moyen, voire le long terme, mais en tant que créateur de regroupements ponctuels.

La faiblesse française du système de troupe (à l'exception de la Comédie-Française ou du Théâtre du Soleil par exemple) ne valorise pas la fondation et le développement d'une culture de long terme fondée sur la recherche collective, et incite aux communautés artistiques précaires, suivant le modèle de la « troupe-projet » (Borges, 2009), ainsi qu'à de forts écarts de rémunération entre vedettes et salariés pauvres.

La parabole du joueur de flûte de Hamelin vient ici contredire l'économie classique qui rémunère le « talent » (Smith, Rosenn), démontrant que le revenu artistique est peu lié à ce dernier, et qu'il répondrait davantage, en situation d'asymétrie informationnelle, à des signaux mimétiques (le label, le Molière, le prix) et à des phénomènes de cooptation qui renforcent les inégalités.

Avec Martial Poirson.

Extrait du Que sais-je "L'économie du spectacle vivant", par Isabelle Barbéris et Martial Poirson, aux éditions Presses universitaires de France (PUF).

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Agrégée de Lettres, maître de conférences à l'université Paris 7 - Denis Diderot. Isabelle Barbéris enseigne l'économie du spectacle vivant en écoles de commerce et en Master d'ingénierie culturelle à l'université. Elle est l'auteur de Théâtres contemporains. Mythes et idéologies (Puf, 2010).

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