Filière bois : une économie sous perfusion

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Par Marc Pelletier Modifié le 29 novembre 2018 à 18h55
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60 %60 % des sciages utilisés en construction sont importés

La filière bois ne cesse de capter l’attention du public, des constructeurs et des prescripteurs, sur la base d’avantages supposés en matière économique, énergétique et environnementale, mais qui sont aujourd’hui largement contestés. Petit retour en arrière sur une filière bois soutenue à bout de bras par les pouvoirs publics, en dépit d’une réalité plus complexe qu’annoncée.

Un soutien public massif

Le 28 septembre 2017, à l’invitation des acteurs de la filière bois, le troisième « plan national bois construction » (2017-2020) était signé par le Secrétaire d’État au Logement. Une initiative se présentant comme un « nouveau cap », un « changement d’échelle » destiné à « massifier l’usage du bois dans la construction » (1). Ce plan fait écho à l’Alliance Nationale Bois Construction Rénovation signée en mars 2017 pour faire connaître les avantages qui s’attachent à l’usage du bois, inciter les maîtres d’ouvrage à s’engager à construire avec du bois, et augmenter la part de ce matériau renouvelable, notamment dans les constructions publiques.

Quelques mois auparavant, le 10 février 2017, avait été publié le décret approuvant le « programme national de la forêt et du bois 2016-2026 » qui regroupe pour la décennie à venir les aides apportées à la filière bois, conformément à « loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt », votée en 2014. Objectif financier : doter le fonds stratégique de la forêt et du bois d’au moins cent millions d’euros, en mobilisant les financements régionaux, nationaux, européens et privés. Au total, à l’issue de la discussion parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2018, une enveloppe globale de plus de 270 millions d’euros pour 2018, soit 5,2 % du budget du ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation, a été allouée à la gestion durable de la forêt et le développement de la filière bois.

Reconnu comme « filière d’avenir », le secteur du bois dispose également depuis 2013 d’un comité stratégique au sein du Conseil national de l’industrie, instance consultative placée auprès du Premier ministre, et d’un « contrat État-filière » depuis fin 2014. À ces éléments s’ajoutent un « plan national d’action pour l’avenir des industries de transformation du bois » et un « plan de la nouvelle France industrielle » sur les immeubles en bois de grande hauteur... Est-ce bien raisonnable ?

La Cour des comptes sur le qui-vive depuis 2015

La Cour des comptes avait déjà pointé, dans un rapport sur « les soutiens à la filière bois » publié en avril 2015, les dysfonctionnements de cette filière. Citation : « Complexe et hétérogène, la filière bois doit faire face à de multiples enjeux économiques, énergétiques et environnementaux. Sa gouvernance actuelle ne permet pas d’apporter une cohérence suffisante aux soutiens publics, d’origine et de nature très différentes, qui s’élèvent à 910 millions d’euros par an. En pratique, les soutiens aux travaux forestiers se révèlent inadaptés aux objectifs de valorisation économique de la forêt, tandis que ceux à la transformation du bois sont dispersés, non coordonnés et parfois insuffisants » (2). Peut-on imaginer jugement moins tendre ?

Malgré cela, depuis lors, la filière bois continue coûte que coûte à distiller les mêmes arguments pour le moins controversés sur les plans économique, énergétique et environnemental. Autrement dit, on assisterait à l’apothéose d’une opération de lobbying menée sur plusieurs axes depuis des décennies (3).

Les vertus très discutables du bois de construction

Intention louable au départ, la filière bois met en avant un argument économique, celui de la défense de l’économie locale. Mais les données sont là : aujourd’hui en France, 60 % des sciages utilisés en construction sont importés. Certains résineux, comme l’épicéa, sont même importés à 90 %, principalement de Scandinavie. Dans ce contexte, le soutien au développement de l’utilisation du bois dans la construction n’aura donc que peu d’impact sur l’économie française et sur l’emploi (4). L’argument énergétique est lui aussi ébranlé : à l’heure des bâtiments à énergie positive, le bois n’est pas le meilleur moyen pour isoler les habitations. La faible inertie thermique du bois, c’est-à-dire sa faible capacité à absorber de la chaleur en hiver ou de la fraîcheur en été, puis à la restituer progressivement, impose en effet l’utilisation de la climatisation en été et un surplus de chauffage en hiver, ce qui ne va pas dans le sens d’une diminution de la consommation d’énergie.

Le bois n’est pas plus défendable sur le plan environnemental (5). Il est certes présenté comme un « puits de carbone », la photosynthèse permettant en effet a? la forêt de capter le CO2 de l’atmosphère, puis de le stocker dans le bois sous forme de carbone tout au long de sa durée de vie. Mais, en réalité, ce transfert de carbone n’est que temporaire, ce dernier étant restitué à l’atmosphère sous forme de rejet de CO2 lorsque le bois, à la fin de vie du produit, est brûlé ou enfoui. Le bilan écologique du bois est aussi considérablement terni par l’utilisation des nombreux traitements chimiques nécessaires à l’utilisation de ce matériau dans la construction : contre le feu, les champignons, les insectes, l’humidité… Des produits chimiques auxquels s’ajoutent les substances présentes dans les colles et les résines utilisées pour assembler les panneaux, ainsi que dans les produits de finition (peintures, laques, vernis, etc.).

(1) https://www.fnbois.com/wp-content/uploads/2017/11/170928_plan-bois-3.pdf
(2) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-soutiens-la-filiere-foret-bois
(3) https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-lobbying-de-la-filiere-bois-199614
(4) https://cdurable.info/Quand-bois-importe-rime-avec-pollution-et-deforestation-subventionnees.html
(5) https://www.mediaterre.org/actu,20180614071843,1.html

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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