Faut-il taxer lourdement les successions et les héritages ?

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Par Jean-Louis Caccomo Modifié le 12 octobre 2012 à 4h55

On aimerait tous naître dans une famille aisée avec une cuillère dorée.

Mais on ne choisit pas sa naissance. Alors l’héritage est-il une injustice qu’il est indispensable de corriger pour redistribuer les chances à tous ? Une analyse économique des implications d’une telle mesure nous montre que ce n’est pas simple. L’héritage n'est pas mauvais en soi. Dans la lumineuse fable de Jean de La Fontaine, le laboureur retourne sa terre chaque année pour semer ses récoltes et la fin de sa vie, ses fils héritent d’une terre très fertile, qui aura une grande valeur. Il n’a donc pas travaillé pour rien, même après sa mort, il transmet la valeur. Et même s’il sait qu’il ne reste plus longtemps à vivre, il se projette quand même dans l’avenir, celui de ses propres enfants et des générations futures.

Keynes avait dit : "à long-terme nous sommes tous morts" et ne se préoccupait que court-terme qui fige les phénomènes économiques. Mais après nous nos enfants nous survivent, et à force de privilégie une attitude court-termiste, on en vient à leur léguer nos dettes : quel héritage empoisonné de la part de parents irresponsables.

Il faut donc préférer une perspective dynamique car on risque de mal interpréter la dernière image (statique) du film, si on ne prend pas en compte tout son déroulement (dynamique) pour bien saisir la dynamique des phénomènes économiques en œuvre dans les processus de croissance. Car, en dynamique, l’inégalité des situations d’arrivée en fin de vie des différents "laboureurs" est inévitable autant que légitimes : certains laboureurs auront exploité de manière plus efficace leur terrain tout au long de leur vie, tandis que d’autres auront été plus actifs ou moins chanceux.



C’est de la que viennent les différences de croissance, et donc de trajectoires, entre les pays, les entreprises et les ménages ou les parcours personnels. Si une fiscalité trop excessive sur les héritages est mise en œuvre, au motif de corriger les inégalités constatées à l’issue des différentes trajectoires individuelles de chacun, on anéanti les incitations à accumuler et à entretenir son patrimoine : pourquoi m’échiner à retourner cette maudite terre toute ma vie si une fiscalité confiscatoire m’empêche de la transmettre à ma descendance ?

En dynamique encore une fois, une fiscalité trop lourde pèsera sur les plus actifs et découragera l’accumulation et l’entretien du capital, pourtant seul moteur de la croissance à long-terme. Si donc on bloque le processus de transmission des patrimoines de générations en générations via les familles, au profit d’une redistribution forcée orchestrée par l’Etat sur le dos même des familles, on détruit encore des incitations productives.

Bien-sûr, les enfants peuvent dilapider en quelques années cet héritage précieux, surtout s'ils sont mal éduqués. De ce point de vue, on hérite aussi d’une éducation qu’il serait proprement suicidaire de bloquer. Car, dans la fable de La Fontaine, le laboureur, en père responsable et sage, dans le même temps qu’il transmet un bien matériel qui a pris de la valeur (une terre fertile), tente d’envoyer un message, en l’occurrence le mode d’emploi de l’obtention de la valeur, la source de la valeur elle-même : le travail.

Car le terrain a pris de la valeur à l’issue d’une vie entière de travail, mais une génération peut suffire à anéantir, en dilapidant l’héritage, une vie de travail. Après tout, arrivant au terme des trente glorieuses, marquée par trois décennies de croissance forte et ininterrompue, la génération 68 a hérité d’un pays riche au point de croire qu’il suffisait de consommer les richesses et le temps libre sans plus aucune contrainte économique, au risque de dilapider l’héritage bâtie patiemment par les générations de l’après-guerre.



Mais la génération de 68, en même temps qu’elle héritait des bienfaits économiques de la société de consommation, n’acceptait pas les exigences et les rigueurs (travail, investissement, compétitivité) de la société de production. On perdit ainsi l’héritage intellectuel et moral (épargne, effort, travail) des producteurs et créateurs de richesse, ce qui a compromis pour longtemps par la suite la prospérité de l’économie française.

Donc, par l’héritage, en même temps que l’on transmet un patrimoine, on transmet le mode d’emploi de ce patrimoine, ce qui est une des fonctions de l’éducation fournie par les parents à leurs enfants, ce que l’école apporte peu de ce point de vue. L’analyse économique de l’éducation est donc fondamentale. En effet, l’éducation consiste à transmettre un capital humain à ses enfants, ce que feront spontanément des parents responsables. Et la famille devient le lieu de cette transmission qui prend aussi du temps et requiert patience et efforts permanents (discipline, autorité, écoute).

Mais l’analyse sociologique de la famille, notamment impulsée par les travaux de Bourdieu reposant sur des fondements marxistes, a présenté la famille comme un vecteur "bourgeois" de transmission héréditaire – donc de reproduction - des inégalités sociales. Les familles qui fabriquent et transmettent du capital humain ne peuvent être que des familles capitalistes… Il est vrai que les parents, du haut de leur expérience acquise, savent sans doute mieux conseiller leurs propres enfants pour leur donner les clés leur permettant de traverser les inévitables embûches qui se présenteront au cours de leur vie.



Mais comme personne n’a pas la même expérience et les mêmes succès, elle transmettra, en même temps qu’un patrimoine matériel ou financier, un capital humain (une expérience) leur permettant de faire fructifier ce capital matériel. Ce schéma de reproduction sociale étant incompatible avec une analyse en termes de "luttes des classes", il était impératif de prendre le contrôle de l’éducation nationale pour imposer ensuite une éducation formatée identique à tous les enfants de France, avec les résultats que l’on connait aujourd’hui.

Les nouvelles méthodes pédagogiques furent d’une certaine manière mises en œuvre pour "taxer" lourdement, au point de les freiner, les mécanismes de transmission du capital humain qui transitait par les familles de générations en générations. Dans une certaine mesure, le chômage massif des jeunes en France, alors que les entreprises peinent à trouver du personnel qualifié et motivé, est aussi le résultat de procédures hostiles aux mécanismes de transmission du capital humain, notre plus précieux héritage.

Le monopole de l’éducation nationale, aux mains d’experts en pédagogie motivés par la mise en pratique des thèses de Bourdieu, agit comme une puissante "taxation" du capital humain mais dont le produit n’est guère redistribué. Par contre, la transmission héréditaire de privilèges et de rentes de situation, qui n’ont rien à voir avec l’effort et le mérite individuel, est une injustice humaine, sociale et contre-productive que les institutions de l’Etat de droit et les marchés libres et spontanés ont vocation à combattre et corriger.

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Jean-Louis Caccomo est docteur en sciences économiques de l'université de la Méditerranée Maître de conférences - HDR à l'IAE de l'université de Perpignan Via-Domitia. Il est également spécialiste des questions d'innovation et de croissance économique ainsi que chercheur en tourisme international et chroniqueur économique. Il anime enfin, depuis 10 ans, un blog à vocation pédagogique à l'attention de ses étudiants et du grand public.

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