Si la question de l’émergence des millennials dans le monde du travail fait le bonheur des médias et la fortune de certains consultants, rien ne permet à ce jour de considérer cette classe d’âge comme strictement homogène.
Cela ne signifie bien sûr pas qu’il n’y a pas de différences de comportement face au travail entre générations. Mais cette tension n’est-elle pas tout simplement le fruit d’un éternel recommencement ?
Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. Socrate
Un contexte inédit?
Sans doute pour se plier à un certain consensus, le monde du travail est le plus souvent analysé par le prisme de la transformation digitale, nouvel alpha et oméga des entreprises. Pourtant, ces cinquante dernières années se sont caractérisées par d’autres ruptures majeures. Nous vivons désormais dans un environnement mondialisé, financiarisé, soumis à une pression concurrentielle extrême où l’individu est souvent réduit au rang de variable d’ajustement. Ultime révélateur de cette tension, le chômage vient achever la déconstruction, la déstructuration du modèle social et professionnel que nous connaissions.
Rien d’étonnant donc à ce que les nouvelles générations souhaitent donner du sens à leur quotidien, trouver un équilibre entre professionnel et personnel, aspirent au bonheur. Mais oublions cette soi-disant homogénéité de la génération Y qui nous est vendue partout. Comme pour leurs aînés, se côtoient adeptes de la consommation et défenseurs d’une société moins matérialiste. Derrière leur point commun, celui d’être nés avec le digital, dans un monde ultra connecté, se cache la même diversité et la même complexité.
Jeunisme et rupture anthropologique
Passé quarante-cinq ans, tout professionnel est désormais considéré comme un sénior par l’entreprise. A l’heure de la sacro-sainte transformation digitale, il entre dans la catégorie des « has been ». Parallèlement, le jeune, par un mouvement d’inversion des pouvoirs, considéré comme plus agile (et moins coûteux), se voit confier les rênes du pouvoir et de la transmission.
Il faut dire que dans cet environnement du tout numérique dans lequel nous baignons, les millennials disposent de tous les atouts pour surnager. Nés avec internet, nourris au sein des médias sociaux, ils partagent des comportements, une « culture » et des ressources. Elevés dans le culte de la transparence et du partage de l’information, ils maîtrisent et valorisent une certaine forme de coopération qui appelle, en entreprise, à réduire voire supprimer les niveaux hiérarchiques.
Si l’émergence des générations Y et Z induit un certain nombre de ruptures, il parait néanmoins légitime de s’interroger sur les dangers de cette inversion anthropologique. Le savoir et une certaine forme de sagesse ne sont-ils pas le résultat d’un apprentissage, d’une prise de recul ? Si la valeur n’attend pas le nombre des années, elle ne disparait pas non plus avec elles ! A moins que nous n’ayons fait fausse route depuis la Préhistoire ?
L’avenir du travail
Derrière la question de l’obsolescence des séniors, s’annonce celle plus prégnante de l’avenir du travail à l’heure où émerge la question de l’intelligence artificielle (IA). Car il ne s’agit plus désormais de savoir si l’IA et les robots vont prendre beaucoup d’emplois mais de savoir quand et lesquels. Les jobs de demain, très sophistiqués, ne concerneront qu’une minorité. Que fait-on dès lors pour la majorité ?
Au-delà de son aspect financier, l’activité professionnelle apporte des interactions sociales donc du lien et du sens. Chacun contribue à la raison d’être de son organisation qui, elle-même, prend une part active dans la société. Il est temps pour nous de nous poser ces questions car sans travail point d’avenir pour l’homme !
L’arbre qui cache la forêt
La thématique de la génération Y illustre donc à merveille le moment chaotique que nos sociétés traversent. Elle manifeste, à sa manière, un repli identitaire et communautariste qui caractérise notre époque. Elle souligne enfin la nécessité que nous avons de coopérer et de penser ensemble le futur que nous souhaitons plutôt que de laisser décider quelques grands groupes avec lesquels nous ne partageons pas nécessairement un projet civilisationnel… A nous de nous réinventer, d’utiliser notre intelligence humaine pour affirmer notre résilience. Un défi qui repose sur notre capacité à tisser du lien au travers des différences qui nous unissent.