La toxique marginalisation de l’intelligentsia française

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Par Claude Robert Publié le 1 septembre 2017 à 5h00
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100 %La dette française se rapproche des 100 % du PIB.

Il suffit d’étudier les passions les plus courantes pour ne pas dire compulsives de l’intelligentsia française actuelle pour avoir la preuve formelle d’une sorte de rétrécissement de son champ intellectuel.

Exactement comme si ses centres d’intérêts avaient quitté la hauteur qui sied à toute approche universelle, pour ne se consacrer qu’au détail local, typiquement hexagonal, forcément particulier. En un mot : la sphère des idées françaises semble devenir de plus en plus périphérique, marginale, étriquée, centrée sur elle-même et à l’écart du monde.

A cela s’ajoute une espèce de regain narcissique qui fait que, par une incroyable synecdoque, les problèmes de notre nombril franchouillard sont considérés comme généraux. Ce rétrécissement du champ d’investigation sur les particularités typiquement hexagonales, et ce nombrilisme qui fait croire que ces particularités sont celles de toute la planète n’ont pu s’épanouir que sur le terreau d’une splendide inculture économique. Et ne peuvent bien évidemment perdurer que grâce à une puissante motivation idéologique antimondialiste derrière laquelle se cache très certainement, et inconsciemment, le refus de constater notre déclin et le désir d’empêcher autrui de faire mieux que nous.

Tel est le tableau qui paraît se dégager de l’intellectualisme français actuel dans sa forme la plus répandue (ce qui n’exclut pas de solides exceptions) :
- rétrécissement sur soi et sur les difficultés hexagonales
- prétention à l’universalité par inculture économique
- refus de la réussite d’autrui

Rétrécissement sur soi

Dresser le portrait robot de l’intellectuel français d’aujourd’hui est devenu un exercice assez facile. On peut parier à coup sûr que cet individu possède une belle âme terriblement portée sur la souffrance de ses compatriotes, en particulier celle des travailleurs, des femmes et des minorités ethniques ou sexuelles. Son cheval de bataille préféré reste toutefois le social et la défense des gens qui souffrent au travail. Véritables boucs émissaires de la mondialisation libérale (sic), ces dominés sont perçus par l’intellectuel comme des fusibles, des souffre-douleur sacrifiés sur l’autel des méchants intérêts financiers des banques et des patrons.

Forcément, cet intellectuel-là ne sait absolument pas que :
- la France perd régulièrement du terrain sur le plan économique mondial. Sa compétitivité est en berne, ses parts de marché industrielles ont fortement reculé; - en Europe, seule l’Italie fait moins bien en termes de progression du niveau de richesse sur le long terme (évolution du PIB/habitant entre 1970 et 2014). De nombreux pays riches nous ont doublé, ou nous ont carrément distancé (8 pays riches, dont les USA, l’Irlande, la Belgique, l’Autriche...). Il ne s’agit donc pas seulement de pays émergents;
- en 2005, un sondage GlobeScan auprès de nombreux pays à travers le monde a montré que seule la France avait répondu à plus de 50% « non » à cette question pourtant bien naturelle : « le système basé sur la libre entreprise et l’économie de marché est-il le meilleur pour assurer votre avenir ? »;
- bien qu’étant l’un des pays développés où les écarts de salaire sont les plus réduits, la France affiche un taux d’épisodes dépressifs majeurs record (le plus fort selon la première étude médicale mondiale : Cross-national epidemiology of DSM-IV major depressive episode 2012), ainsi qu’un taux de suicides et un taux de chômage record. Chaque sondage européen mesurant le moral des ménages fait apparaître en queue de classement la France aux côtés de la Grèce et du Portugal…

Par la force des choses, rappeler tous ces éléments-là à un intellectuel archétypique constitue un véritable challenge. Pourquoi ? Parce que ces données sont perçues comme incongrues, inhumaines voire provocatrices. N’est-il pas en effet sacrilège de casser le rêve avec des éléments tirés du réel ? N’est-il pas inadmissible de faire voler en éclat cette certitude en béton armé qui fait accroire que les problèmes français sont ceux de tout le monde ?

Prétention à l’universalité sur fond d’inculture économique

Que peut répondre notre intellectuel archétypique, pour sauver la face devant cette liste de réalités aussi confondantes ? Qu’il ne connaît rien à l’économie (sans que cela soulève la moindre honte chez lui !), que de toute façon l’économie est une sorte de « science des riches », et que cette science n’a rien à voir avec la souffrance des travailleurs. Fermer le ban. Pour lui donc, toute la planète souffre des mêmes maux : la violence en entreprise, la pression des objectifs financiers, le fardeau de la concurrence mondiale, la vie brimée des travailleurs. Analysons plus spécialement son cheminement mental :
- Les travailleurs français souffrent
- C’est la faute à la concurrence économique
- Tout le monde souffre de cette concurrence
- Il faut agir contre cette concurrence

N’existe-t-il pas de meilleur exemple de myopie rhétorique ? Ceux qui connaissent la logique systémique savent en effet que la meilleure garantie de ne pas se tromper dans l’analyse d’un phénomène complexe consiste à appréhender celui-ci dans sa globalité, en multipliant les différents points de vue. En s’intéressant au contexte, l’approche systémique évite cette fameuse synecdoque qui consiste justement à prendre une variable isolée pour le tout :

Refus de la réussite d’autrui

Tout déni vis-à-vis du réel coûte de l’énergie. Il ne peut donc se justifier que par de sérieuses motivations. Parmi ces motivations, il semble évident que l’idéologie gauchiste tient une bonne place. Mais celle-ci s’avère très certainement décuplée par un sentiment diffus et plus ou moins refoulé du déclin français. Les « losers » passifs, ceux qui ne veulent ni analyser les causes de leur échec, ni trouver des remèdes, se focalisent généralement sur ceux parmi leurs semblables qui ne vivent pas cette situation d’échec. Ils les accusent de tous leurs maux. Le « loser » passif ne changera donc pas. Mais il exige que ses semblables le fassent à son profit car ce sont eux les coupables de son état. Cela ne le dérangerait d’ailleurs pas que les pays pauvres ne puissent plus devenir émergents, et que les pays riches compétitifs ne puissent plus nous devancer…

Les psychologues disent qu’il n’y a rien de plus douloureux qu’un déclassement social. Le déclassement national est sans doute moins stigmatisant puisqu’il concerne non pas l’individu mais l’ensemble de son pays. Toutefois, il s’agit normalement d’un sentiment suffisamment désagréable pour déclencher un sursaut, une remise à plat, une autocritique et une réaction de rebond salvateur. Or, il y a longtemps que la France, pays dont on dit à l’étranger qu’il perd toutes ses guerres, semble au contraire privilégier le repli intellectuel, l’apitoiement sur son sort et le déni quant aux causes de son recul…

Ainsi, loin de nous éclairer sur l’origine de notre échec national et de nous montrer la voie pour nous redresser, l’intellectualisme français actuel participe de cet aveuglement qui veut croire que le reste de l’humanité souffre des mêmes problèmes. Un mélange de déni, de fierté, de repli sur soi et de refus du monde libéral actuel qui non seulement ne date pas d’hier, mais qui comporte en lui-même le refus d’y mettre un terme. N’est-ce pas là un mélange suicidaire ?

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Après des études de Sciences Humaines, d'Art et d'un Master puis d'un DEA en Marketing opérationnel, Claude Robert a exercé dans des fonctions de management et d'études de marché quantitatives et qualitatives avant de devenir consultant international en organisation et gouvernance. L'expérience de la direction de projets dans une vingtaine de pays et des organisations très diverses lui apportent un recul particulièrement utile pour la compréhension des comportements humains et de leurs contextes respectifs. Claude Robert est également blogueur à ses heures.

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