Lettre à un chauffeur de taxi qui télécharge des films en ayant bonne conscience

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 26 juin 2015 à 13h31
Agnes Saal Taxis Frais Centre Pompidou
1600016 000 taxis à Paris, 70 000 à Londres....

Cher chauffeur de taxi,

Je suis souvent monté dans ta voiture (pas autant qu'Agnès Saal), et j'ai beaucoup bavardé avec toi, tout comme je bavarde aussi avec les chauffeurs de VTC, qu'ils travaillent pour Uber ou non. Je comprends ta colère de voir des concurrents, il n'y a pas d'autre mot, débarquer la bouche en coeur et te prendre des clients, simplement parce qu'une application mobile d'une simplicité édifiante rend la réservation d'un VTC non seulement ultra facile mais aussi ludique. La dernière fois que j'ai utilisé une UberX, cinq de des collègues étaient passés devant moi, trois avec le voyant rouge, les deux autres sans voyant, les bras en croix. l'UberX est arrivé moins de deux minutes après avoir cliqué sur "réserver une voiture ici" sur mon téléphone.

La technologie change les services et les usages, il faut s'adapter ou disparaître

Oui, je comprends ton énervement légitime, car tu as payé cher ta place au soleil. J'entends que 200 000 euros la licence, au minimum, à Paris, cela te fout la trouille quand tu vois que tu a de plus en plus de mal à faire des bonnes journées, en travaillant plus longtemps qu'avant. Et même les courses que tu encaisses en cash, comme cela m'est arrivé il y a peu encore à Marseille, où je n'ai pas osé demander au chauffeur pourquoi le compteur ne tournait pas tout simplement parce que j'avais envie d'arriver entier à destination, ne suffisent pas à combler les fins de mois.

Mais, cher chauffeur de taxi, j'ai une question concrète à te poser : depuis combien de temps n'achètes-tu plus de CD pour écouter de la musique dans ta voiture quand tu t'ennuies ? A quand remonte l'achat de ton dernier DVD ? Ou plutôt : quand as tu écouté pour la dernière fois un MP3, ou regardé un film, que tu sais pertinemment avoir téléchargé illégalement sur Internet, alors que tu en connais parfaitement la valeur à l'achat ou à la location ?

Je t'entends d'ici me dire que ce n'est pas pareil. Tu ne voles personne, c'est "immatériel". Un fichier audio ou vidéo (téléchargé illégalement) en plus ou en moins ne va pas changer la vie de Courtney Love, qui était bien remontée contre toi hier en arrivant à Paris, prise en otage par la bataille rangée déclenchée par les taxis.

Oui, ce n'est pas tout à fait pareil, mais c'est la preuve que la technologie, quand elle propose de nouveaux usages, de nouveaux services, peut remplacer en quelques années le "monde d'avant". Si tu ouvres un tiroir de la commode du salon chez toi, tu trouveras surement un ou deux vieux appareils photos argentiques. J'avais, jeune, un Nikon F 801, appareil photo des reporters : il vaut aujourd'hui 50 euros sur leboncoin. Si je me penche sur ton métier, souviens toi que tes prédécesseurs chauffeurs de taxi à moteur ont tué les conducteurs de calèches. Qui, comme toi, ont hurlé à la concurrence déloyale ! Les voitures à moteur n'avaient pas besoin de manger, boire, se reposer, allaient plus vite, et ne semaient pas de crotin sur leur chemin. Tu en vois encore, toi, dans Paris, sauf pour promèner des touristes au pied de la Tour Eiffel ? Non.

Rien ne vous empêchait, vous, les taxis, et vos compagnies, de faire évoluer votre métier. Franchement, si l'on pouvait réserver un taxi de n'importe quelle compagnie depuis une interface aussi simple et pratique que celle d'Uber, en simulant à l'avance le prix de la course, en n'ayant pas besoin de tirer du liquide au distributeur ou de se soucier de la présence à bord de ta voiture d'un lecteur de CB, franchement, moi, l'usager, je ne ferai pas de différence. Et je serai même disposé à privilégier le taxi, pourvu que sa voiture soit soignée, et qu'il ne m'impose pas Ruquier à fond les ballons.

Ton photographe de quartier et ton loueur de DVD ont du changer de métier

Je repense à la déferlante de la photographie numérique. Te souviens-tu de toutes ces boutiques du type "Photo Service" et autres "Photo 1h" qui proposaient de tirer nos photos argentiques d'abord en 24 heures, puis, parce que nous, consommateurs, étions impatients, dans la journée, puis, en une heure voire immédiatement ? Te souviens tu de ces petites boutiques de photographe de quartier, à qui l'on demandait conseil pour acheter un boitier, qui vendaient quelques appareils mais surtout des pellicules, qui représentaient parfois la moitié de leur chiffre d'affaires ? Ils l'ont vu venir, le numérique. Certains ont même trouvé cela génial ! Cela allait démocratiser la photographie. D'autres se sont inquiétés, conspuant la qualité des images... ou inconsciemment, percevant qu'ils allaient bientôt mourir.

La même chose est arrivée quelques années après aux loueurs de DVD. Eux aussi, ils étaient partout, quasiment à tous les coins de rue ! Tu louais chez eux. Maintenant, tu télécharges illégalement sur Internet, ou, si tu es paresseux (j'ai effacé "honnête"), tu loues le film sur ta box Internet.

Alors, oui, tu peux râler contre ceux qui ont fixé les règles d'une profession réglementée, avec un système de licences hérité d'un autre temps, un numérus clausus, qui fait qu'il y a trois fois moins de taxis à Paris que dans la plupart des grandes villes occidentales. Mais quand tu attaques les chauffeurs de VTC, ou leurs clients qui sont aussi les tiens, tu te trompes de cible. Retourne la voiture d'un député ou deux, va demander des comptes à ceux qui nous gouvernent et qui décidément, ne voient le verglas et les arbres que lorsque l'arbre est déjà incrusté dans le pare-choc avant.

Tu as le moteur sur les genoux, tu as le droit de t'en plaindre, mais c'est au garagiste que tu dois demander des comptes, pas aux arbres au verglas ou aux autres automobilistes !

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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