La direction juridique de demain : vers un nouveau paradigme du droit dans l’entreprise

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Par Olivier Chaduteau Publié le 26 mars 2014 à 5h30

Cela faisait maintenant une vingtaine d’années que le processus était engagé. La crise n’a fait qu’accélérer le phénomène. Quel phénomène ? « La mue » des directions juridiques des grandes entreprises. Et cette mue est de taille. En quelques mots seulement : rattachement hiérarchique au plus haut niveau de l’entreprise, professionnalisation et croissance des équipes et des expertises, périmètre élargi, diffusion de la culture risque, internationalisation des pratiques et surtout partenariat de plus en plus capital entre les juristes et les opérationnels afin de créer et protéger la valeur de l’entreprise voire permettre à l’entreprise d’être encore plus compétitive.

Et pourtant, nous partions de loin. Comme le rappelait Pierre Charreton, « il a longtemps existé une relation complexe entre le monde de l’entreprise et celui du droit, empreinte de méfiance et d’incompréhension réciproque, les entrepreneurs considérant qu’ils n’avaient que faire des juristes, sauf à compliquer leurs affaires, et les juristes, essentiellement alors les avocats, dans la tradition du barreau de l’époque, regardaient les chefs d’entreprise comme de dangereux affairistes dont il était prudent de se méfier »[1].

Cette évolution, couplée à la globalisation, à la vitesse des échanges et à la révolution du numérique, appelle aujourd’hui à un changement complet du modèle d’organisation et de gestion des directions juridiques. Vivement encouragée, doux euphémisme, par les directions générales des entreprises, la direction juridique doit entrer dans une réflexion stratégique et organisationnelle afin de pouvoir tenir son double rôle de « business partner » et de « gardien du temple », rôle sur lequel nous reviendrons plus tard dans cet ouvrage, et répondre aux nouveaux enjeux économiques et sociétaux. Ainsi décrit par Christophe Roquilly dans son ouvrage collectif, « le risque juridique, s’il est mal géré, peut avoir de lourdes conséquences et dégrader singulièrement la valeur de l’entreprise (…). En saisissant une opportunité juridique, l’entreprise peut créer de la valeur. »[2]. Pour Didier Danet, « la performance juridique peut donc agir sur le niveau de performance globale de l’entreprise de deux manières. D’une part, elle pèse sur sa capacité à atteindre les objectifs qu’elle s’est donnés et constitue ainsi un déterminant plus ou moins substantiel de son efficacité. D’autre part, elle influence le niveau d’effort requis pour atteindre les résultats souhaités et renforce ou amoindrit ainsi l’efficience de l’entreprise »[3].

À l’instar de nombreux auteurs et praticiens du droit, nous considérons que le droit est devenu un véritable outil de compétitivité des entreprises. Sujet qui avait déjà été mis en avant en 2011 dans le rapport Prada : « il est désormais acquis que la maîtrise du droit est un facteur important de robustesse et de compétitivité des entreprises et contribue puissamment à la qualité de l’offre dans les marchés internationaux »[4]. À regarder les leaders d’aujourd’hui, que ce soit General Electric (les entretiens[5] que nous avons eus avec Ben Heineman, ancien General Counsel de General Electric sous l’ère de Jack Welch n’ont fait que confirmer cette hypothèse), mais aussi Apple et Samsung dans la bagarre qu’ils les opposent ou encore LVMH et Hermès… on voit bien que pour ces sociétés, et d’autres avec elles, le droit est une véritable arme au service de la stratégie de l’entreprise. Le droit est trop souvent vu comme un risque alors que c’est un levier. Il faut revoir la définition épistémologique du droit qui n’est pas là que pour créer et appliquer des règles mais aussi pour aider à définir une direction, « directum » en latin. Philippe Legrez, directeur juridique de Michelin, ira même jusqu’à « transformer les directions juridiques en “centres de profit” »[6].

Aujourd’hui, nous vivons un véritable changement de paradigme qui voit le directeur juridique devenir le « bras gauche » de la direction générale au même niveau que son « bras droit », la direction financière. » (…)

[1] P. Charreton, « Le juriste, acteur stratégique de l’entreprise », in C. Roquilly (dir.), La contribution des juristes et du droit à la performance de l’entreprise, Éditions Joly, 2011.

[2] C. Collard, C. Delhaye, H-B Loosdregt, C. Roquilly, Risque juridique et Conformité, Lamy, 2011.

[3] D. Danet, « Performance juridique et performance globale de l’entreprise », in C. Roquilly (dir.), La contribution des juristes et du droit à la performance de l’entreprise, Éditions Joly, 2011.

[4] M. Prada, « Rapport sur certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris », ministère de l’Économie et des Finances et ministère de la Justice, 2011.

[5] Entretiens téléphoniques et en face-à-face avec Ben Heineman, ancien General Counsel de General Electric, enseignant à Harvard et Yale aujourd’hui, le 13 mars 2013 et le 22 octobre 2013.

[6] P. Legrez, « Une nouvelle ambition : transformer les directions juridiques en “centres de profit” », La Semaine juridique – Entreprise et Affaires, n° 42, 18 octobre 2012.

Extraits du livre « La direction juridique de demain : vers un nouveau paradigme du droit dans l’entreprise » écrit par Olivier Chaduteau, paru le 25 mars 2014 aux éditions Lextenso. 247 pages, 25 euros.

Reproduits ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Editions Lextenso.

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Olivier CHADUTEAU, associé fondateur du cabinet Day One, est expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris en « stratégie et politique générale d’entreprise ». Il enseigne à l’Ecole de Droit de SciencesPo sur la « Gestion de projet juridique » et intervient sur l’organisation des cabinets d’avocats et des directions juridiques, audit ou « compliance » dans les entreprises en France et à l’international. »   Associé fondateur de Day One à Paris et de Day One International à New York.   - Expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris pour la rubrique « Economie et Finance » (D) / sous rubrique « Stratégie et politique générale d’entreprise » (D4-05) - Professeur invité à l’Ecole de Droit de Sciences Po Paris pour l’atelier « Gestion de projet pour un juriste », à HEC Parispour l’Executive Mastère & Cesa « Management d’une Unité Stratégique » sur les « stratégies de croissance » et auManagement Consulting Executive MBA de ESC Toulouse (Toulouse Business School) - « Mentor » au sein du Programme IME – Institut du Mentorat de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris - Olivier a été auditionné par la Commission Darrois sur « La Grande profession du Droit » en 2008 et par la Commission Attali sur la « Libération de la croissance en France » en 2007 pour sa connaissance et pratique des professions réglementées en France et à l’international - Membre du Conseil de Surveillance des Cognacs CAMUS depuis le 08 janvier 2008    

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