Emmanuel Macron face aux dilemmes de « La France unie »

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Par Cyrille Darrigade Modifié le 29 novembre 2021 à 7h14
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25%Emmanuel Macron est crédité de 25% des voix au Premier tour 2022.

Quand le Président de la République va-t-il se déclarer candidat pour un second quinquennat ? Entre la gestion de la crise Covid et la présidence française du Conseil européen, les analystes tablent sur une annonce tardive, comparant la posture de l’actuel chef de l’Etat à celle de son prédécesseur, François Mitterrand en 1988.

La seule différence réside dans le fait qu’Emmanuel Macron ne sort pas d’une période de cohabitation. Mais dans sa dernière allocution aux Français, il a repris les concepts de communication de l’ancien Président socialiste sur “La France Unie”. Ce genre de marketing électoral peut-il encore fonctionner ?

Christian Delporte, historien français spécialiste d’histoire politique et culturelle de la France du xxe siècle, dans sa publication “Les affiches présidentielles de François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac (1974-1995)”, révèle que la communication politique est avant tout la “conjonction de trois phénomènes : la personnalisation des enjeux, le poids des médias visuels dans le fonctionnement démocratique et l’emploi des méthodes publicitaires dans l’espace politique”.

Ces 3 phénomènes ont permis à François Mitterrand, au-delà de son bilan après un septennat à l’Elysée, de reconquérir l’opinion publique suite à une période de cohabitation (1986-1988) plutôt musclée avec un gouvernement et une assemblée à droite issue des Législatives de 1986. Pendant qu’il gère les affaires du pays et s’affiche sur la scène internationale, le Parti Socialiste entame une pré-campagne fin 1987. Si l’attente se fait sentir auprès de l’opinion, François Mitterrand attendra le 22 mars 1988 pour se déclarer. Soit trente-trois jours seulement avant le premier tour et en choisissant Antenne 2, interviewé à l’époque par Henri Sannier et Paul Amar.

Emmanuel Macron peut-il faire de même et s’appuyer sur la République en Marche, qui si elle n’a pas l’antériorité du Parti Socialiste, n’en demeure pas moins le parti actuellement majoritaire en termes de représentation institutionnelle. Les sondages d’opinions donnent d’ailleurs l’actuel Président aux alentours de 25 à 27% selon les instituts pour le premier tour d’avril prochain. Une estimation qui ne varie guère d’ailleurs depuis l’été dernier et qui semble se confirmer semaines après semaines. La R.E.M est divisée à l’intérieur d’elle-même certes, mais le PS l’était tout autant en 1988 avec le courant dirigé par Michel Rocard. Par ailleurs, si l’ancien Ministre des Finances du Gouvernement Hollande ne sort pas d’une cohabitation, il peut toujours utiliser la tribune européenne et son exposition médiatique pour faire passer des messages aux Français ? Même si ces derniers ont un regard critique sur cette institution, la stature d’un chef d'État ne peut en ressortir que plus grande.

De toute les façons, “la France Unie”, ce fut d’abord, “la Lettre à tous les Français”. Publiée le 7 avril 1988 à la fin de la campagne Présidentielle, François Mitterrand y dressait son bilan mais il développait surtout son programme en une forme assez inédite dans l’histoire de la Vème République. Notons qu’elle se trouva ensuite éditée sous forme d’encarts publicitaires dans des journaux régionaux et nationaux. Délicat pour le Président Macron de s’en inspirer. Celle parvenue au temps de la crise des Gilets Jaunes a t-elle vraiment rempli son objectif ? De même, Nicolas Sarkozy a tenté l’exercice en avril 2012, mais cette missive n’a pas eu le poids escompté pour l’emporter.

En 2021, au temps des réseaux sociaux, de l’information en continu, la posture du Président, homme de Lettres, animé par des idées, une raison et une démonstration, ne fera pas long feu. Car notre société française répond davantage à l’émotion et à l’image. La Présidentielle est la rencontre “d’un homme et d’un peuple”, à condition que se nouent des sentiments mêlés à l'affect, à la séduction. Pragmatiques, les Français aiment aussi une part d’idéal. Bien sûr, tous ne relayent pas le fond à l’image mais la tendance est bien là.

Comment Emmanuel Macron peut-il donner un sens à sa décision de solliciter un nouveau mandat auprès des Français ? En 1988, Mitterrand se livra à une charge cinglante contre « les partis, les groupes, les factions », accusés de menacer l’équilibre républicain. La France de 2021 est elle aussi en désordre : crise sanitaire, conflit des gilets jaunes, climat social tendu, vie chère, inflation...La liste des maux peut être complétée mais son analyse se doit d’être objective. Le Président de la République n’est pas forcément responsable de tout et de tout le monde. Pour autant, il sera difficile pour lui de taper sur les oppositions compte tenu des alliés venus de la gauche et de la droite dans son gouvernement. Nous sommes loin de 1988 et de la dénonciation de “l’Etat RPR” par Mitterrand.

En synthèse, si Emmanuel Macron veut incarner la “France Unie”, il va devoir réincarner la République et jouer la personnalisation de sa communication en la rendant plus accessible, plus synthétique et moins clivante. Il ne peut pas lui être demandé de passer d’une sorte de figure sacrée (Jupiter) à celle d’un homme normal (François Hollande). Car son récit ne peut pas être celui d’un candidat ordinaire, mais plutôt d’un président-candidat qui nous projette dans l’avenir puisant dans sa légitimité politique, à défaut d’avoir l'empreinte historique des Présidents de Gaulle et Mitterrand. Mais aussi en prenant en compte le fait que les Français jugent qu’une distance s’est installée avec lui. Le retour à la proximité est donc capital, sans tomber pour autant dans les contingences de la politique quotidienne. L’annonce de sa candidature pourrait être alors faite en province à l’instar de Jacques Chirac ; ce qui permettrait de renouer le lien avec l’esprit d’un Président s’adressant à tous les Français ? La grand-messe dans les mass médias est possible mais ce serait alors un grand classique. Plutôt que d’émettre des spéculations, il faudra observer et écouter attentivement les vœux du chef de l’Etat. Il y aura sans doute des messages entre les lignes. Nous verrons alors s’il a déjoué d’une force tranquille, les secrets de la “France Unie” pour les reprendre à son compte. En tout cas, le temps est compté car s’il est donné en tête du premier tour et vainqueur au second, il n’est pas à exclure que ses challengers Marine Le Pen, Eric Zemmour et le candidat désigné par Les Républicains n’effectuent pas une percée dans les sondages. De là à dire qu’Emmanuel Macron serait disqualifié pour avoir trop attendu, il y a encore une marge...Ce serait le dilemme à éviter au final, c’est-à-dire, celui d’une “France Unie” autour d’un autre candidat. Mais vous n'êtes pas obligés de me croire !

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Consultant en relations presse et médias Diplômé en sciences de la communication et l’information de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand

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