Mélenchon, Hitler: deux auteurs, un éditeur

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Par Eric Verhaeghe Publié le 26 octobre 2015 à 13h17
Th 97
290 000290 000 exemplaires de Mein Kampf ont été vendus dès avant 1933.

L’histoire est bien amusante! Jean-Luc Mélenchon s’est trouvé un point commun avec Adolf Hitler: son éditeur! Fayard, qui a publié l’an dernier L’Ere du peuple (un énième opus de notre Komsomolsk), devrait publier en 2016 une traduction de Mein Kampf, l’essai qu’Adolf Hitler avait publié durant sa détention, après son coup d’Etat raté à Munich, en 1923. Mélenchon, qui trouve les génocides communistes beaucoup plus sympathiques que les génocides nazis, n’apprécie pas la plaisanterie.

Mélenchon voudrait censurer Fayard

Après avoir applaudi des deux mains les violences contre les cadres supérieurs d’Air France, Mélenchon s’est fendu d’une lettre ouverte, publiée sur son blog, à son éditeur pour lui demander de ne pas publier l’ouvrage qui tombe en 2016 dans le domaine public. Le titre de la lettre en dit long sur les modes de raisonnement de notre commissaire politique national:

Non ! Pas « Mein Kampf » quand il y a déjà Le Pen !

Le reste du courrier est à l’image de cette approche tout en nuance:

Rééditer ce livre, c’est le rendre accessible à n’importe qui. Qui a besoin de le lire ? Quelle utilité à faire connaître davantage les délires criminels qu’il affiche ? Qui n’a été assez à l’école ou n’a jamais parlé avec les témoins des générations directement impliquées pour connaître et ressentir au plus profond de soi l’abomination du nazisme et des crimes d’Adolf Hitler annoncés dans Mein Kampf ?

On mesure toute l’attention que Mélenchon porte aux sciences historiques: pas besoin de se référer aux sources et aux documents d’époque pour connaître l’histoire. Répéter les témoignages triés sur le volet, les doctrines officielles suffit largement à élever le citoyen. On ne le croyait pas, mais il reste un nostalgique de l’école selon Staline: il vit en France et devrait même se présenter à l’élection présidentielle.

Mélenchon et le sacré

Tout l’enjeu de la polémique consiste bien entendu à savoir s’il faut ou non dédiaboliser l’histoire du nazisme pour en faire un objet d’étude critique. Cette question n’est pas de nature différente de la loi Gayssot: est-il interdit d’étudier certaines périodes de l’histoire en disposant d’une liberté scientifique pour remettre en cause les versions officielles?

A cette question, on appréciera la réponse d’un chercheur du CNRS publiée par Libération.

Il faut s’adresser à des lecteurs comme vous, Monsieur, pour les conduire à cesser de rejeter Hitler et Mein Kampf dans le pathologique et la démonologie, pour les conduire à penser en termes historiens et politiques, simplement. Il faut arrêter de croire que Mein Kampf nazifierait les égarés qui tomberaient dessus par accident. C’est un livre qui ne peut convaincre que des convertis.

Démoniser Hitler ou l’étudier scientifiquement? Telle est bien la question de notre époque – question que nous n’arrivons guère à dépasser.

La prose de Mélenchon sur le sujet nous montre en tout cas que le combat ne se livre pas entre une gauche de la raison et un nazisme de la folie. Il oppose un Mélenchon Savonarole qui veut purifier l’histoire et une représentation maladive du diable qu’il faudrait interdire. De ce point de vue, le Front de Gauche est beaucoup plus proche qu’il ne le croit d’une vision chrétienne intégriste du monde, à cette différence près que la Sainte Famille y a cédé la place au matérialisme historique.

Faire le deuil d’une époque

Pour l’Occident, l’étude historique du nazisme reste, on le voit avec la surréaction mélenchonienne, une étape psychologique difficile à franchir. Alors que personne ne s’offusque, par exemple, de voir l’Etat subventionner abondamment l’Humanité qui avait consacré sa une à la mort de Staline sous le titre suivant:

Mélenchon

éditer les « oeuvres » de Hitler fait toujours débat.

Les amateurs de phénoménologie allemande, et notamment de Husserl, et de psychanalyse, y verront des signaux clairs sur la difficulté pour l’Europe de surmonter le traumatisme nazi. La question qui est en suspens consiste bien entendu à savoir, derrière ces censures imposées par nos surmoi collectifs, quels bénéfices secondaires nous retirons collectivement de ces interdits et de ces tabous.

Paradoxalement, il faut saluer la décision prise par Fayard de publier Mein Kampf: près de cent ans après la publication de l’édition originale, l’Occident peut se poser la question de son rapport mal dépassé à une phase de l’histoire qui continue à nous hanter. Ce n’est rien d’autre qu’un travail de deuil qui nous est proposé.

Article écrit par Eric Verhaeghe paru sur son blog.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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