OPA Club Med : de la nécessité de s’ouvrir au marché chinois

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Par Alban Huet Modifié le 27 novembre 2014 à 15h03

OPINION

L’Offre publique d’achat dont fait l’objet le Club Med depuis un an et demi est le théâtre de surenchères successives de la part des candidats au rachat, instaurant un suspens qui met à mal toutes prédictions sur l’identité du futur gagnant. Après avoir relancé une nouvelle OPA amicale début septembre, le conglomérat chinois Fosun se voit contré encore une fois par son adversaire Andréa Bonomi avec une offre hostile récemment revalorisée. Si Bonomi fait montre de certains atouts financiers, le sort qu’il réserve au célèbre club de vacances interroge. L’absence d’ouverture sur le marché des pays émergents, et particulièrement sur la Chine manque à la stratégie italienne et pourrait bien coûter cher à l’entreprise française.

Un match serré qui dure depuis 18 mois

Nouveau rebondissement dans l’OPA qui concerne le Club Med : après s’être fait voler l’avantage en septembre par le chinois Fosun et sa nouvelle offre amicale à 22 euros par action, l’homme d’affaires transalpin André Bonomi vient tout juste de revoir sa copie et propose une offre améliorée à 23 euros par action, contre 21 euros auparavant. Des contre-propositions qui se jouent au coude à coude et qui alimentent une guerre sino-italienne inédite jusqu’à présent.

Ce va-et-vient a débuté en mai 2013 lorsque le plus grand conglomérat privé de Chine Fosun, accompagné par le fonds d’investissement français Ardian, décide de lancer une OPA sur le Club Med via la société Gallion Invest, véhicule financier créé pour mener à bien cette opération.

Soutenue alors par le management de l’entreprise ainsi que par le PDG Henri Giscard d’Estaing, l’offre à 17,50 euros par action est quelques mois plus tard supplantée par l’arrivée à la table des négociations du raideur italien André Bonomi et une proposition 20 % supérieure à celle de son concurrent.

Si les actionnaires ont alors un penchant pour l’offre formulée par Global Resort, la société fondée par Bonomi pour l’occasion, la vision que l’homme d’affaires a de l’avenir du Club Med tranche littéralement avec le chantier mis en œuvre par l’équipe dirigeante depuis une dizaine d’années maintenant et suscite en interne de nombreuses craintes.

L’offre de Bonomi, une menace pour les résultats économiques du Club Med ?

Les deux OPA jouent donc à saute-mouton depuis le début, s’évertuant à présenter un montant supérieur à la précédente et espérant tenir la distance jusqu’à ce que deal se fasse. Au-delà du pouvoir financier de chacun des protagonistes, la stratégie qu’ils comptent mettre en place une fois l’heureux acquéreur de la marque au Trident désigné, différent également en plusieurs points.

Quand le tandem Fosun-Ardian mise sur une montée en gamme des services, initiée depuis quelques années par Henri Giscard-d’Estaing, Bonomi coupe court à ces projets en prônant le déploiement du moyen de gamme avec la multiplication des clubs à trois tridents. Or, le Club Med a perdu la guerre du low cost il y a déjà bien longtemps, la relancer serait une preuve d’ignorance de l’histoire de la société et du secteur touristique français. Concernant la France justement, le système Bonomi prévoirait une réduction des frais nationaux de moitié, et c’est 650 employés qui verraient alors leur poste passer à la trappe.

Un ancrage français mis en difficulté par des intentions qui viseraient uniquement des résultats à court terme, particularité typique du sens des affaires de l’Italien. Et tant pis si cela prive in fine l’entreprise rachetée de temps pour installer des résultats solides sur la durée. Ces considérations sont étrangères à Bonomi qui est connu pour préférer faire de l’argent rapidement et revendre à qui mieux mieux .

Autre volonté émanant de Global Resort, recentrer l’activité du Club Med sur le marché français et retirer à la société toutes perspectives de développement à l’international, et donc de croissance. Au rayon des bonnes idées, on demande Andrea Bonomi.

La Chine, une garantie de croissance pour le Club Med

En plus de vouloir consolider la montée en gammes des services du Club, Fosun défend l’idée d’une société au potentiel international qu’il faut pouvoir exploiter. Ce fut le cas lors de la première OPA lancée en duo avec Ardian et c’était encore le cas en septembre quand le conglomérat chinois est revenu à la charge pour devancer la contre-offre italienne, cette fois-ci accompagné de Fedelidade, une compagnie d’assurance portugaise, et U-Tour, une agence de voyages chinoise, Ardian jouant désormais un rôle minoritaire dans cette entreprise de rachat.

L’offre qui valorise le fleuron du tourisme français à 839 millions d’euros prévoit donc une expansion de la marque Club Med dans les marchés à forte croissance, à l’image de la Chine ou encore de l’Asie du Sud-Est. Avec déjà 3 villages implantés dans l’Empire du Milieu, Fosun compte capitaliser sur le potentiel de croissance inhérent au pays pour faire retrouver au groupe français une dynamique économique dernièrement affaiblie, en proie à un secteur touristique national diminué par une crise qui ne prend pas de vacances.

Guo Guangchang, président de Fosun, relevait l’année dernière les perspectives qu’offre le marché chinois : « Quand nous parlons de développement du marché chinois, il s’agit à la fois de créer de nouveaux villages en Chine mais aussi d’amener de nouveaux clients chinois dans les villages du Club, partout dans le monde, y compris en Europe, où il faudra continuer à investir pour poursuivre la montée en gamme. Le tourisme chinois croît au rythme de 40 % par an, et le nombre de clients chinois du Club progresse de 30 % par an, ce qui représente une formidable opportunité de développement pour le Club ».

Des analyses attractives qui n’auraient pas de mal à faire leur chemin dans n’importe quelle réflexion saine et qui peinent pourtant à trouver un écho dans la façon dont Bonomi envisage l’avenir du Club. Et quand bien même il aurait des velléités de développer le Club Med en Chine, il n’y a qu’à voir le désastre que sont actuellement en train de vivre les voitures Aston Martin, propriétés de Bonomi depuis 2012, sur le marché chinois pour réaliser que l’homme serait incapable d’y développer les villages vacances.

La marque d’automobiles vient en effet de voir son plus gros revendeur en Chine, Pangda Group, céder l’intégralité de ses parts détenues dans cinq filiales spécialisées dans l’importation et la revente d’Aston Martin en Chine. Les experts de l’industrie automobile s’accordent majoritairement pour dire que sans le soutien d’un acteur aussi important que Pangda Group, le devenir d’Aston Martin en Chine semble être plus que compromis et semé d’embuches.

Jusqu’à maintenant, Bonomi est plutôt du genre à faire la sourde oreille et ne semble pas préoccupé par ce marché qui est en train de lui filer entre les doigts. On l’imagine davantage concerné par la façon dont il va procéder pour se débarrasser des voitures anglaises. Deux ans déjà dans son portefeuille, ça commence à faire long dans le calendrier Bonomi.

Pour l’heure, Andréa Bonomi a beau avoir une façon très personnelle de gérer ses affaires, il reste le mieux offrant concernant l’OPA sur le Club Med, avec une dernière proposition 4,5 % supérieure à celle de Fosun et valorisant la société à 874 millions d’euros. Tous deux actionnaires du Club Med, Fosun avait jusqu’ici une longueur d’avance grâce à une participation de 18,3 %. Un avantage qui se réduit comme peau de chagrin puisque la surenchère de Bonomi a été l’occasion pour l’Italien de revoir sa part et de la porter à 15,93 %, avec des négociations en cours pour détenir 18,93 % du groupe de tourisme français.

La bataille des chiffres bat donc son plein et on en vient à se demander quand elle prendra fin. Ce qui est certain, c’est qu’avec un prix d’achat de 874 millions d’euros et une stratégie qui se prive d’ouverture vers les marchés en plein développement, Bonomi a sûrement un tas d’idées plein la tête pour faire fructifier son investissement. D’aucuns murmureraient qu’il tablerait en effet sur une cessation « des meilleurs actifs » de la société dans les années qui suivraient le rachat. Surprenant ? Non. Seul le contraire l’aurait été.

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Analyste financier indépendant, Alban Huet est spécialisé dans l'établissement de bilans complets d'entreprises de toutes natures. Les yeux rivés sur l'évolution des tendances économiques, il n'a pas son pareil pour prévoir quelles valeurs vont grimper ou chuter, et à quel moment. Il officie essentiellement à Paris, New York et Londres.

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