Europe : il y a tant à faire pour redonner du sens à l’Union

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Par Véronique Riches-Flores Modifié le 26 mai 2020 à 5h05
Europe Contradiction Defis Union Europeenne
7,3%Entre 2008 et 2019, le PIB par habitant a chuté de 7,3% en Italie.

Certains parlent du moment Hamilton européen en référence à l’initiative franco-allemande du début de cette semaine en faveur d’un plan de relance de 500 milliards d’euros financé par l’Union européenne pour aider les régions et secteurs à surmonter les méfaits de l’épidémie de coronavirus. On aimerait y croire tant cette ambition se justifierait face aux défis économiques et géopolitiques internationaux en présence, que les conséquences de la pandémie viendront sans nul doute, exacerber.

En forçant le politique à reprendre la main sur la BCE, la décision de la cour de Karlsruhe qui menace de restreindre la latitude de cette dernière se révélera peut-être un électrochoc salvateur. Mais ne nous y trompons pas, la tâche est immense et ne se résume pas à une enveloppe, aussi conséquente soit-elle, de milliards d’euros.

Le retour du politique, enfin

Plus de dix années se sont écoulées depuis la crise financière de 2008, dix années au cours desquelles l’avenir européen semble avoir exclusivement reposé sur les initiatives de la banque centrale européenne, si ce n’est sur celles d’un seul homme, incarné par son président, Mario Draghi.

Plutôt que d’adresser les origines économiques des maux des différents pays et de l’union monétaire dans sa globalité, cette politique du sauve-qui-peut monétaire a apporté des réponses financières en contrepartie de sacrifices budgétaires aux conséquences ravageuses pour la croissance et, par làmême,
pour la soutenabilité à long terme de l’endettement des États. Si l’arrêt des politiques d’austérité ces cinq dernières années a quelque peu desserré les contraintes, le carcan du pacte de stabilité et l’absence de politiques structurelles de croissance ont prolongé l’agonie des pays les plus fragiles, au premier rang desquels l’Italie. Entre 2015 et 2019, cette dernière a été soumise à des excédents primaires de 1,2% de son PIB chaque année, un sacrifice certes moins élevé qu’au cours des trois ans précédents, pour autant très coûteux dans un contexte de faible croissance économique nominale généralisée.

Après plus de vingt ans de restriction budgétaire au rythme de 2% l’an en moyenne, le pays a payé un lourd tribu à cette discipline, égalée par aucun autre pays. Entre son point haut du début 2008 et le dernier trimestre 2019, le produit intérieur brut italien s’est contracté de 5% ce qui, malgré une démographie déclinante depuis cinq ans, s’est soldé par une chute de 7,3% de son PIB moyen par habitant, à laquelle il faut dorénavant ajouter les pertes additionnelles de 4,5% au premier trimestre et, selon toute vraisemblance, au moins autant au deuxième. L’ensemble devrait porter à plus de 15% la baisse cumulée du revenu par habitant des douze dernières années, un constat inédit dans l’histoire contemporaine des pays développés, rendant de facto la situation des finances publiques italiennes plus insupportable qu’elle ne l’était avant l’épidémie.

Si le cas de l’Italie est extrême il n’en est pas moins le témoin de ce que risque de connaiître à terme une majorité d’économies de la zone euro en l’absence de changement de cap de la politique économique et ceci plus encore au vu des dégâts attendus de la pandémie. C’est en ce sens que la reprise en main du politique que préfigurent les annonces de la Chancelière allemande et du Président français constituent une bonne nouvelle. Mais c’est également à partir de cette expérience que l’on prend conscience de l’ampleur des enjeux qui s’ensuivent, lesquels vont bien au-delà des conséquences immédiates de la crise du Covid-19.

Remettre les boeufs devant la charrue

Prétendre contrôler les dettes en réduisant le potentiel de croissance, ce à quoi ont conduit les axes de la politique européenne jusqu’à maintenant, est une
aberration que nous avons maintes fois dénoncée depuis 2010 et qui ne pouvait que mal finir. Trop de restriction budgétaire a pour effet bien connu de nuire en priorité aux investissements publics et par voie de conséquence aux investissements productifs privés, sans parler des effets néfastes des politiques
trop restrictives sur la demande. Le constat ne date ni d’hier ni de l’expérience européenne, il est universel. En ne protégeant pas les dépenses d’investissement des efforts demandés aux États, la politique menée a, par ailleurs, exacerbé les écarts entre les pays de la région plutôt que de contribuer à ce que devrait viser une union monétaire ; un plus grand degré de convergence entre les économies qui la composent.

Privilégier le numérateur du rapport de la dette à son dénominateur, le produit intérieur brut nominal, revient le plus souvent à éroder ce dernier et à annihiler les efforts consentis par les populations. Cela ne signifie pas qu’il faut négliger le contrôle de la dette et des déficits mais qu’il est nécessaire de viser un équilibre soutenable assurant la préservation d’un rythme de croissance nominale suffisant, sans lequel l’inflexion de la trajectoire de l’endettement n’est pas accessible.

L’Italie est le contre-exemple de la stratégie optimale en la matière et il s’agit aujourd’hui d’y mettre un terme. C’est uniquement par la garantie d’une telle rupture que les annonces à venir de la part de la Commission pourront véritablement rassurer sur leurs chances de réussite à terme.

Les axes sont bien connus

De quoi s’agit-il en priorité ?

1- De mettre à l’écart les contraintes du pacte des stabilité avant d’avoir renoué avec des conditions de croissance nominale plus solide. La mise entre parenthèses de ces règles pour la seule année 2020 n’a naturellement aucun sens face à la crise en présence et sans doute faudrait-il d’emblée privilégier a minima le triennat.

2- De faciliter l’investissement public à des fins d’amélioration du potentiel de croissance structurelle en excluant, par exemple, les dépenses ciblées d’investissement du décompte des déficits, mesure préconisée depuis longtemps par nombre d’économistes et toujours en attente d’application, faute d’orientation de la politique industrielle européenne qui permettrait de flécher les besoins.

Une telle décision aurait non seulement comme avantage de redonner des marges de manoeuvre aux États dont les dirigeants ont besoin pour préserver les démocraties chancelantes mais également de permettre à la Commission d’orienter les dépenses en fonction des objectifs communs privilégiés par la politique de relance. Il ne s’agit pas de dupliquer l’expérience nippone de coûteux plans d’investissement improductif mais de rattraper le retard en infrastructures pris par la grande majorité des pays européens tout en se donnant les moyens d’une croissance moins carbonée, aujourd’hui indispensable à la satisfaction des engagements de la COP 21 et à une meilleure capacité d’adaptation aux changements climatiques à venir, donc de préservation de la productivité.

3- De promouvoir les projets pan-européens financés par l’UE, afin de mieux affronter la concurrence des géants internationaux et, plus encore, de fédérer les populations autour d’accomplissements concrets à l’échelle de l’Union. L’objet est de donner plus de forces aux avancées nécessaires, en particulier dans le domaine environnemental dans lequel les progrès considérables doivent être mieux acceptés et plus vite concrétisés sans être perçus comme une charge financière insupportable.

4- De rattraper le retard en matière de santé publique, laquelle, le Covid-19 nous l’a tristement rappelé, est un préalable à la sécurité des personnes et de la vie économique.

Nul ne peut dire quelles auraient été les conséquences de l’épidémie si les politiques de santé publique n’avaient pas subi les contraintes budgétaires de ces dernières années, mais nous pouvons avancer sans trop de risque qu’elles auraient été moindres. La relation entre le taux de létalité et le taux d’équipement en lit d’hôpitaux ne souffre guère le doute en effet que ce soit au niveau européen ou global. Le retard de 17% pris ces dix dernières années par l’Italie en matière de dépenses de santé n’est pas non plus sans lien avec l’ampleur de la crise sanitaire connue par le pays, quand bien même ce déficit n’en est pas l’unique explication.

Au-delà, il s’agit de rappeler que le seul vieillissement des populations exige un taux d’équipement et de dépenses de santé par habitant plus élevé pour l’Europe comme pour la grande majorité des pays à travers la planète aujourd’hui. Le secteur de la santé draine de nombreuses activités, aux premiers rangs desquelles, la recherche médicale et le développement de nouvelles technologies, sources d’investissements et d’emplois qui valent tout autant, est-il nécessaire de le rappeler, que les secteurs traditionnels de l’industrie.

5- De se donner les moyens d’une indépendance technologique, qui fait aujourd’hui cruellement défaut. L’Europe ne peut laisser ce domaine hautement
stratégique aux mains des seules entreprises américaines et chinoises sans prendre le risque de se priver non seulement des ressources de croissance et d’emplois d’avenir mais, au-delà, de perdre en sécurité et en souveraineté. C’est bien de cela dont il s’agit comme de la protection de ses données, préoccupation devenue essentielle pour les consommateurs, entreprises et États dans un monde de plus en plus adverse.

6- De renforcer les politiques éducatives et de formation indispensables à l’amélioration du niveau de connaissance de ses populations et à l’inversion de la
tendance au creusement des inégalités, laquelle s’est singulièrement accélérée ces dernières années et risque de l’être plus encore aux lendemains de la pandémie.

7- Enfin, de mettre un terme aux pratiques monétaires absurdes qui, sous prétexte d’équité, ont fini par allouer plus de fonds aux pays qui en ont le moins besoin au détriment de l’efficacité et de l’équilibre financier régional.

C’est seulement en avançant concrètement et rapidement sur chacun de ces fronts, autrement dit par la formulation d’une véritable politique de croissance et de transition que l’Europe pourra convaincre de sa capacité à se reprendre et de la justesse de la réaction des marchés qui ont vu dans l’annonce du couple francoallemand, une réduction du risque souverain et une source d’appréciation de l’euro.

Y serons-nous ? Si l’espoir semble depuis longtemps permis, force est de constater que l’on peine à y croire. Porté par la Chancelière Merkel en fin de règne et par un Président Macron dont l’ambition européenne a jusqu’à présent peu suscité l’engouement, le projet est fermement repoussé par le clan des « frugaux » qui, s’ils finissent par accepter la « proposition allemande » à hauteur de 500 milliards d’euros, n’iront vraisemblablement pas plus loin ni dans l’acceptation de sommes supplémentaires ni dans le soutien de politiques jugées trop accommodantes pour les pays nécessiteux et trop contraignantes et/ou contraires à leurs propres objectifs de la part de la Commission.

Or, force est de reconnaitre que l’Europe est aujourd’hui au pied du mur et que, sauf à être capable de franchir le Rubicon, son avenir deviendra de plus en plus instable, menaçant et menacé

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Économiste, diplômée de l’Université de Paris I,  Véronique Riches-Flores dirige la société RichesFlores Research - Global Macro & Thematic Independent Research, une société de recherche économique indépendante depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la banque d'investissement, en tant que chef économiste chez SG CIB -Société Générale Corporate & Investment Banking- de 1994 à 2012. Son analyse de l'environnement financier international s'assoit sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle de l'économie mondiale permettant d'avoir un produit spécifiquement adapté aux besoins des professionnels de la gestion d’actifs et des grandes entreprises.

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