L’actualité vue par Louis XVI : la réforme des pensions, ou le mal du royaume

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 27 août 2013 à 5h54

Je me gausse, mon cher François, en te voyant te tortiller sur ton trône comme un enfant incontinent, lorsque vient sur la table la question de la réforme des pensions, qui me valut mon trône, et qui pourrait bien te valoir le tien. Je me gausse d'ailleurs de voir que ces pensions t'empoisonnent de la même façon qu'elles m'empoisonnèrent et me perdirent.

Que sont vos pensions ? Sinon un revenu plus ou moins confortable distrait du labeur des Français qui s'adonnent aux arts mécaniques et qui sert à faire vivre ceux qui s'adonnent aux arts libéraux. Sous la monarchie, seuls les nobles en profitaient ; sous la République, un peu plus de Français en profitent, mais pour des sommes moins importantes. Dans tous les cas, le calcul actuariel est le même : ceux qui travaillent font vivre ceux qui ne travaillent pas.

Le système français de pension est devenu une mécanique infernale

De plus en plus en profitent, et ne veulent rien lâcher, et de moins en moins les financent, et renâclent de plus en plus à ce financement.

Comme sous la monarchie, ce problème arithmétique simple, ce problème de règle de trois et de fraction accessible à un élève d'école primaire, est abordé avec tant de passions, de mythes et de symboles, que plus aucun esprit raisonnable n'a voix au chapitre.

Comme sous la monarchie, l'affaire est singulièrement compliquée par la féodalité républicaine. Comment appeler ces seigneurs locaux qui poussent le souverain à repousser la réforme parce qu'ils craignent pour leur réélection en 2014 ? Ne sont-ils pas à la source de la frilosité du trône vis-à-vis des réformes ? Et le Président de la République n'est-il pas au fond le chef du parti des élus locaux qui veulent préserver un système boîteux, mais garant de leur seigneurie ?

Comme sous la monarchie, François, tu es un homme face à un dilemme

Soit tu réformes tes pensions pour les rendre supportables au trésor du royaume, et tu contentes tous ces financiers soiffards qui veulent un budget bien tenu, tous ces Prussiens et leur barbaresque bruxelloise qui te sauront gré d'assainir le pays sans violence. Accessoirement, tu soulages aussi le fardeau qui accable les épaules de tous ces jeunes dont le seul échappatoire est de s'embarquer à La Rochelle pour rejoindre les Amériques, loin du tumulte fiscal auquel tu les soumets avant même qu'ils n'aient commencé le moindre apprentissage.

Mais... Ce faisant... Tu te brouilles avec tous les privilégiés qui n'ont guère intérêt à perdre le bénéfice d'un système sur lequel ils ont parié, et sur lequel ils comptent depuis tant d'années. Et ils auront pour alliés tous ces hobereaux auxquels ton parti donne des postes, des charges, des mandats, des émoluments depuis des années, et qui ne peuvent s'en priver.

Soit tu ne réformes pas et une fois de plus tu recueilles l'amour de tout un peuple qui aime les prestidigitateurs et les illusionnistes, qui admire ceux qui lui disent: le problème, c'est la solution, la solution, c'est ne pas poser le problème.

Incontestablement, si tu retenais cette hypothèse, tous tes petits marquis te salueraient bien bas et applaudiraient chaudement à la manière des gentilshommes qui entretenaient mon ancêtre le Roi-Soleil sur sa chaise percée, durant la cérémonie de la petite Entrée.

Mais... Ce faisant... Tu te brouilles avec la Prusse, avec l'Europe, avec les financiers et les spéculateurs, avec ceux auprès de qui tu vas lever des impôts pour cacher provisoirement la misère du trésor. Je sais bien que, beaucoup, dans ton parti, t'encouragent à suivre cette voie, parce qu'ils ont l'illusion que la Prusse ou les financiers sont des ogres bien moins rugissants que leurs électeurs le jour du scrutin.

Prends donc ton boulier, et fais le compte des inconvénients auxquels tu t'exposes en accédant à cette diarrhée fiscale qui anime tant tes courtisans.
D'abord, rien ne te garantit que les contribuables continueront éternellement à contribuer. Peut-être jugeront-ils le moment venu de se révolter contre les dîmes et gabelles qui les accablent.

Ensuite, les spéculateurs du monde entier risquent bien de se convaincre définitivement que tu n'es pas l'homme de la situation, et que tes louvoiements, tes tortillements, tes palinodies, tes kakemphatons, cachent une véritable paresse dans l'art de gouverner. Et prends bien garde aux mauvais coups que ces gens sans scrupule sont capables de t'envoyer, avec le sourire moqueur de l'âne qui recule.

Dans l'hypothèse où tous ces gens de mauvaise vie décideraient par exemple d'augmenter fortement les intérêts auxquels ils te prêtent de l'argent, c'est la vie du pays tout entier qui en souffrirait. Les sommes disponibles pour la charité, pour l'administration, pour la maréchaussée, pour la justice, seraient réduites par obligation de devoir payer plus cher les créditeurs. Et tu serais alors pris dans la spirale infernale qui m'a abattu.

Ah! Le terrible dilemme qu'est le gouvernement d'un pays !

Je me fends donc d'un conseil amical, puisqu'entre souverains velléitaires et hargneux, nous nous devons entraide. Représente-toi clairement au bord du précipice que tu escalades à la manière d'un montagnard suivi de son baudet. Si tu jettes sans cesse le regard sur le vide qui t'entoure, inévitablement, ta marche sera plus lente et moins assurée. Le vide absorbera ton regard, ton esprit, et attirera immanquablement tes pas. Plus tu lèveras le regard jusqu'au sommet que tu dois dépasser, moins ta vie sera mise en danger.

Abstrais-toi donc de ces jérémiades de courtisans qui t'abaissent et te forcent à baisser les yeux vers le vide de leur réélection. Abstrais-toi de ta propre contingence et oublie même ta réélection en 2017. Contente-toi de gouverner la France comme si tu allais mourir demain et que ton souvenir devait te survivre toujours. Montre-toi grand et ambitieux.

Juges-tu raisonnable de priver tes jeunes des fruits de leur travail pour préserver ceux dont la prospérité appartient au passé?
Juges-tu raisonnable de primer l'oisiveté au détriment du travail ?
Juges-tu raisonnable de préférer les arts libéraux aux arts mécaniques ?

Entre tous ces gens, il doit bien se trouver un équilibre durable et acceptable. Ta tâche est de le dévoiler et de l'expliquer aux Français.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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