Train : L’ouverture à la concurrence ? Une possible fermeture à la prospérité.

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Par Clive Lamming Modifié le 1 avril 2021 à 10h19
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35 MILLIARDS €Le chiffre d'affaires consolidé du groupe SNCF est de 35 milliards d'euros en 2019.

Si l'économie est une veille affaire synonyme de civilisation et de progrès depuis les siècles, le chemin de fer l'est tout autant pour avoir été son fidèle serviteur, créant la Révolution industrielle du XIXe siècle après avoir fait vivre les mines depuis le Moyen-âge. Le chemin de fer est très ancien, il est attesté comme transporteur de charbon sur des rails en bois dans les galeries de mines dès 1550, avec des trains entiers de wagonnets tirés par des chevaux. Son déploiement à la surface du sol est fait pour relier les mines aux ports fluviaux et maritimes et, à l'époque de la Révolution française, plus de 600 km de lignes existent sur le sol Britannique, transportant du charbon.

Le chemin de fer est ainsi né pour le charbon, et c'est inscrit dans son « ADN » comme on dirait aujourd'hui : le chemin de fer ne sait faire, et très bien faire, et être riche, que s'il transporte tous les jours la même chose, du même endroit à un autre même endroit, à la même heure, et à la même vitesse : le charbon, le pétrole, les automobiles neuves, les voyageurs des trains de banlieue comme ceux des TGV. Tout doit être fait avec un métronome qui bat la mesure. C'est ainsi depuis 180 ans. Si l'on diversifie les trafics, les destinations, si l'on lui impose des tâches supplémentaires comme les produits saisonniers, les voyageurs occasionnels, la livraison à domicile et le dernier kilomètre, alors le métronome se détraque. Rien ne va plus, faites vos jeux.

Georges Stephenson, père du chemin de fer moderne, à qui l'on impose des voyageurs qui s'invitent dans la fête ferroviaire en montant sur les wagons des trains de charbon, dit « Les voyageurs iront à la vitesse du charbon ! » Il lui fallut déchanter et laisser le microbe de la variété et de la diversification contaminer son beau système.

Public ou privé : la fausse approche par le dialogue de sourds.

On croit que le chemin de fer est un service public, dans certains pays, et, dans d'autres, une entreprise privée - qui, soit dit en passant, « marche mieux ». C'est une distinction qui ressemble à vieil interrupteur électrique à deux positions : public ou privé, clic-clac. Pour rester dans la comparaison électrique, disons que le chemin de fer est une sorte de rhéostat, un curseur, avec deux positions extrêmes : public, privé. Mais aucun réseau au monde est dans ces extrêmes. Tous sont quelque part entre les deux et quand on dit que l'on « nationalise », la réalité est que le réseau « nationalisé » est simplement un peu poussé en direction d'un extrême, et quand on « privatise » ou « ouvre à la concurrence », le réseau est un peu poussé en sens inverse.

Le privé a toujours existé, même sur des réseaux publics : le train le plus célèbre du monde, l'Orient-Express, était privé, et de 1883 à 2009, roule sur des réseaux publics et privés, passant, entre Paris et Istanbul, avec un égal bonheur des uns aux autres, et en empruntant leurs locomotives.

Lorsque la Suisse « nationalise » son réseau en 1898, ce pays, pourtant peu porté sur le communisme est un pionnier d'une dite nationalisation qui, d'ailleurs, n'affecte pas tout son réseau. Le privé existera toujours dans le public.

Le public a toujours existé, même sur des réseaux privés : les Etats-Unis ont un patchwork de réseaux apparemment privés, mais aussi certains sont très publics comme celui de l'Alaska, terre « sensible » où il faut rester sérieux et gérer les choses militairement, ou comme le service des trains de voyageurs repris en 1972 par une sorte de SNCF américaine nommée Amtrak. En cas de guerre, tous les réseaux américains passent sous un régime public et même militaire. Tous ont rapporté beaucoup d'argent et conservent, aujourd'hui, leur position dominante sur le marché des transports de marchandises avec plus de 80% (contre 9% en Europe).Le milliardaire Vanderbilt doit sa fortune à son fameux réseau New-York Central et son train » Twentieth Century Ltd » - le plus luxueux du monde avec ses salles de bains alimentées en eau de mer ou douce, au choix ! Le chemin de fer américain fait tous les jours la même chose : il a le monopole du transport du charbon, et il gagne beaucoup d'argent. Le lobby ferroviaire américain arrive même à freiner le développement des centrales nucléaires pour conserver son tonnage vertigineux de charbon transporté. Le public persiste à exister dans le privé.

La France, en 1878, est obligée de racheter certains de ses réseaux privés vu leurs situations totalement déficitaires et en faillite, et elle les transforme en un réseau de l'Etat, en attendant, vu la faillite galopante des autres réseaux jusque-là privés, de les regrouper aussi et de créer la SNCF en 1938. En cas de guerre, tous les réseaux passent sous commandement militaire. Le désastre financier provient d'un exèce de petites lignes secondaires qu'aujourd'hui on rêve de reconstruire, et surtout d'une politique fiscale hostile aux chemins de fer et très favorable à la concurrence routière qui créera le désert ferroviaire français actuel dont, il semble qu'il soit question de le faire disparaître comme on parle tout aussi bien de la fertilisation du Sahara. Mais aujourd'hui des trains de marchandises privés circulent sur le réseau SNCF, et même des trains de voyageurs portant les couleurs de leur région. Le privé a existé dans le public.

Le Royaume-Uni n'a pas cessé de promener le curseur dans le sens du public ou en sens inverse. C'est le cas en 1923 avec le « grouping » des grands réseaux, en 1946 avec la création des « British Railways », puis dans le sens des privatisations ou des renationalisations partielles aujourd'hui, pour ce qui concerne le réseau mal entretenu par des compagnies privées : on renationalise après le désastre de Hatfield du au mauvais état de voies et survenant en l'an 2000, inaugurant ainsi un nouveau millénaire enfin favorable aux chemins de fer ?... Les sujets de Sa Gracieuse Majesté promenent ainsi sans arrêt le curseur dans un joyeux ballet économique dont ce pays a le secret - pays que l'auteur de ces lignes, fils d'un Anglais et d'une Française, connaît bien. Le « Brexit » a un air de famille avec un chemin de fer britannique qui lui ressemble… Le public réexiste dans le privé.

L'ouverture à la concurrence ? La réponse négative des contraintes techniques .

Chaque pays au monde a une histoire ferroviaire très différente, et surtout chaque pays a des techniques ferroviaires (écartements, nature du courant de traction électrique, signalisation, systèmes de freinage, etc.) qui créent autant de "frontières techniques » empêchant une internationalisation, publique ou privée d'ailleurs. Si une automobile, un avion, un bateau peut allier librement sur n'importe quelle route, n'importe quel aéroport ou port, c'est parce que sont les modes de transports qui n'ont que très peu de liens avec le milieu dans lequel leurs véhicules évoluent. Le train doit tout au chemin de fer : son guidage (fait par l'aiguilleur au sol), son alimentation électrique, sa signalisation, sa sécurité (immense, d'ailleurs), ses horaires cadencés à la minute près, mais chaque réseau et chaque pays ont, depuis des décennies, adopté, en toute liberté nationale des techniques différentes dont la transformation serait, économiquement et techniquement, une aberration.

A un possible investisseur passionné de transports, nous dirions volontiers d'acheter un avion ou un autocar. IL fera ce qu'il voudra et, éventuellement, il fera fortune, après l'avoir peint d'une belle couleur, en allant librement dans les airs ou sur les routes de France. Nous lui déconseillerons d'acheter un TGV : il jettera le gant, découragé par une montagne de contraintes techniques nécessaires qui ne lui laissera aucune liberté, sauf celle de la couleur de son train et de la marque du café servi au bar.

Imagine-t-on une justice, une police, une santé, une instruction, un réseau routier qui ne soient pas des services publics ? Les Français admettent très bien que ces institutions ne soient pas placées sous les dures et aveugles lois du rendement. Le chemin de fer français a peiné à être vu de cette manière, et nous ne souhaitons pas à la SNCF de devenir une sorte d'EDF et que le contrôleur, personnage mythique et attachant, ne soit remplacé par un compteur Linky.

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De mère française et de père anglais, né en 1938, de nationalité française, Clíve Lamming, docteur en histoire, est un historien des chemins de fer reconnu. Il a publié une centaine d’ouvrages sur ce sujet, dont « Trains de légende » en 35 volumes (Atlas, 1995-1999); « Cinquante ans de traction à la SNCF: enjeux politiques, économiques et réponses techniques » (CNRS Éditions, 1997), « Le Larousse des trains et des chemins de fer » (Larousse, 2005), « Paris au temps des gares » (Parigramme, 2011); « Les Secrets des trains » (Vuibert, 2012) « La France en train » (Arènes, 2014). Clive Lamming est un collaborateur de La Revue générale des chemins de fer, revue de référence créée en 1878. Il est aussi un grand collectionneur de documents du monde ferroviaire et participe en tant que conseiller technique et historique auprès de cinéastes comme Martin Scorsese avec « Hugo Cabret » (2010), ou la Fox pour la nouvelle version de « Murder on the Orient-Express » (2017). Il a été conseiller technique pour de nombreuses émissions de télévision sur les chemins de fer (Arte, France-Télévision, RMC Découverte, Planète +, etc) Il est membre permanent depuis 2007 de la Commission Nationale des Monuments Historiques pour le patrimoine ferroviaire. Expert auprès du G8 de Paris en 2011, il a conçu le projet d’une ligne directe Chíne-Europe en voie normale par la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan, et dont il ne manque que le tronçon afghan, projet qui a été adopté par la Banque du Développement Asiatique en 2016 avec un financement de 16,7 milliards de dollars et qui est en construction, actuellement, à partir de l’Iran en direction de l’est et a atteint Hérat en Afghanistan. Pour tout savoir sur lui, voir son site https://trainconsultant.com.

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