Uber et la protection sociale effervescente

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Par Eric Verhaeghe Publié le 1 février 2016 à 10h29
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1,9 MILLIARD $En 2015 Uber pourrait atteindre un déficit de 1,9 milliard de dollars.

Uber doit-il bouleverser la protection sociale? De partout fleurissent des articles, des propositions et des études qui tentent d’apporter une réponse à la question manifestement centrale de la France contemporaine face à la numérisation de l’économie: comment résoudre le dilemme de la protection sociale pour les travailleurs de l’économie collaborative?

Uber et la question du travail

Je ne rappellerai pas ici l’article déjà consacré à la question d’Uber et du travail. Le sujet posé par la plateforme américaine de transport de voyageurs est simple: comment « socialiser » le travail apporté par des indépendants payés à l’acte sans autre forme de relation contractuelle? Dans la pratique, Uber est revenu au contrat de louage en vogue au début de la révolution industrielle et que le contrat de salaire, c’est-à-dire de prêt de main-d’oeuvre avait balayé.

Par une étrange ironie de l’histoire, le salariat, c’est-à-dire le lien de subordination de l’offreur de travail à l’acheteur de travail, fait l’objet d’une défense farouche de la part des salariés eux-mêmes. Dénoncé par Marx comme la forme suprême de l’aliénation, le salariat est devenu l’horizon indépassable de la société capitaliste et face à un système qui offre une indépendance aux travailleurs, le « système » se cabre. On notera avec amusement que les principaux pourfendeurs du système Uber appartiennent aux forces politiques héritières du marxisme ou du socialisme…

Uber et la question de la sécurité sociale

C’est que, entretemps, le salariat s’est enrichi d’une formule perverse inventée par la technostructure dans les années 40: la sécurité sociale. Cette forme dégradée et toxique de protection sociale produit une véritable accoutumance chez tous ceux à qui on l’injecte. Elle justifie toutes les violences faites à la désaliénation et à la liberté du commerce ou de l’entreprise, puisqu’elle repose sur un soi-disant principe de solidarité, qui consiste en réalité à obliger tous ceux qui travaillent à y participer, sans quoi elle s’écroule.

Notre sécurité sociale vit sur un choix absurde: faire payer la santé de tous les Français en priorité par les salariés. Moins il y a de salariés, et moins la sécurité sociale est financée. L’arrivée de Uber constitue donc un défi pour elle.

Uber et la question de l’assurance-maladie

Pour aller tout au bout du sujet, il faut bien redire ici que la France fait un choix aussi paresseux que téméraire: celui de ne pas fiscaliser l’assurance-maladie, ou de ne la fiscaliser que très marginalement par un recours limité à la CSG. Ce choix place la France en situation d’anomalie par rapport à l’OCDE où il semble plutôt normal que la santé soit financée par l’ensemble de la collectivité et pas seulement par le travail.

On comprend pourquoi la France fait ce choix: il fait reposer sur les entreprises un poids qui devrait théoriquement être réparti entre les citoyens, c’est-à-dire les électeurs. Ce populisme imbécile a un premier effet simple: il étouffe la compétitivité des entreprises françaises et constitue un facteur majeur d’explication pour le chômage de masse qui nous frappe.

Mais il a aussi un second effet: il oblige le système à toujours augmenter le nombre de salariés pour financer l’augmentation galopante des dépenses de santé. L’arrivée d’Uber pose donc ici un problème critique, puisqu’elle constitue le paradigme du péril létal pour le financement de la santé.

Uber et la subordination des indépendants

Dans l’abondante littérature qui commence à fleurir sur le sujet, une solution revient donc avec insistance: elle propose de reconnaître un statut de salarié aux indépendants. Cette idée ne devrait d’ailleurs pas tarder à prendre forme dans le cadre de la prochaine loi El-Khomri, qui facilitera la requalification judiciaire des relations entre indépendants et donneurs d’ordres. De cette façon, les chauffeurs d’Uber, et d’autres, pourront obtenir devant le juge la reconnaissance de leur droit à une protection sociale en bonne et due forme. Et hop! tout travail en France sera assimilé à du salariat, pourvu que le travailleur le demande.

Même Croissance Plus, qui combat ce risque de requalification, propose d’en intégrer de droit les effets, par le paiement d’une prime au travailleur indépendant destinée à financer sa protection sociale.

On notera ici, une fois de plus, l’absurdité française: alors que le financement de la santé par le travail est une absurdité, et que le problème Uber serait réglé par une fiscalisation des recettes de l’assurance-maladie, même les mouvements patronaux renoncent à combattre et proposent de plomber l’économie collaborative par des coûts qui n’ont pas de sens.

Uber et la solution d’avenir

Le bon sens, s’il existait encore en France, recommanderait pourtant d’adopter deux solutions simples.

Premièrement, la fiscalisation des recettes de l’assurance maladie permettra de récupérer sur les chauffeurs d’Uber, par l’impôt, ce que l’assurance-maladie ne perçoit pas par la cotisation. Ce qui est en cause aujourd’hui, ce n’est pas le travail collaboratif, mais notre stratégie de financement de la santé. Etouffer l’un pour contourner l’autre n’a pas de sens.

Deuxièmement, plus que jamais, il faut expérimenter un système de protection sociale reposant sur deux jambes: l’obligation d’assurance, et la liberté de choix de l’assureur. Cette solution en vigueur dans de nombreux pays industrialisés, y compris l’Allemagne, est la seule qui évite l’épuisement de la classe moyenne par le financement de la solidarité.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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