L’UE et le Royaume-Uni scellent un accord partiel sur le Brexit

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Par Stéphane Monier Modifié le 7 janvier 2021 à 13h17
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43%L'Union européenne représente 43% des exportations du Royaume-Uni.

La veille de Noël, plus de quatre ans après avoir voté sa sortie de l'Union européenne et une semaine avant la fin de la phase de transition, le Royaume-Uni et la Commission européenne se sont entendus sur les termes de leurs nouveaux rapports commerciaux. L'accord permet d'éviter les droits de douane et trace la voie d'une sortie de récession due à la pandémie, la plus profonde depuis plus de 300 ans.

Le Royaume-Uni entame l'année 2021 avec le plus grand nombre de décès liés au Covid-19 en Europe, une nouvelle variante du virus et un troisième confinement national jusqu'à la mi-février. En novembre, le Bureau de la responsabilité budgétaire (OBR) du pays estimait que le produit intérieur brut se contracterait de plus de 11% en 2020 par rapport à l'année précédente. Aussi dramatique que l'expérience britannique en matière de pandémie ait été, son économie devrait rebondir cette année, du fait qu'une partie du ralentissement de 2020 résulte de la mise à l'arrêt de l'économie durant plusieurs mois, et plus longtemps que la plupart de ses voisins. Néanmoins, à plus long terme, l'impact de la pandémie sera probablement moindre que les dommages économiques causés par le Brexit. Selon la moyenne des dernières estimations établie par l'OBR, dans 10 à 20 ans, le PIB du Royaume-Uni sera inférieur de 4% à ce qu'il eut été si le pays était resté dans l'UE.

Selon les termes présentés il y a quatre ans, l'accord apparaît comme le plus « dur » de tous les Brexit proposés à l'époque, car il retire le Royaume-Uni du marché unique et de l'union douanière tout en créant une frontière de facto entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. Contrairement aux accords commerciaux conclus entre l'UE et ses autres partenaires comme l'Australie, le Brésil, le Canada ou la Chine, le Royaume-Uni dépend de ses voisins pour sa logistique d'approvisionnement juste-à-temps afin de maintenir l'activité de secteurs tels que les médicaments, la construction automobile et les produits alimentaires frais. Le Royaume-Uni et l'UE ont fait des compromis. M. Johnson a accepté une période de transition plus longue concernant l'accès des bateaux de pêche européens aux eaux britanniques et l'UE a renoncé à exiger du Royaume-Uni qu'il adapte ses normes en matière de travail, d'environnement ou d'aides publiques à l'évolution des réglementations européennes.

Le premier accord commercial au monde conçu pour compliquer les transactions évite au moins d'adopter par défaut les règles de l'Organisation mondiale du commerce, ce qui aurait imposé des droits de douane à l'importation entre l'UE et le Royaume-Uni. L'UE est le principal marché du Royaume-Uni. En 2019, il représentait 43% des exportations britanniques en valeur marchande et 52% des importations. L'Europe des 27, où les échanges entre membres éclipsent les 15% de ses exportations vers le Royaume-Uni, a constamment prévenu qu'elle donnerait la priorité à la protection et à l'intégrité de son marché unique. Le bloc européen a d'ailleurs consacré un budget de 5 milliards d'euros au soutien des régions affectées par les perturbations dues au Brexit.

Les 80% restants

Certes, si cet accord a minima a rassuré les investisseurs après la menace d'une absence d'accord, le Royaume-Uni devra faire face à des défis de long terme suite à son départ du marché unique européen. En effet, de nombreux domaines vont nécessiter de nouvelles discussions entre les deux parties afin de permettre la poursuite de relations économiques harmonieuses, l'accord du 24 décembre 2020 ne couvrant pas les services, qui représentent environ 80% du PIB du Royaume-Uni. Si leurs relations commerciales se calquent sur l'expérience de la Suissedurant les cinq dernières décennies, l'UE et le Royaume-Uni se retrouveront à devoir négocier constamment.

De surcroît, les deux parties doivent s'accorder sur des sujets allant de la mobilité de la main d'œuvre aux voyages et à la fiscalité, en passant par la coopération policière et les assurances, dont une partie aura des conséquences sur les investissements étrangers directs et les flux de portefeuille. Selon les estimations du Centre pour la performance économique de la London School of Economics, l'adhésion à l'UE a augmenté de quelque 28% les investissements étrangers directs au Royaume-Uni. Le Brexit pourrait désormais déclencher un déclin de 22% au cours des dix prochaines années, selon la même étude. Ce qui aura des conséquences sur la capacité du Royaume-Uni à financer son déficit de la balance courante, qui s'élevait à 2,9% du PIB à fin septembre 2020.

Les négociations concernant l'accès des acteurs des services financiers britanniques aux marchés de l'UE devraient débuter presque immédiatement. Selon le gouvernement britannique, les services financiers représentaient 6,9% de l'économie du pays et 3,1% des emplois en 2018.

M. Johnson a déclaré que l'accord post-Brexit « ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions » sur les services financiers. Le secteur espère désormais un « régime d'équivalence » permettant à chaque partie de reconnaître les normes réglementaires de l'autre, avec la menace permanente d'une suppression. La Suisse a perdu son « équivalence boursière » lorsque la Commission européenne a décidé en 2019 de ne pas reconduire sa reconnaissance des marchés boursiers suisses. Le 28 décembre 2020, le chancelier britannique Rishi Sunak a adopté un ton positif en déclarant que le pays pouvait désormais « faire les choses un peu différemment... par exemple en examinant comment transformer la City de Londres en place la plus attrayante pour la cotation de nouvelles sociétés ».

Pour l'instant, l'UE n'a offert d'équivalence au Royaume-Uni que dans les domaines répondant à ses besoins en compensation financière jusqu'en juin 2022. Londres possède trois chambres de compensation, LCH, LME Clear et ICE Clear Europe, qui représentent ensemble de gros volumes d'échanges d'instruments financiers allant des swaps de taux d'intérêt aux contrats à terme sur les métaux précieux et le pétrole. Dans l'intervalle, le 4 janvier 2021, premier jour ouvrable de la nouvelle année, 6 milliards d'euros de transactions liées aux titres européens ont été transférés de la City vers d'autres capitales européennes comme Madrid, Francfort et Paris.

Livre sterling et positionnement des portefeuilles

Sur les marchés des changes, l'accord crée un plancher pour la livre sterling vis-à-vis du dollar américain, qui s'affaiblit globalement, à 1,30. Toutefois, il convient de noter que depuis le vote sur le Brexit en 2016, nos estimations de la juste valeur du taux de change livre sterling/dollar américain ont chuté de façon spectaculaire, passant d'environ 1,60 à fin 2015 à 1,40 aujourd'hui. Ce recul est principalement dû à la détérioration des termes de l'échange et à la diminution de la part des capitaux étrangers dans le PIB du Royaume-Uni, les investisseurs recherchant des marchés plus prévisibles. À moyen terme, la faiblesse du dollar pourrait continuer à soutenir la livre, mais cela ne suffira pas à compenser l'impact des perturbations dues au Brexit qui ralentissent les investissements directs et les flux de portefeuille.

À court terme, nous voyons des opportunités dans les actions britanniques. Le pays a été parmi les premiers à approuver des vaccins contre le Covid-19 et il est l'un des plus avancés dans le déploiement de sa campagne de vaccination de masse et l'immunisation de sa population. Les incertitudes liées au Brexit, qui ont pesé sur la confiance des investisseurs, s'estompent et l'économie britannique bénéficiera d'une reprise conjoncturelle post-pandémique. Dans l'intervalle, le Royaume-Uni demeure l'un des marchés actions les moins chers au monde. Début décembre, nous avons augmenté notre exposition aux titres de type « value », sensibles à la conjoncture et bien représentés sur les marchés boursiers britanniques. Nous continuerons à surveiller les réactions post-Brexit, au fur et à mesure que les entreprises européennes et britanniques s'adapteront à leur nouvelle relation commerciale.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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