Lors du quatrième Conseil de politique nucléaire, le 17 mars 2025, l’exécutif français a franchi un cap stratégique : « atteindre la fermeture du cycle du combustible nucléaire dans la deuxième moitié du siècle ». Une ambition colossale, qui vise à faire de la France l’un des rares pays capables de réutiliser intégralement son combustible irradié. Mais pour y parvenir, encore faut-il répondre à une question essentielle : comment construire un modèle économique viable pour cette alchimie nucléaire ?
Nucléaire : comment la France veut refermer le cycle du combustible

Réacteurs à neutrons rapides : le Graal... ou la vieille illusion ?
La France connaît les réacteurs à neutrons rapides (RNR) depuis des décennies. Rapsodie, Phénix, Superphénix… Autant de prototypes ayant défriché un chemin semé d’embûches. Ces machines ont une propriété quasi mythologique : elles peuvent multirecycler le plutonium, tout en valorisant l’uranium appauvri, ressource que la France stocke « sur étagère » depuis des années. Mais à chaque tentative, l’histoire bégaie. En 1997, le gouvernement Lionel Jospin enterre Superphénix. En 2019, le projet Astrid est liquidé dans le silence par Emmanuel Macron, alors que les études avançaient sous l’égide du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Et aujourd’hui ? Paris relance la dynamique, timidement, en s’alliant au Japon sur un nouveau démonstrateur RNR refroidi au sodium.
Pour Sylvain Nizou et Maxence Cordiez, auteurs d’une tribune publiée dans Le Point, ces réacteurs sont indispensables. Ils rappellent que « se passer progressivement d’importations d’uranium est techniquement faisable » et que « ces petits réacteurs permettront de démontrer la capacité de l’industrie française à relancer puis perfectionner la technologie des neutrons rapides ». Mais leur position est loin d’être neutre. Sylvain Nizou préside la start-up Hexana, spécialisée dans le développement de RNR compacts. Derrière le plaidoyer technologique se devine une bataille industrielle, entre pionniers privés et mastodontes publics.
Nucléaire : le mirage des modèles économiques
La vraie pierre d’achoppement, c’est l’économie. Produire de l’électricité de base avec des RNR ? Trop coûteux. Pas assez flexible. Pas assez compétitif face aux réacteurs à eau pressurisée (REP). Les RNR ne peuvent rivaliser sur le marché actuel de l’électron. Mais tout change si l’on pense en dehors du réseau. Ces réacteurs peuvent atteindre des températures de 500 °C, deux fois plus que les REP. Une aubaine pour les industries qui dépendent de la chaleur fossile.
Raffineries, cimenteries, chimie lourde : tous ces secteurs, aujourd’hui carbonés jusqu’à l’os, n’ont pas de solution de rechange. Et là, le RNR trouve enfin une utilité claire, un débouché concret. Il pourrait fournir de la chaleur, et non plus seulement du courant. « Produire de la chaleur pour l’industrie et produire de l’électricité pour le réseau sont deux choses différentes », rappellent les auteurs dans Le Point. Le cœur du modèle économique, c’est donc la chaleur. À condition de construire des unités de taille moyenne, redondantes, situées au plus près des sites industriels.
SMR, RNR : petits réacteurs, grands espoirs
La solution passe-t-elle par le petit ? En tout cas, c’est la tendance. Les petits réacteurs modulaires (SMR) ont le vent en poupe. EDF et le CEA poussent le projet Nuward. La start-up Jimmy Energy, elle, construit un démonstrateur thermique à Bazancourt, dans la Marne. Là aussi, le but est de fournir de la chaleur industrielle, pas de concurrencer les grandes centrales. La logique est implacable, mieux vaut plusieurs petits réacteurs qu’un gros. Une panne dans un SMR n’interrompt pas tout un processus industriel.
Le modèle est plus souple, plus modulaire, mieux adapté à la diversité des besoins. Il permet aussi de mutualiser les coûts, d’industrialiser les composants et de tester de nouvelles approches de gestion du combustible. Et surtout, il ouvre un terrain de jeu pour des acteurs innovants. Mais à une condition, que les grands du secteur, EDF, Orano, Framatome, jouent le jeu. Aujourd’hui, ils détiennent la main sur le combustible usé. Or, sans combustible recyclé, pas de RNR. Le verrou n’est donc pas seulement technologique, il est aussi politique et économique.
