Un nouvel allié dans la lutte contre la pollution des sols

En Europe, le nettoyage des sites industriels contaminés pourrait être confié à des microbes déjà présents dans les sols.

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Par Horizon Publié le 31 août 2023 à 4h00
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Dans le nord-ouest de la France, une ancienne usine de savon a désormais laissé place aux arbres et à la végétation.

Si la verdure laisse supposer un environnement sain dans la commune de Ploufragan, près de la côte bretonne, il n’en reste pas moins que cette usine de fabrication de produits d’entretien a fait beaucoup de dégâts. Le sol environnant est saturé d’hydrocarbures toxiques, des sous-produits de la production de savon.

Un problème urgent

Le Dr Thomas Reichenauer s’est fixé comme principal objectif de résoudre ce problème environnemental en menant un projet de recherche, financé par l’Union européenne, portant sur le rôle des microbes dans la dégradation des contaminants présents dans le sol et les eaux souterraines.

Selon M. Reichenauer, chercheur principal à l’Institut autrichien de technologie de Vienne, le problème devient urgent, car les substances toxiques présentes dans le sol peuvent s’infiltrer dans les plantes, lesquelles peuvent ensuite être consommées par les animaux, voire même s’infiltrer dans les eaux souterraines.

« En ce qui concerne les contaminants sur lesquels nous travaillons, des dizaines, voire des centaines d’années, seront nécessaires pour que la nature les dégrade complètement », a-t-il indiqué.

L’UE compte environ 2,8 millions de sites contaminés, parmi lesquels aussi bien d’anciennes zones industrielles que des décharges. Les efforts de dépollution varient d’un État membre à l’autre, l’Allemagne et les Pays-Bas faisant figure de chefs de file.

La problématique qui touche les eaux souterraines est d’autant plus préoccupante que l’aggravation du réchauffement climatique menace de provoquer des sécheresses de plus en plus sévères. Les eaux souterraines deviennent une ressource de plus en plus précieuse, mais leur contamination par des polluants industriels risque de réduire la quantité disponible pour la consommation.

M. Reichenauer coordonne un projet appelé MIBIREM. Ce dernier a bénéficié d’un financement de l’UE. Il est destiné à accélérer le processus de décontamination des sols et des eaux souterraines grâce à une meilleure connaissance de leur microbiome, c’est-à-dire de l’ensemble des micro-organismes présents dans un environnement donné.

La recherche essaie de comprendre les interactions qui se produisent entre les microbes pour décomposer trois contaminants particuliers : les cyanures, l’hexachlorocyclohexane et les hydrocarbures pétroliers.

Les hydrocarbures pétroliers sont très répandus, ce qui est moins le cas des cyanures et de l’hexachlorocyclohexane, qui sont pourtant suffisamment toxiques pour justifier la mise au point d’une technologie permettant de les dégrader.

L’initiative a débuté en octobre 2022 et se poursuivra jusqu’à la fin mars 2027.

Bon débarras !

On appelle « biorestauration » le processus par lequel les microbes peuvent être stimulés pour augmenter leur consommation de contaminants.

Selon M. Reichenauer, qui a initialement suivi une formation de généticien et de physiologiste végétal, dans le cas des cyanures, par exemple, il suffirait d’ajouter du glucose au sol.

« La biorestauration est respectueuse de l’environnement, dans la mesure où aucun produit chimique toxique ou dangereux n’a besoin d’être introduit », a-t-il expliqué.

D’autres méthodes permettent également d’éliminer les polluants présents dans le sol.

Les plantes ont fait l’objet d’études sur leurs possibilités d’élimination des métaux lourds. Néanmoins, peu d’entreprises commerciales se sont lancées dans ce domaine, car le processus d’élimination, qui représente une autre forme de biorestauration, est lent.

La dépollution chimique, bien que plus rapide, n’offre qu’une solution partielle, car elle élimine généralement les substances toxiques en en rajoutant d’autres dès le départ.

Selon M. Reichenauer, le projet MIBIREM aura entièrement recours aux microbes qui, potentiellement, constituent l’option la plus rapide et la plus respectueuse de l’environnement.

Des outils pour le sol

À terme, le projet vise à mettre au point des outils de biorestauration pour différents sites industriels à travers l’Europe. Dans certains cas, les chercheurs espèrent identifier des microbes particulièrement utiles et les stocker en vue d’une utilisation ultérieure.

Le projet MIBIREM se concentre quant à lui sur la mise au point de technologies pouvant être utilisées sur site, s’épargnant ainsi les inconvénients liés à l’excavation et au transport de la terre. Étant donné que le projet vise principalement les sites industriels, qui sont souvent situés dans des zones urbaines, le traitement du sol sur site est parfois la seule option possible.

Dans le cas du site de l’usine de Ploufragan, qui a produit du savon pendant près d’un demi-siècle jusqu’au milieu des années 1990, cette solution permettrait de traiter les sols sans arracher la végétation qui s’y est développée depuis la démolition des bâtiments en 2017.

« Si l’on peut montrer que cette méthode fonctionne sur site, il est fort probable qu’elle puisse être commercialisée par la suite », a commenté M. Reichenauer.

Le marché mondial de la biorestauration microbienne était estimé à environ 42 millions d’euros en 2021. Il devrait atteindre environ 85 millions d’euros d’ici la fin de la décennie.

M. Reichenauer s’est efforcé d’apaiser les inquiétudes que pourrait susciter la modification du microbiome du sol en vue d’éliminer les contaminants, affirmant que ces altérations ne sont ni négatives ni positives et qu’elles se produisent en fonction des influences environnementales, indépendamment de toute intervention humaine.

Le projet MIBIREM peut permettre à l’Union européenne d’atteindre les objectifs fixés dans le cadre d’une mission intitulée « Un pacte pour des sols sains en Europe », qui vise à assurer une transition vers des sols sains d’ici à 2030.

Projets pilotes

Le recours aux microbes pour la biorestauration a également fait l’objet d’un projet financé par l’UE, baptisé GREENER. Il devrait s’achever en août prochain après quatre ans et demi d’existence.

Il a permis de mettre en place des projets pilotes en Belgique, en Irlande, en Espagne et en Chine.

Ainsi, dans la ville espagnole de Tolède, le sol d’un ancien parc industriel a été excavé et assaini sur site, grâce au recours à des microbes qui ont permis d’éliminer les hydrocarbures. Dans une zone humide en Belgique, les microbes ont permis d’éliminer les métaux lourds de la nappe phréatique sans ne devoir recourir à aucune extraction.

« Nous collaborons avec des clients confrontés à un problème de contamination et nous accompagnons les entreprises qui procèdent à l’assainissement du site », a expliqué Rocío Barros, coordinatrice du projet. « Bien comprendre le microbiome du sol sera déterminant pour l’amélioration des technologies de lutte contre la pollution des sols. »

L’énergie en ligne de mire

Le projet GREENER est allé plus loin que l’initiative MIBIREM sur un point : il a tenté de créer de l’énergie au cours du processus de biorestauration.

En associant la production d’énergie au nettoyage des sols et des eaux usées, GREENER a cherché à contribuer à la diversification des sources d’énergie de l’UE tout en éliminant les polluants de l’environnement.

Pour produire de l’énergie, on utilise des piles microbiennes. Lorsque les microbes décomposent les molécules organiques telles que les hydrocarbures, l’énergie chimique est convertie en énergie électrique utilisable.

Selon Mme Barros, qui dirige un groupe de recherche sur l’environnement, la durabilité et la toxicologie à l’université de Burgos, en Espagne, les résultats obtenus dans ce domaine sont loin d’être prometteurs lorsqu’il s’agit d’intensifier ce type d’activité.

« Aucune des piles microbiennes n’a atteint un niveau de performance suffisant pour être développée à plus grande échelle », a-t-elle indiqué.

Cet aspect du projet met en évidence les risques liés à la recherche et au développement et, par extension, l’importance des sources de financement, en particulier de l’UE.

Certaines des piles microbiennes utilisées pour traiter l’eau ont montré un certain potentiel.

« L’utilisation des piles microbiennes dans les zones humides s’est avérée très positive », a déclaré Mme Barros.

Convaincue que les piles microbiennes peuvent encore être améliorées, elle cherche à présent à mettre au point un film qui pourrait être ajouté à ces piles pour améliorer la production d’électricité.

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE.

MISSION EUROPÉENNE: UN PACTE POUR DES SOLS SAINS EN EUROPE

L’initiative « Un pacte pour des sols sains en Europe » vise à réduire la pollution des sols et à protéger les nombreuses espèces qui y vivent. Aujourd’hui, on estime que 60 à 70 % des sols de l’Union européenne ne sont pas sains.

La mission met en évidence le rôle des sols et leur importance dans la production alimentaire, l’eau douce, la biodiversité et le patrimoine culturel. La mission prévoit la création de 100 sites d’essai, notamment dans des exploitations agricoles individuelles, qui permettront une transition vers des sols plus sains d’ici à 2030.

Pour en savoir plus sur la mission « Sols » de l’UE, cliquez ici

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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1 commentaire on «Un nouvel allié dans la lutte contre la pollution des sols»

  • Et si on faisait en sorte de diminuer les pollutions, de taxer lourdement les pollueurs et de concentrer les efforts et les budgets à sortir enfin de ce cercle infernal!
    Changeons nos logiciels de pensée!

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