Retraite : bientôt la fin du mirage et du mensonge français ?

Le ministre de l’Économie est en pleine promotion pour La voie française, qui se veut un livre de politique générale en vue des élections de 2027. Le locataire de Bercy se donne deux priorités : la santé et les retraites. « Le temps des choix est venu », clame-t-il. Après avoir été aux commandes pendant près de 10 ans, dont 7 à la tête même du ministère de l’Économie, il était temps… Bruno Le Maire touche néanmoins un point sensible. Une occasion de publier un extrait du livre Dernière Crise avant l’Apocalypse, de Jacques Bichot et Jean-Baptiste Giraud, qui aborde, sans langue de bois, la nécessité de réformer notre système de retraite. Avec une dette publique qui a dépassé les 3.000 milliards d’euros, et un déficit budgétaire record en 2023, la France ne peut plus se permettre d’avoir un budget enchaîné à un système toujours plus gourmand. L’État doit être en capacité d’assurer pleinement ses fonctions régaliennes s’il ne veut pas être amené à réduire les budgets de ses services publics, ce qui impliquerait inexorablement une hausse des impôts et, potentiellement, le recul de certains acquis pour les Français.

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Par Jean-Baptiste Giraud et Jacques Bichot Publié le 19 mars 2024 à 20h30
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Retraite : bientôt la fin du mirage et du mensonge français ? - © Economie Matin
25%les retraites absorbent à elles seules 25 % de la dépense publique.

Trois scénarios de « réforme » des retraites

La réforme en profondeur de notre système de retraite est plus que jamais indispensable, mais aussi urgente. D’abord, bien sûr, parce qu’il est trop compliqué, divisé en deux douzaines de régimes de base plus des régimes complémentaires. Mais aussi parce que sa gestion absorbe une fraction beaucoup trop importante des cotisations. Cela vient du fait que le Français moyen a des droits dans trois ou quatre régimes différents : imaginez une entreprise employant trois personnes là où une seule suffirait pour « faire le job » si l’organisation était correcte, et vous aurez une idée de la productivité globale qui résulte de la superposition de régimes, les uns de base et les autres complémentaires ! La comparaison avec la Social Security américaine – nom du système de retraites par répartition en service aux États-Unis – est instructive : les pensions sont du même ordre de grandeur que dans le régime général français, mais les frais de gestion, en pourcentage des prestations versées, sont moitié moindre.

En adoptant un système unique de retraites par répartition, on pourrait réduire fortement les frais de gestion, et donc éviter chaque année des gaspillages importants. Une dizaine de milliards au bas mot, et plus vraisemblablement une vingtaine, pourraient servir à augmenter les prestations sans toucher aux taux de cotisations. Quand on sait que le déficit du système de retraite a atteint 49 milliards d’euros en 2020, principalement par manque de cotisations, et que les prévisions pour 2021 ne sont pas meilleures (36 milliards d’euros), on voit à quel point une vraie réforme profonde et ambitieuse est indispensable et urgente.

À défaut, deux scénarios se profilent à l’horizon :

Celui d’une situation économique cataclysmique, que le titre de ce livre anticipe sans bien évidemment la souhaiter. Si la France se trouvait brutalement dans l’incapacité d’emprunter pour financer ses déficits récurrents, il faudrait bien trouver l’argent quelque part. Le déficit prévisionnel pour 2021, abyssal, est de 220 milliards d’euros. Si demain, la France se trouve incapable d’emprunter, ou en tout cas, obligée d’emprunter avec parcimonie (1), ce ne sont pas quelques dizaines de milliards d’euros qu’il faudra économiser d’un seul coup, mais plus probablement au moins 100 milliards d’euros dès la première année, et plus encore l’année suivante, et toutes les années qui suivront ! Autrement dit, ces sommes, aujourd’hui empruntées pour être injectées dans notre économie, manqueront tous les ans au PIB et au pouvoir d’achat des Français.

Or, quand on sait que les retraites absorbent à elles seules 25 % de la dépense publique, taux largement supérieur à ce qui se pratique en moyenne dans les pays de l’OCDE (18 %), on devine facilement qu’il faudra adopter des mesures d’urgence forcément très violentes ciblant spécifiquement (mais pas seulement) les pensions de retraite.

De nombreux signaux faibles préparent d’ailleurs le terrain à de telles mesures confiscatoires : plusieurs rapports (1) ne proposent-ils pas de faire payer un loyer fictif (ou implicite) aux propriétaires de logement occupés à titre de résidence principale, une fois leur emprunt bancaire intégralement remboursé ? Dans une France majoritairement propriétaire, en particulier la France des seniors, l’idée est tout sauf anodine.

D’autres proposent de calculer les droits à pension en tenant compte du patrimoine immobilier, mais aussi de l’épargne du demandeur, étendu au foyer fiscal. Un citoyen fourmi, propriétaire de son logement, titulaire d’un contrat d’assurance-vie bien garni, serait privé d’une partie significative de sa pension au double prétexte qu’il n’en a pas besoin pour vivre confortablement, et de la solidarité nationale. On peut aisément imaginer que pendant un laps de temps très limité, les donations seront privilégiées fiscalement, car l’on sait que l’argent transmis aux jeunes générations est aussitôt réinvesti dans l’économie, mais rien n’est moins sûr. L’État peut tout aussi bien taxer normalement, voire surtaxer les donations, car pris à la gorge, il sera contraint de montrer à ses créanciers qu’il est capable de trouver de l’argent frais rapidement et facilement.

Dans une telle situation d’urgence, un peu comme lors d’une guerre, ceux, nombreux, qui s’estimeront spoliés tenteront tous les recours possibles en justice. Mais quand on voit comment les juridictions suprêmes valident l’abandon ou la suppression de droits fondamentaux en situation de crise ou d’exception, il est à peu près certain que les « droits acquis » retourneraient directement à l’endroit dont ils n’auraient jamais dû sortir : la caverne des mythes. Qui plus est, ces recours en Justice, forcément longs, voire très longs, pour gravir tous les échelons judiciaires, arriveraient longtemps après la banalisation, et, osons-le, l’acceptation de telles mesures... Sans compter que des mesures coercitives et contraignantes pourraient être imaginées, afin de forcer les récalcitrants à accepter le « cut-off » de leurs pensions : par exemple, un accès limité aux soins... La créativité administrative et juridique déployée pendant la crise du Covid a largement prouvé que tout ceci n’est pas de la politique-fiction.

Le deuxième scénario envisageable est celui d’une réforme des retraites, là encore sous contrainte budgétaire forte, mais sans la dimension d’urgence ou de sauve-qui-peut d’une crise brutale du refinancement des déficits français sur les marchés financiers. On peut imaginer par exemple que le sujet devienne une priorité à cause d’une hausse lente, mais constante des taux d’intérêt, rendant la frugalité budgétaire rapidement impérative.

Une telle réforme, bien que sous contrainte, n’échappera sans doute pas à l’habituelle confrontation. D’un côté, des réformistes déterminés à changer l’équation pour restaurer ce qui peut l’être de la compétitivité de la France, submergée par la mondialisation. Et bien entendu soucieux de la recherche d’un système plus juste, plus équitable, moins généreux, mais équilibré. De l’autre, des syndicats et des mouvements politiques arc-boutés sur la défense des droits acquis, se préoccupant peu de l’équilibre des systèmes présents et futurs, aveuglés par la période inédite de création monétaire en vigueur en Occident depuis 2009.

Dans une telle situation, même si le pire n’est jamais certain, l’expérience des dernières décennies est éclairante : il y a fort à parier que la réforme qui en découlerait sera un énième cautère sur jambe de bois, ne permettant de « tenir » qu’une poignée d’années.

Ce scénario est de loin le plus probable, car c’est celui qui se joue finalement peu ou prou depuis des décennies. Même la réforme votée en 2019, et qui pourrait, théoriquement, être appliquée demain, relève de cette catégorie-là, car elle autorise un nombre incalculable de cas particuliers et d’exceptions mises en place et encadrées par de simples décrets.

Il existe un troisième scénario, consistant à dire que nous ne rembourserons jamais la dette Covid (430 milliards d’euros au minimum), ni d’ailleurs non plus le reste de la dette publique, en adoptant par exemple le concept de dette perpétuelle. Une dette dont on ne rembourse jamais le capital, mais dont on paie seulement les intérêts. Certes, les modèles économiques classiques prévoient que la création monétaire à laquelle s’adonnent notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Chine, et bien entendu l’Union européenne, va déclencher une série de cataclysmes économiques largement décrits dans les manuels, et cela ne se produit pourtant pas. Pour l’instant, les tenants de la théorie monétaire moderne (1) (TMM) jubilent : les faits semblent leur donner raison, même si comme nous l’avons vu dans le précédent chapitre, il est plus que probable que la fête à la planche à billets s’achève brutalement un jour prochain.

Si un tel accord international relatif au non-remboursement des dettes publiques était trouvé, on arriverait à une situation paradoxale : une partie de l’emprunt et/ou de la création monétaire (qui vont de pair) ne serait pas consacrée à l’investissement, comme le fameux plan de relance européen de 750 milliards d’euros le promet. L’emprunt serait utilisé non seulement pour permettre aux administrations de continuer à fonctionner, comme c’est le cas depuis des décennies aux États-Unis, comme en France, mais aussi pour financer le système de santé, la prise en charge de la dépendance et continuer à verser des pensions aux personnes âgées ayant acquis des droits à une époque moins troublée et naïve...

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Jean-Baptiste Giraud est journaliste économique, directeur de la rédaction d'EconomieMatin et auteur d'une dizaine de livres.   Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'Université Jean-Moulin-Lyon III et auteur d'une vingtaine d'ouvrages.

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