Chine : la « route de la soie » va arriver en Europe

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Par Laure De Charette Publié le 4 décembre 2017 à 14h01
France Chine Relations Commerciales Enjeux
3La Chine vient d?annoncer l'investissement de trois milliards d'euros dans les infrastructures de plusieurs pays d''Europe centrale.

Pékin mijote un projet titanesque : une nouvelle route de la soie, un projet baptisé « One Belt, One Road », censé relier la Chine à l’Europe. La Chine vient d’annoncer l'investissement de trois milliards d'euros dans les infrastructures d'Etats des Balkans, afin de permettre un acheminement plus rapide des marchandises chinoises vers l'Europe centrale.

Un coup de projecteur inédit sur l'Europe centrale

D’après un ancien diplomate polonais, les Chinois voyaient autrefois son pays comme "une petite Russie pauvre". C’était avant le lancement de la nouvelle route de la soie. Avant que ce projet, qui vise à ressusciter l’antique réseau de voies commerciales qui permettait jadis à la Chine de commercer avec l’Europe, donne un coup de projecteur inédit sur une région du globe souvent oubliée. Le président chinois Xi Jinping s’est rendu l’an dernier à deux reprises en Europe centrale : en République tchèque en mars, puis en Serbie et en Pologne en juin.

Une chose est sûre, selon Agatha Kratz, spécialiste de la Chine au Conseil européen des relations internationales, qui rentre d’un périple de trois mois pour tenter de comprendre l’impact en Europe centrale du projet baptisé "One Belt, One Road", "certains pays sont très intéressés par la nouvelle route de la soie". Ainsi la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine, tous non-membres de l’Union européenne, s’avèrent particulièrement enthousiastes, selon elle. "Ils ont vraiment besoin des investissements chinois, pour enfin construire les infrastructures qui leur manquent."

Le "projet du siècle"

Mais vu l’empressement des premiers ministres hongrois, serbe et polonais ainsi que du président tchèque, qui jouaient des coudes à Pékin devant le président Xi Jinping lors d’un sommet consacré au projet mi-mai, la nouvelle route de la soie séduit aussi les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union.

Le ministre slovaque de l’Economie, Peter Ziga, parle même du "projet du siècle". "Il représente en effet une chance pour la région", analyse Dragan Pavlicevic, conférencier en études chinoises à l’université Xi’an Jiaotong-Liverpool. "Elle va en tirer d’importants bénéfices économiques - grâce aux investissements et à l’accès au marché chinois - mais aussi politiques, en se servant de l’importance croissante qu’elle prend aux yeux de la Chine comme d’un levier auprès de l’Union européenne."

C’est aussi l’occasion d’un repositionnement historique et d’une visibilité accrue : l’Europe centrale serait au centre du continent eurasien. "Pour un pays comme le Monténégro, ne serait-ce que 20 minutes de conversation avec Pékin chaque année, c’est important !", souligne Agatha Kratz.

De gigantesques opportunités

Sur le plan économique, les opportunités s’annoncent gigantesques : la Chine a promis d’injecter une première enveloppe de 10 milliards d’euros dans la région et de financer la construction d’autoroutes, de ports, de parcs industriels, de centrales électriques, de réseaux de fibre optique et même d’un canal Danube-Oder-Elbe.

La Pologne se voit déjà exporter en Chine en un temps record ses pommes, alcools, confiseries, produits laitiers et vêtements. La République tchèque pourrait importer les produits high-tech made in China dont ses consommateurs rêvent et accueillir des hordes de touristes asiatiques. Depuis l’été 2016, des vols directs relient d’ailleurs Prague à trois mégalopoles chinoises. La Slovaquie compte même en profiter pour "revitaliser l’est du pays", dixit le ministre des Finances Peter Kazimir, de retour d’un voyage à Chongqing.

Dès lors, rien n’est trop beau pour séduire la Chine : le président tchèque Milos Zeman s’est choisi, fin 2015, comme conseiller économique un mystérieux magnat du pétrole, Ye Jianming, réputé proche du président Xi Jinping (lire ci-contre). Il l’a laissé racheter sans mot dire, en l’espace d’une folle semaine de shopping, le club de football star du pays, une maison d’édition, l’un des plus anciens fabricants de bière tchèque, quelques bâtiments historiques de style Renaissance et même une banque. En Hongrie comme en Pologne, les critiques envers la Chine sont désormais priés de se taire.

Les Chinois, grands sauveurs de la région ?

Mais gare à la désillusion, prévient Richard Turcsanyi, de l’Institut slovaque d’études asiatiques. "Certains pays d’Europe centrale ont tendance à avoir des attentes irréalistes et démesurées envers le projet chinois. La Chine est parfois présentée comme le sauveur de la région, un marché alternatif à l’Europe pour les exportations et la source d’une nouvelle vague d’investissements." A tort, selon lui. Dragan Pavlicevic pense d’ailleurs que "ce projet ne métamorphosera pas la région". Dans plusieurs pays, notamment la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, on a aussi des doutes. "Les Chinois respecteront-ils la législation européenne ? Veilleront-ils aux intérêts de la région ? L’argent viendra-t-il jamais ? Il y a d’un côté de l’espoir; de l’autre, des inquiétudes", estime-t-il.

Ainsi certains s’estiment-ils même déjà floués. Loin de financer la nouvelle ligne de chemin de fer Belgrade-Budapest à coups de milliards, la Chine se contente en réalité de prêter de l’argent, que les deux pays devront lui rembourser, avec les intérêts, quand le TGV sera opérationnel.

Des risques financiers importants

Et le projet, aussi séduisant soit-il, n’est pas exempt de risques, financiers notamment. La Chine a par exemple accordé au Monténégro un prêt de 687 millions d’euros pour construire une autoroute vers la Serbie. Soit 19,6 % de son PIB ! "Or, selon le FMI et la Banque mondiale, accepter un tel prêt pourrait fortement fragiliser la situation financière du pays", souligne Agatha Kratz. Ce n’est pas tout. "De manière concrète et immédiate, je redoute le développement de grands projets d’infrastructure et de construction potentiellement non viables, faute de réflexion préalable approfondie, d’études de faisabilité, de transparence et de respect des règles européennes", analyse Richard Turcsanyi.

Il n’est pas le seul à entrevoir un tel risque. A Bruxelles, nombreux sont les spécialistes à voir d’un mauvais œil le débarquement des Chinois à leurs portes.

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Journaliste depuis 2005, Laure de Charette a d'abord travaillé cinq ans au service France du quotidien 20 Minutes à Paris, tout en écrivant pour Economie Matin, déjà. Elle est ensuite partie vivre à Singapour en 2010, où elle était notamment correspondante du Nouvel Economiste et où elle couvrait l'actualité politique, économique, sociale -et même touristique !- de l'Asie. Depuis mi-2014, elle vit et travaille à Bratislava, en Slovaquie, d'où elle couvre l'actualité autrichienne et slovaque pour Ouest France et La Libre Belgique. Elle est aussi l'auteur de plusieurs livres, dont "Chine-Les nouveaux milliardaires rouges" (février 2013, Ed. L'Archipel) et "Gotha City-Enquête sur le pouvoir discret des aristos" (2010, Ed. du Moment). Elle a, à nouveau, rejoint l'équipe d'Economie Matin en 2012.

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