La drôle de guerre des marchés financiers

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Par Charles Sannat Publié le 17 octobre 2012 à 13h40

Vous savez à quel point je regarde avec consternation et un amusement non dissimulé le comportement de nos "zinvestisseurs animant Monsieur le Marché". Aujourd’hui, j’ai encore vécu un beau et grand moment de bourse.

En réalité, je pense que je me suis trompé. La crise doit être finie. Je vous dois donc des excuses (ironiques, bien entendu). Nous avons dû rater, au Contrarien Matin, le remboursement intégral des dettes d’État ainsi que le retour d’une croissance économique forte partout dans le monde. Nous n’avons pas su voir le chômage baisser, ni les entreprises embaucher à tour de bras.


Nous n’avons pas voulu croire que la Chine allait particulièrement bien et que le Parti Communiste minorait volontairement les statistiques de la croissance de son PIB afin de ne pas affoler son concurrent et compétiteur américain. Nous n’avons pas su croire dans la capacité des marchés financiers à n’aller que dans un sens, celui de la hausse (surtout pour les USA). Nous avons cru que le marché était libre, non faussé et non manipulé. Nous avons eu tort.

Cela dit, et pour être plus sérieux, il y a deux grandes menaces qui pèsent sur l’économie mondiale. Il y en a plein d’autres, mais nous allons nous attarder aujourd’hui sur l’Europe bien sûr, et ses désaccords politiques qui paraissent de jour en jour de plus en plus insurmontables, puis au mythe du retour de la croissance américaine basée sur un chômage en baisse et un marché immobilier… qui serait en train de se redresser.

Revenons brièvement à la bourse de Paris. C’était un grand moment ! Il ne me manquait que la voie inénarrable d’un Jean-Pierre Gaillard pour partager cette ambiance de liesse collective (c’est vraiment le meilleur pour communiquer cette joie intense des marchés haussiers !). Alors le marché parisien a fini en hausse de 2,36 %. Ce n’est tout de même pas rien, repassant le seuil symbolique des 3 500 points selon les formules "con-sacrées".



Mais rassurez-vous, il y avait évidemment des raisons à cette hausse. C’est d’ailleurs là que ça devient franchement drôle, surtout avec les dépêches AFP. J’adore les dépêches AFP : moi, ça me fait rire – je sais, j’ai un humour un peu étrange, beaucoup de gens préfèrent Bigard et ses histoires de slips ; moi, ce qui me fait rire dans la vie, ce sont les dépêches AFP.

L’AFP titre donc "Le CAC 40 termine en hausse de plus de 2 %, porté par des espoirs sur l’Espagne". Hé oui, il y a de l’espoir sur le front espagnol. Voilà une nouvelle qu’elle est bonne. "La Bourse de Paris a gagné plus de 2 % mardi, portée par une information de presse selon laquelle Berlin serait désormais prête à ce que le Mécanisme européen de stabilité accorde un prêt à l’Espagne."

Avez-vous remarqué que, depuis que les élections américaines approchent – le 6 novembre, c’est bientôt et pour que les gens y croient, il faut disons 5 mois de bonnes nouvelles –, les choses vont tellement mieux que bien. Depuis le mois de juillet, l’Europe est sauvée par Mario Draghi et son super-pouvoir de super-héros imprimeur de monnaie. Il n’imprime jamais rien (ou presque depuis cinq mois) mais il dit qu’il le fera.

A chaque fois que l’on pense ou qu’une rumeur dit que l’Espagne va être sauvée, les marchés reprennent le chemin de la hausse. Les "zinvestisseurs" achètent. De là à dire qu’ils sont "zinzins"… L’AFP, pour qui informer le public est un devoir, nous explique quelques lignes après que, "selon l’agence financière Bloomberg, l’Allemagne serait prête à ce que le fonds de secours européen accorde une ligne de crédit [crédit européen de précaution, ndlr] à l’Espagne et pas seulement à ses banques".

Basiquement, il me reste comme une impression de déjà-vu. Depuis cinq mois, on sauve l’Espagne toutes les semaines. C’est extraordinaire. Le plus drôle, c’est que chaque semaine, tout le monde fait mine d’être confronté à une nouveauté hors du commun. Là où les choses deviennent hilarantes, c’est lorsque, toujours dans la même dépêche, notre AFP nationale nous apprend que "cette information a été démentie depuis, mais le marché reste optimiste car il estime que les choses bougent et espère qu’elles vont se clarifier lors du prochain conseil européen" des 18-19 octobre.



Et là, normalement, on va vous expliquer que l’ensemble des grands mamamouchis, réunis en séance plénière (à vos frais bien sûr), ont réussi une fois de plus à sauver le monde entier grâce à leur infinie sagesse et leur clairvoyance ultralucide. Au passage, tout le monde a oublié que le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, avait à plusieurs reprises estimé que Madrid n’avait pas besoin d’un plan d’aide car son économie était suffisamment solide – ce qui est une façon polie, vu l’état de l’économie espagnole, de dire que l’Allemagne n’a juste absolument pas l’intention de payer pour les fiers ibères.

Mais ce n’est pas grave, on pourra encore me dire que je suis pessimiste… Quelques minutes après, autre dépêche de notre AFP nationale qui nous indique que : "Euro-obligations : Berlin et Paris campent sur leurs positions". Le désaccord franco-allemand sur les euro-obligations a été ravivé mardi, Paris et Berlin campant fermement sur leurs positions avant un sommet européen qui doit étudier la proposition remise sur la table par le président de l’UE Herman Van Rompuy.

Côté allemand, la position est la suivante : "Vous pouvez le tourner comme vous le voulez : qu’on appelle ça des eurobills, des fonds de rédemption de la dette ou comme auparavant des euro-obligations, ce type d’émission de dette commune ne pourra se faire avec notre gouvernement", a prévenu le ministre délégué aux Affaires européennes allemand, Michael Link, en marge d’une réunion ministérielle à Luxembourg. "Nous l’avons toujours dit de manière très claire à nos partenaires européens", a-t-il rappelé.

Côté français, la position est celle-ci : "Eh bien nous, c’est oui, tout aussi clairement", a réagi son homologue français Bernard Cazeneuve. "L’ambiguïté n’est pas bonne pour la relation franco-allemande", a-t-il estimé, ajoutant que "les compromis entre la France et l’Allemagne ne sont jamais aussi forts que quand la France et l’Allemagne se parlent franchement". "Proposer des choses (…) qui pour certains ne sont pas acceptables ne fait que conduire à un sommet qui donnera à nouveau une impression de division", a-t-il prévenu.



Bref, les pays totalement ruinés comme la France (et, dans une moindre mesure, comme l’Espagne, puisque tout va bien là-bas d’après les marchés) veulent se servir dans les poches des pays riches. Il n’y en a qu’un ayant les poches assez profondes, c’est évidemment l’Allemagne. Bon, côté allemand, le fait de se faire faire les poches par les pickpockets voisins n’est pas vécu comme un moment très agréable. Du coup, Merkel et sa bande protègent le grisbi et sortent les crocs…

Mais nous faisons semblant de croire toutes les semaines que nous sommes totalement d’accord. Il reste une réalité. Les Européens ne sont d’accord sur rien. D’ailleurs, nous avons rarement été d’accord sur quelque chose, ce qui donne des "structures" européennes complètement schizophrènes et kafkaïennes à l’image de la complexité des compromis entre plus de 27 nations. La seule avancée de l’Europe aura été simplement de tenter de mettre sous le tapis ses divergences et une sourdine sur les désaccords, afin de ne pas "inquiéter" inutilement les marchés à la veille de la réélection programmée de Barack Obama (qui, depuis quelques jours, semble battre de l’aile).

Voilà qui va nous amener à traverser l’Atlantique pour regarder ce qui se passe chez notre allié américain. Vous avez bien sûr entendu que tout se redresse aux États-Unis, surtout le marché immobilier qui donne des signes de reprise. Quelle bonne nouvelle à quelques semaines de l’élection présidentielle. C’est tellement extraordinaire. Là aussi, on a oublié un peu comment se sont passées les choses depuis un an.

D’abord, il y a eu le scandale des saisies immobilières totalement illégales, avec des banques qui ont scrupuleusement ignoré la législation, et qui ont été mises à l’amende (négociée) par les autorités de contrôle. Bref, pendant un an, les banques américaines ont dû faire profil bas. Pas trop de vagues et faire oublier leurs bêtises. Conséquence : pendant plus d’un an, les saisies immobilières ont été plus ou moins volontairement gelées. Pour celles qui ont quand même eu lieu, les stocks de maisons saisies augmentent significativement dans les comptes des banques…



Ce phénomène de rétention devient tellement préoccupant que la FED a dû lancer justement le désormais célèbre QE3, où elle va racheter pour 40 milliards de dollars par mois aux banques les créances douteuses immobilières. L’objectif de la FED est d’éviter à tout prix que le système financier ne vacille à nouveau sous le poids de ce stock de maisons dont la valeur est artificiellement maintenue… en ne les mettant pas sur le marché.

Si les banques devaient vendre les biens saisis pour des besoins de liquidité, l’afflux massif de maisons à vendre ferait s’effondrer à nouveau et dramatiquement le prix de l’immobilier aux États-Unis. Vous l’aurez compris, aux USA, le marché immobilier reste fondamentalement en crise, et c’est la FED et les banques qui faussent complètement les données afin de créer une illusion de reprise. Mais il ne faut pas s’y tromper, cela reste une illusion, financée grâce à de la fausse monnaie imprimée sans contrepartie de véritable création de richesse.

Du côté de l’emploi, les choses ne sont guère plus honnêtes. Sans explication, des dizaines de milliers de personnes disparaissent purement et simplement de la population active. Evidemment, ces personnes recherchaient du travail. Désormais, statistiquement, elles n’existent plus. Vous pouvez rajouter à ça que toutes les catégories de chômage ne baissent pas. En réalité, il n’y a qu’une catégorie qui baisse, celle qui est communiquée au grand public par les médias.

Tous les chiffres sont disponibles sur le site du BLS américain. Là aussi, l’idée est de dire, à quelques mois ou semaines de l’élection, que décidément cet Obama est un président génial qui a su relancer la croissance… Il se pourrait fort que les lendemains d’élection aux États-Unis soient difficiles à vivre pour le monde entier. Préparez-vous à un mois de novembre difficile.

Le mois d’octobre, lui, devrait rester sous contrôle… jusqu’au 6 novembre ! En somme, c'est un peu comme la drôle de guerre. On attend.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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