Face au Covid-19, la machine de guerre US

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Par Philippe Girard Modifié le 29 novembre 2022 à 9h23
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7,5 MillionsC'est le nombre de personnes testées positives Covid-19 aux États-Unis, début octobre

En s’appuyant sur la puissance de ses agences et sur des partenariats public-privé, le gouvernement américain a mobilisé des moyens colossaux pour la recherche contre le Covid-19. Les laboratoires liés au Département de la Défense (DoE), en particulier, sont à l’origine d’avancées prometteuses.

Au 5 octobre 2020, quelque 7,5 millions de personnes ont été testées positives au Covid-19 aux Etats-Unis et près de 210 000 sont décédées de cette maladie, selon les données de l’université américaine Johns Hopkins (1). Aujourd’hui, si la situation reste préoccupante, elle semble néanmoins s’être stabilisée, certes à un niveau élevé. Les nouveaux cas oscillent entre 40 000 et 50 000 par jour, et les USA déplorent toujours, début octobre, autour de 800 décès chaque jour. Si l’Europe craint aujourd’hui une deuxième vague (2), les Etats-Unis ne semblent pas encore être complètement sortis de la première.

Alors que le Covid-19 se propageait dans le pays, les institutions américaines ont mobilisé des moyens massifs pour lutter contre l’épidémie. Toute la puissance de feu des ministères et des agences américaines a été mise à contribution. Le gouvernement US a notamment dépensé au moins 10,9 milliards de dollars dans le développement de vaccins, en commandant plus de 800 millions de doses à plusieurs laboratoires (3). La stratégie américaine pour trouver un vaccin contre le SARS-CoV-2 s’appuie sur des partenariats public-privé et les grands laboratoires sont soutenus par une politique volontariste de la Maison-Blanche baptisée « Warp speed » (« A la vitesse de l’éclair »), visant à « fournir un vaccin à tous les Américains d’ici la fin de l’année » en accélérant tous les processus, de la conception aux tests.

En effet, selon la mission pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, le pays dispose de « l’un des écosystèmes scientifiques les plus performants de la planète » (4). Sylvette Tourmente, directrice du bureau Amérique du Nord du CNRS (5), explique notamment le rôle clé de certaines entités fédérales : « La FDA (Food and Drug Administration) garantit la sécurité des approvisionnements et doit approuver les éventuels traitements et vaccins. La NSF (National Science Foundation) met en place des programmes de modélisation de la propagation du Covid-19. Le DoE (Department of Energy) met à disposition des supercalculateurs et l’EPA (Environmental Protection Agency) finance la recherche sur la contamination environnementale ».

Le rôle majeur du ministère de l’Energie

Le département de l’Énergie (Department of Energy, ou DoE) joue en particulier un rôle majeur dans le dispositif US de lutte contre le Covid-19. Dans le cadre de son programme pluridisciplinaire de recherche biologique et environnementale, le DoE a développé un outil puissant qui permet de répondre spécifiquement au Covid-19 : le Laboratoire virtuel national de biotechnologie (NVBL), un consortium des 17 laboratoires nationaux du DoE, chacun disposant de compétences fortes en rapport avec les menaces posées par le Covid-19 (6). Le NVBL a notamment développé une expertise de premier plan dans la découverte de la structure des protéines – étape indispensable pour les cibler – et dans la super-informatique pour simuler des milliards d’interactions potentielles entre des médicaments et des cibles.

Grâce aux équipements de pointe de ses laboratoires (sources de rayons X et de neutrons, cryo-microscopes électroniques, etc.), le DoE a contribué à élucider de nombreuses structures des 30 protéines du SARS-CoV-2. Des structures qui permettent de prédire quels types de médicaments peuvent être efficaces et comment ils peuvent être modifiés pour augmenter leur activité. La résolution de la structure des anticorps liés à la protéine virale Spike permet également de mieux comprendre comment ils neutralisent l'infection (7).

Les ressources informatiques à haute performance des laboratoires du DoE, qui font notamment appel à l'intelligence artificielle et à différents outils très sophistiqués de simulation moléculaire et de modélisation, fournissent également des informations pour étudier rapidement des médicaments existants en vue de développer des antiviraux et des vaccins. Les superordinateurs de plusieurs laboratoires nationaux du DoE ont ainsi permis de créer une bibliothèque virtuelle des quelque 5 milliards de produits chimiques connus et les cribler ensuite par des simulations informatiques de liaison moléculaire aux structures des protéines du coronavirus. Un processus qui a permis de sélectionner expérimentalement environ 1 000 médicaments potentiels (8).

La NVBL travaille également sur le séquençage génomique des variantes du virus à partir d’un grand nombre d'échantillons de patients, sur les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement en masques chirurgicaux et en respirateurs, ou encore sur le transport et les mécanismes de transmission du virus.

Des résultats prometteurs

Les scientifiques du DoE ont déjà obtenu certains résultats prometteurs. Après avoir décrit la structure de la protéine Nsp15 du coronavirus, l’Argonne National Lab a ainsi prédit que le médicament Tipiracil, approuvé par la FDA, inhiberait l’activité de cette protéine, ce qui s’est vérifié (9). Cette molécule ayant montré une activité antivirale limitée dans les essais, des modifications sont à l’étude pour améliorer son efficacité.

Plus intéressant encore, après avoir testé quelque 1 900 composés déjà approuvés pour un autre usage ou à un stade avancé de développement clinique, des chercheurs de l’université de Chicago ont montré que le masitinib, un médicament initialement développé comme inhibiteur de la tyrosine-kinase pour le traitement du cancer, bloquait la réplication du virus SARS-CoV-2 (10). Avec la cristallographie aux rayons X, l’Argonne National Lab a pu identifier son mode d’action : le masitinib se lie au site actif d’une enzyme cruciale pour la reproduction du virus appelée protéase 3CLpro, bloquant ainsi son activité. Pour les chercheurs US, le masitinib constitue donc « un candidat solide pour les essais cliniques visant à traiter l’infection par le SARS-CoV-2 ». « La double action antivirale et anti-inflammatoire du masitinib constitue une approche très intéressante pour lutter contre les infections sévères au Covid-19 », a ainsi déclaré le professeur Savas Tay, de l’université de Chicago, l’un des auteurs de l’étude (11).

Une autre protéase du coronavirus, appelée PLpro, retient également l’attention des chercheurs. Le laboratoire d’Argonne a résolu la structure de cette protéine, tandis que l’université de Chicago a conçu des inhibiteurs de cette enzyme et des tests biochimiques pour évaluer les candidats médicaments (12). D’autres composés antiviraux potentiels ont aussi été identifiés par le projet de simulation moléculaire du NVBL (13). Autant d’exemples, parmi d’autres, qui illustrent l’apport considérable du ministère de l’énergie US et la puissance de frappe américaine dans la recherche de solutions thérapeutiques contre le Covid-19.

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Touche-à-tout passé par la fonction publique territoriale, les ETI et les organisations internationales, Philippe Girard est consultant indépendant en organisation. Il assouvit son penchant pour l'éclectisme en commençant à écrire sur des sujets très variés, au fil des thèmes qu'il aborde professionnellement.

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