Greenpeace et la technique du name and shame

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Par Gil Rivière-Wekstein Publié le 16 août 2017 à 5h18
Panique Dans Nos Assiettes 23777586
5,5 millions d'eurosGreenpeace consacre un tiers de son budget soit 5,5 millions d'euros à récolter de l'argent.

Panique dans l'assiette, ils se nourrissent de nos peurs de Gil Rivière-Wekstein publié aux éditions le Publieur en 2017, révèle à ses lecteurs les pratiques fallacieuses qui gangrènent l'industrie agroalimentaire. En voici un extrait :

« En 1998, Greenpeace publie sur Internet une liste noire des produits susceptibles de contenir des OGM”. Il met en cause des groupes comme Nestlé ou United Biscuits après s’être contenté de relever l’utilisation de soja et de maïs, sans réaliser le moindre test pour vérifier la présence d’OGM dans les aliments incriminés ! L’objectif n’en fut pas moins atteint : la plupart des industriels épinglés ont préféré modifier leurs recettes afin d’en exclure tout ingrédient soupçonnable d’être génétiquement modifié. » En faisant plier ces géants de l’industrie agro-alimentaire, Thilo Bode a su redonner la visibilité nécessaire à la multinationale verte et, par la même occasion, la sortir de ses difficultés financières...

Greenpeace cherche à imposer un cahier des charges écolo aux grandes surfaces

Sauf que depuis l’arrêt des cultures OGM dans les principaux pays de l’Union européenne, il est désormais difficile de mobiliser l’opinion publique sur ce non-sujet. En outre, les questions agricoles n’ont jamais vraiment été au cœur des actions de Greenpeace. Toutefois, depuis mai 2015, l’association écologiste radicale a entrepris une série d’initiatives inédites visant à mettre en cause le modèle agricole européen en général, et l’agriculture française en particulier. Et qui dit Greenpeace, dit nécessairement actions spectaculaires.

Ainsi, le 13 mai 2015, une quinzaine de militants professionnels a déployé devant les locaux d’InVivo, une grande structure agricole au chiffre d’affaires de 6,4 milliards d’euros, une banderole accusant ses dirigeants « d’empoisonner les agriculteurs au lieu de les servir ». Le slogan a largement été diffusé sur les réseaux sociaux. L’opération coup de poing s’inscrit dans un plan de communication plus vaste, avec notamment sa campagne européenne « I know who grew it », lancée simultanément. Traduite en français par « Je sais ce que je mange », celle-ci propose aux sympathisants de la multinationale verte de « défier l’agro-business » et de s’engager « pour une agriculture et une alimentation plus saines ». À cette action, s’ajoutent deux autres : le lancement du financement « participatif » dédié à l’« agriculture paysanne » – autrement dit une levée de fonds –, et la « Course Zéro Pesticide », qui consiste à exercer une pression sur les six principales enseignes de la distribution française (Auchan, Carrefour, Casino, E.Leclerc, Intermarché, Système U) afin qu’elles imposent au travers de leur cahier des charges des engagements inaccessibles pour les producteurs de pommes et de pommes de terre.

Greenpeace contribue à la fabrique de la peur

Greenpeace complète l’arsenal de cette campagne avec un site Internet sur lequel figurent deux personnages animés – Reinette la pomme et Nicolas la pomme de terre – représentant « deux des filières empoisonnées par les pesticides ». Point d’orgue de la mobilisation, la multinationale rend public le mois suivant un simulacre de rapport intitulé Pommes empoisonnées : mettre fin à la contamination des vergers par les pesticides grâce à l’agriculture écologique.

Sans surprise, la fabrique de la peur fonctionne et les conclusions alarmistes sont largement reprises dans les principaux médias. « L’alerte de Greenpeace sur les teneurs en pesticides dans les vergers », titre ainsi Le Figaro. « Greenpeace s’attaque aux pommes pleines de pesticides », reprend France Info. « Greenpeace : Les pommes des supermarchés bourrées de pesticides », annonce OuestFrance, tandis que Le Parisien avertit que « les pommes de la grande distribution [sont] produites à grand renfort de pesticides ». Après avoir installé un climat général anxiogène, Greenpeace se focalise ensuite sur une seule enseigne, suivant la technique de communication baptisée name and shame (littéralement « nommer et couvrir de honte ») et développée dans le monde anglo-saxon. Cette méthode consiste à pointer du doigt une entreprise spécifique au motif d’un mauvais comportement. Face à la virulence de telles attaques, même sans fondements légitimes, aucune cible ne peut s’en sortir indemne. C’est ce qu’a vécu l’enseigne E.Leclerc quand elle a été dans le collimateur de l’ONG, avec la campagne antipesticides intitulée « Leclerc obscur ». Greenpeace multiplie les actions : blocage de la centrale d’achats Socamil, mobilisation de leurs militants à Landerneau d’où est originaire Michel-Édouard Leclerc, ainsi qu’une pétition lui demandant « de prendre ses responsabilités ». En juillet 2016, la multinationale verte accentue la pression en rendant publiques des analyses de jus achetés dans un hypermarché E.Leclerc et réalisées par ses soins. Tous les jus, sans exception, contenaient des résidus de pesticides. L’annonce est une fois de plus fortement médiatisée, avec une fausse pub de Greenpeace clamant : « Découvrez le jus multi-pesticides », « Faites aimer les pesticides à vos enfants ». C’en est trop, Michel-Édouard Leclerc capitule et annonce une collaboration avec Greenpeace.

100 % des dons de Greenpeace proviennent de particuliers

Débutée en mai 2015, cette opération s’inscrit dans la logique de sa « machine à sous », comme en témoigne le traditionnel appel aux dons lancé suite à cette multiplication d’actions. « La campagne Agriculture écologique de Greenpeace bat son plein. Face aux dérives manifestes de l’agriculture intensive, Greenpeace met tout en œuvre pour qu’émerge un autre modèle agricole, garantissant une alimentation saine aujourd’hui et demain. De nombreuses activités et publications voient le jour grâce à nos adhérents fidèles ! 100 % de nos dons proviennent des particuliers, comme vous », claironne Greenpeace pour motiver l’appel aux dons.
Depuis le lancement de sa « Course Zéro Pesticide » en 2015, Greenpeace adresse chaque année un petit bilan de ses actions à ses sympathisants. Les quelques « avancées » notifiées en février 2017 – dont la belle progression d’E.Leclerc qui occupe désormais la troisième place – sont accompagnées d’un message personnalisé pour obtenir un don : « Afin de continuer notre travail auprès des enseignes et qu’elles poursuivent leurs avancées vers l’élimination des pesticides de leur système de production, nous avons besoin de vous et de votre soutien financier. »

90 % du street marketing est géré par des anciens de Greenpeace

Ce système de collecte de fonds fonctionne depuis 1995 au sein de l’ONG écologiste. À cette époque, Greenpeace Autriche a demandé à une agence spécialisée nommée Dialog Direct d’initier un programme consistant à envoyer ses fameux « recruteurs » dans la rue. Le succès financier est au rendez-vous et Greenpeace International incite la majorité de ses bureaux nationaux à adopter ce programme. C’est ce que fait sa filière française deux ans plus tard. « Notre principale technique de recrutement d’adhérents reste le dialogue direct. Des équipes, dans la rue, proposent aux passants d’adhérer. Cette option est plus efficace que celle qui consiste à attendre passivement devant un stand  », confirme Pascal Husting, ancien directeur de Greenpeace France et actuel n°2 de Greenpeace International. « Après une courte formation dans un hôtel, ces équipes battent le pavé pendant quarante heures par semaine pour 8,4 euros l’heure. Les contrats sont de deux semaines, renouvelables si le “rendement“ est bon », note Pierre Kohler dans son livre, publié en 2008. « Nous avons été les développeurs de ce mode opératoire au milieu des années 1990. Aujourd’hui, en France, 90 % du marché du street marketing est géré par des anciens de Greenpeace. Notre choix ? Intégrer cette activité en interne, ce qui génère des taux de recrutement largement supérieurs », confirme Husting. En France, cette « professionnalisation » du militantisme ne s’est toutefois pas faite sans heurts. « Nous sommes sortis de la logique voulant qu’un salarié de Greenpeace soit recruté de manière prioritaire parmi les militants. Ce qui a bien sûr engendré des tensions énormes en interne. Sur les 45 salariés présents au moment de mon arrivée, 25 ont quitté Greenpeace », explique Pascal Husting.
Sauf qu’une telle réorganisation de collecte de fonds confiée à des professionnels reste très onéreuse. En effet, presqu’un tiers du budget de Greenpeace France est consacré à récupérer de l’argent – 5,5 millions d’euros sur 18 millions. C’est le lourd constat que révèle un rapport publié par la Cour des Comptes en octobre 2012. Elle déplore d’une part que « plus de 30 % des ressources y sont consacrées », et d’autre part que « la part de l’emploi des ressources au profit des campagnes menées en France par Greenpeace France est minoritaire dans le total de l’emploi des ressources ».
La pestophobie étant devenue un grand sport national français, il est tout naturel de retrouver Greenpeace sur ce créneau porteur, car se tromper de thème de campagne peut coûter très cher. « La logique de Greenpeace est de décliner ses campagnes qui font sens et créent de la valeur ajoutée sur l’international, voire le régional », poursuit Pascal Husting. Tout y est parfaitement résumé !

Lien d'achat du livre : https://www.paniquedanslassiette.com/

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Spécialiste des questions agricoles et environnementales, Gil Rivière-Wekstein lance en 2003 Agriculture & Environnement (A&E), une revue mensuelle résolument polémique et engagée pour défendre une agriculture innovante et de progrès. Il est régulièrement sollicité par les médias pour son analyse sur les enjeux agricoles et alimentaires. Son expertise sur les tendances agricoles, notamment le bio et l'agroalimentaire, est particulièrement appréciée. 

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