Le revenu universel ou l’esprit de défaite

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Par Olivier Myard Publié le 14 février 2017 à 5h00
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500 milliards $Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, établit le coût du revenu universel à 500 milliards d'euros annuels.

Avec la campagne pour les élections présidentielles, le concours Lépine de l’achat de voix légal est lancé. C’est à qui offrira le plus d’argent, et cette fois-ci, Ô miracle, à tout le monde, même aux très riches, avec le revenu universel. Un débat s’ouvre, avec deux grands arguments.

D’une part cumuler en un seul outil l’ensemble des transferts sociaux gérés par douze organismes différents, avec des économies de gestion à la clé, moins de possibilités de fraude et moins d’effets pervers. Par exemple, les allocations logement, en l’absence de constructions nouvelles suffisantes en face de cette nouvelle demande solvable, entretiennent l’inflation des prix de l’immobilier, enrichissant ceux qui sont déjà propriétaires.

D’autre part, le constat de certains qu’ubérisation et robotisation de nos sociétés occidentales se traduiront par la multiplication de petits boulots mal payés et sans protection sociale, et surtout par l’avènement d’une nouvelle société, où il n’y aurait pas du travail pour tous. Le premier argument est assez convaincant (une seule agence pour gérer une aide unique, engendrant de considérables économies sur les frais de gestion des dispositifs sociaux et un meilleur contrôle des bénéficiaires). Le second nous ramène au temps où les démocraties choisissaient le déshonneur pour éviter la guerre (et finissaient avec les deux), en se déclarant battues avant même d’avoir combattu.

Aujourd’hui, plutôt que d’imaginer toutes les opportunités que la créativité humaine peut saisir, on préfère raisonner par fatalité. Un peu comme si nous en étions restés à la voiture à cheval et à la bougie au motif que le progrès technique allait détruire des emplois de cochers, de palefreniers et de fabricants de chandelles. Comme le dit l’économiste Gilbert Cette, « il ne faut pas avoir peur de l’ubérisation de l’économie ! ».

Le revenu universel pour tous existe déjà

Tous, pour peu que nous ayons des enfants, sommes concernés à un moment ou à un autre par au moins deux prestations, à savoir l’enseignement et la santé. Elles bénéficient à tous, que nous ayons des revenus ou pas du tout, que nous soyons Français ou étranger sur le sol national, en situation régulière ou pas. Une famille avec deux enfants reçoit ainsi de la collectivité une prestation « invisible » (mais au coût bien réel) de 2 850 euros par mois à ces titres. Chaque enfant coûte en effet 12 000 euros par an pour sa scolarité, et chaque membre du foyer bénéficie d’une assurance santé annuelle d’une valeur de 2 550 euros.

A cela s’ajoutent moult versements en partie sans conditions de ressources comme les allocations familiales (cinq millions de familles se partagent 60 milliards d’euros par an), l’effort de la nation pour le logement (18 milliards d’euros pour 6,1 millions de foyers) ou totalement sous conditions, comme par exemple le RSA (10,2 milliards pour 1,9 million de foyers).

Qu’ont en tête les promoteurs du revenu universel ? Le remplacement de toutes ces prestations par une allocation unique, mais différenciée selon la composition du foyer ? Cela veut-il dire qu’on ne soignera pas ceux qui préféreront dépenser leur allocation tout de suite plutôt que de payer une assurance santé (auprès de l’opérateur privé ou public de leur choix) ? Va-t-on généraliser le chèque scolaire pour être sûr qu’une part du revenu des enfants sera bien affecté à l’enseignement (avec liberté de choix de l’école, publique ou privée) ?

Un « esprit de défaite » face au chômage

La plupart des défenseurs du revenu universel imaginent ne pas changer grand-chose à l’édifice actuel de la protection sociale, mais plus simplement étendre le RSA à l’ensemble de la société, que vous soyez inséré ou non, que vous ayez des revenus du travail et/ou du patrimoine confortables ou non, etc.

Face au chômage, est-ce une nouvelle manifestation de « l’esprit de défaite » des élites, frileuses et vieillies avant l’âge, comme cela fut illustré dans les années 40 dans une ville d’eau bien connue ? « Face au chômage, on a tout essayé », disait un ancien président. Tout, certes, sauf ce qui marche ailleurs. Ce serait amusant si ce n’était pas si tragique de voir une partie de la classe politique se courber ainsi une fois de plus, alors que cette fois-ci, sa vie n’est même pas en danger…

Certaines statistiques délivrent des informations particulièrement intéressantes. D’après Eurostat (direction générale de la Commission européenne « chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire »), l’Allemagne, où le taux de chômage est deux fois moins élevé qu’en France (4,2% contre 9,9%), dispose de 180 000 robots, soit six fois plus que dans notre pays (30 000).

Plutôt que d’encourager au progrès, à la créativité, l’innovation, la mobilité, à la remise en cause de nos schémas de pensée, les promoteurs du revenu universel préfèrent adopter un profil de battu d’avance, sans espoir : « vous ne trouverez jamais de travail, alors, nous, dirigeants politiques, toujours généreux avec l’argent des autres – ça ne coûte rien puisque c’est l’Etat qui paye -, vous accorderons une allocation universelle, si vous votez pour nous ».

Cela exonérerait de tout effort de changement, de simplification des normes, d’allégement des contraintes législatives, fiscales et règlementaires pesant sur les entrepreneurs, de lutte contre les rentes (patronales, syndicales, foncières, …), de réforme du système éducatif et de formation, afin de promouvoir davantage l’égalité des chances et d’éviter de concentrer l’essentiel des accès aux grandes écoles aux enfants des catégories sociales favorisées et ceux des enseignants, etc. Toutes ces mesures permettraient à chacun d’optimiser son potentiel et créeraient les conditions d’un meilleur développement économique, nécessaire pour financer le devoir de solidarité au bénéfice de plus faibles de nos sociétés.

L’argent gratuit pour tous

On franchit d’ailleurs une étape supplémentaire dans le délire lorsqu’on évoque le financement de ces prestations par les banques centrales, avec le « quantitative easing (QE) du peuple », selon la proposition de Anatole Kaletsky, journaliste et économiste né à Moscou, vivant au Royaume-Uni… Les nostalgiques des billets du Monopoly de leur enfance ont encore frappé. L’helicopter money est prêt à décoller.

D’aucun argumenteront que ce n’est pas une utopie, puisque certains pays ou territoires l’ont déjà adopté, comme l’Alaska ou les Seychelles. Mais il s’agit le plus souvent de redistribuer aux citoyens une rente, pétrolière dans le premier cas, touristique dans le second. De plus, cela s’accompagne d’un contrôle très strict aux frontières, afin d’éviter un effet d’aubaine, au demeurant naturel et compréhensible. Ailleurs (Finlande, Canada), on parle d’expérimentations, avec « groupes test », comme si les citoyens étaient des cobayes. Les revenus en question n’ont donc rien d’universel.

Bien entendu, nos sociétés s’honorent de mettre en place de véritables politiques de solidarité. Mais sauf cas extrêmes (personnes totalement inaptes au travail, pour des raisons physiques et/ou psychologiques, qu’il est de notre devoir d’aider quoiqu’il arrive, tout au long de leur vie), ces aides ne peuvent qu’être temporaires, incitatives à la reprise d’une activité dès que possible.

Un système coûteux dans le pays le plus dépensier en matière sociale le condamne d’avance

Henri Sterdyniak, X-ENSAE, ancien Administrateur de l’Insee, et aujourd’hui économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), signataire du manifeste d’économistes atterrés (2010), classé à gauche, considère qu’aller au-delà de ce que l’on fait déjà, avec la généralisation du RSA à tout individu, c’est impossible. En instituant par exemple un revenu de 785 euros par adulte de 18 à 65 ans, 315 euros par enfant, et de 1 100 euros pour les plus de 65 ans et les handicapés, on arrive à un coût de 500 milliards d’euros annuels, soit 25% du PIB.

Certes, il faudrait enlever à cette somme ce qui part déjà aux allocataires du RSA, aux familles (allocations familiales, aides au logement, primes de Noël), aux handicapés, parents isolés, chômeurs ayant épuisé leurs droits à indemnisation, personnes âgées percevant le minimum vieillesse, veuves, etc. Il y a aussi les allocations de rentrée scolaire, les cartes de transport, les exonérations de taxe d’habitation, les tarifs sociaux pour les fournitures d’énergie et d’eau, etc.

Mais tous ces dispositifs disparaitraient-ils avec la généralisation du revenu de base ? Laisserait-on celui qui a oublié de s’assurer contre la maladie agoniser aux portes de l’hôpital ? Quoiqu’il en soit, le coût net est très élevé, impossible à financer, sauf à doubler voire tripler l’impôt sur le revenu et sans doute aussi oublier les critères de Maastricht en matière de déficit budgétaire (et à condition que les prêteurs, des non-résidents pour les deux tiers, suivent). Cela devrait suffire à renvoyer l’idée au musée des utopies.

Mais toujours plus fort, voici le « patrimoine universel »

Il s’agirait d’accorder à chaque jeune arrivant à la majorité (18 ans), un « héritage » public, permettant de financer ses études (autant investir directement dans l’amélioration de notre système éducatif supérieur), créer une entreprise (il y a déjà des dispositifs pour cela), ou bien encore s’acheter un logement. On voit déjà les prix des biens immobiliers faire un nouveau bond, provoquant l’enrichissement immédiat de leurs propriétaires, des « possédants ». Un comble ! Sans parler de ceux qui préfèreront s’acheter une voiture (très probablement fabriquée à l’étranger) ou carrément aller faire du surf à Honolulu…

Comme d’habitude, il s’agit de pousser des « remèdes » pour lutter contre les maux résultant des mauvaises décisions économiques prises depuis 35 ans sans remettre en cause ces décisions elles-mêmes.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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ENA, Sciences Po Paris, Olivier Myard est aujourd’hui fonctionnaire international, en poste en Amérique du nord (États-Unis, Canada) depuis 2005. Auparavant, il avait développé sa carrière dans le secteur privé (banque, assurances), mais aussi au sein du réseau international du ministère des finances (Services économiques en ambassade) et auprès des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes). Il a passé la moitié de sa vie à l'étranger et outre-mer, mais reste attentif à l’évolution de son pays, avec un regard de l’extérieur.

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