Passer au privé pour ne pas réformer le secteur public ?

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Par Jacques Bichot Publié le 7 septembre 2017 à 4h25
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2 MILLIARDS €La privatisation des radars mobiles va permettre à l'Etat de récupérer 2 milliards d'euros.

Pour « flasher » les excès de vitesse, en sus des radars fixes situés le long des routes et autoroutes il existe depuis 2013 des radars mobiles, embarqués sur des véhicules. Ceux-ci opèrent soit en stationnement, soit en mouvement – au prix d’appareillages un peu plus sophistiqués. Actuellement, il en existerait environ 380, opérés chacun par deux gendarmes. L’objectif est de passer à 440 fin 2018, et à 500 à plus long terme.

La décision a été prise durant les derniers mois du précédent quinquennat d’expérimenter le passage de cette activité de police au secteur privé : un conducteur salarié d’une société remplirait le rôle jusqu’alors assumé par deux fonctionnaires. Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, a récemment confirmé cette expérimentation, qui devrait débuter en Normandie. Le matériel sera toujours propriété de l’État, et les PV seront toujours dressés par le centre automatisé de constatation des infractions routières.

Le ministre actuel, face aux critiques provenant notamment de l’association 40 millions d’automobilistes, a déclaré voir dans cette opération le moyen de disposer d’un plus grand nombre de gendarmes et policiers pour s’occuper de protéger les honnêtes citoyens, sans pour autant avoir à augmenter les effectifs de fonctionnaires. Cette façon de voir les choses et de traiter les problèmes est un exemple intéressant de ce qui empêche la France de moderniser la gestion de ses services publics.

En effet, pour développer l’ilotage et la police de proximité, un moyen très simple (dans son principe !) consisterait à faire progresser le rapport qualité/prix des services rendus par les fonctionnaires de police et de gendarmerie. Très concrètement, le ministre attend du passage au privé un quintuplement du temps de « roulage » de chaque radar mobile. Celui-ci serait actuellement de une heure et quart ; il « devrait passer à six heures, voire à huit heures quand tout sera automatisé », selon les informations communiquées au journal Les Échos par la Sécurité routière. Il semblerait donc que nos valeureux gendarmes devraient nécessairement se mettre à deux pour effectuer le travail qu’un civil peut accomplir seul, et que le passage au privé serait nécessaire et suffisant pour multiplier par cinq la durée quotidienne d’utilisation du matériel !

Si telle est la réalité, le constat est accablant et appelle, non pas le transfert du travail à des entreprises privées, mais une réforme profonde des services publics : ceux dont l’inefficacité est constatée par la sécurité routière, mais aussi tous ceux dont les déficiences apparaîtraient au grand jour si les responsables de la République voulaient bien se donner la peine de s’occuper du fonctionnement des services. Nous ne pouvons pas tolérer que la productivité d’un gendarme soit largement inférieure à celle d’un salarié lambda ! Nous ne pouvons pas accepter la résignation de ministres face aux causes de cette infériorité ! Les gouvernements sont faits pour piloter l’administration, pour la rendre plus efficace, pas pour appeler le secteur privé à la rescousse faute d’oser changer un iota aux règlements qui paralysent leurs troupes, et faute de vouloir entraîner la hiérarchie sur la voie d’un management efficace des membres de la fonction publique que les fonctionnaires d’autorité sont censés diriger.

Le poisson pourrit par la tête. Si la gendarmerie, constituée d’hommes et de femmes dont les qualités ne sont certainement pas inférieures à la moyenne, est incapable d’être seulement moitié aussi productive qu’une entreprise pour l’utilisation des radars mobiles, c’est qu’il y a d’importants changements à effectuer à la fois dans les textes qui encadrent son activité, et dans la gestion des unités. C’est à cette réforme-là qu’il faut s’atteler.

Plus généralement, il existe certes des cas où passer la main au secteur privé est la bonne solution, mais dans des cas probablement beaucoup plus nombreux il ne s’agit que d’une solution de facilité pour des ministres et des hauts fonctionnaires qui proclament leur volonté réformatrice mais se gardent bien de réformer ce dont ils sont directement responsables – la gestion des services et les textes qui l’encadrent.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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