Retraites et pyramides de Ponzi

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Par Jacques Bichot Publié le 17 août 2017 à 5h00
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14 millionsFin décembre dernier, on comptait plus de 14 millions de retraités en France.

Les Echos du 14 août annoncent les pertes engendrées aux États-Unis par les pyramides de Ponzi : 800 millions de dollars en 2015 du fait de 61 pyramides démantelées, puis 2,3 milliards pour 59 pyramides en 2016.

Le trophée de l’année, remporté par Platinum Partners, est 1 milliard de pertes pour les gogos qui se sont fait piéger. Certes, le record établi par Bernard Madoff est loin d’être égalé, mais il est quand même intéressant d’apprendre que le créateur de ce hedge fund a su – tout en s’abstenant de leur fournir des comptes sérieux – persuader 600 gros investisseurs qu’il pouvait leur procurer avec régularité des revenus d’environ 17 % par an. La crédulité a peu de limites.

Un tel phénomène est cependant moins curieux que l’aveuglement mondial relatif aux retraites par répartition. Des voix s’élèvent régulièrement, et depuis assez longtemps, notamment aux États-Unis, pour faire découvrir le pot aux roses. Citons par exemple un article de Michael Kinsley en 1996 qui exprimait la vérité de façon lapidaire : « Social security is a Ponzi scheme. Current payers-in are financing current payers-out, not their own retirements. » Les cotisations vieillesse procurent légalement des droits à pension, mais ne servent à rien, réellement, pour ce qui est de donner aux caisses de retraite par répartition la capacité d’honorer les engagements qu’elles contractent ainsi.

Le principe des retraites par répartition

Le principe même des retraites par répartition est en effet d’utiliser les cotisations de l’année pour payer les pensions de l’année, comme Madoff utilisait les sommes nouvellement déposées pour verser de copieux intérêts ou dividendes, et comme ses émules le font encore, quitte à se retrouver en prison quand leur escroquerie est découverte et portée devant un tribunal. Et pourtant, les législateurs de dizaines de pays réputés développés s’obstinent à inscrire dans la loi que l’État, ou des organismes publics, ou même des organismes privés dûment habilités (en France, les caisses de retraite complémentaire par répartition), sont autorisés à faire ce qui envoie en prison les imitateurs de Charles Ponzi.

Ce qui est en cause n’est pas le prélèvement de cotisations vieillesse : il est normal que les actifs prennent à leur charge les personnes devenues âgées qui les ont éduqués, entretenus et soignés durant leur enfance et leur jeunesse ; le législateur est bien dans son rôle quand il rend obligatoires de telles cotisations. En revanche, il sombre dans l’erreur et dans l’abus de droit en décidant que s’acquitter de cette dette crée un droit à pension. Verser un euro ne peut pas à la fois éteindre une dette d’un euro et créer un avoir d’un euro. Rembourser un crédit n’est pas abonder une assurance-vie !

Depuis 37 ans (notre premier article sur le sujet a été publié par la revue Population en 1980) nous essayons de faire prendre conscience de ce phénomène inquiétant, à la suite d’Alfred Sauvy qui, notamment dans un article publié en 1978 par la revue Droit social, essaya – déjà en vain – d’expliquer ce qui est pourtant une évidence : à savoir que nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants.

Investir dans les générations futures

Sauvy ayant diagnostiqué le mal, nous avons proposé le remède. Celui-ci ne consiste pas à tout miser sur la capitalisation classique, qui en France mériterait certes d’être développée, mais ne saurait suffire. Il consiste à tirer les conséquences du constat fait par Sauvy, dont la principale s’énonce ainsi : puisqu’en répartition les pensions à venir se préparent de facto en investissant dans les futurs cotisants, c’est-à-dire dans les enfants et les jeunes, c’est cet investissement qui devrait logiquement ouvrir de jure des droits à pension.

L’investissement dans les futurs travailleurs se réalise de différentes manières : principalement la mise au monde des enfants, leur entretien et leur éducation par leurs propres parents, leur formation scolaire, universitaire et professionnelle, et la prise en charge de leurs ennuis de santé. Ce sont ces apports en nature, et les apports en argent qui financent certains d’entre eux, qui devraient servir de base à la distribution des droits à pension, puisque ce sont eux qui font qu’il y aura, dans quelques décennies, des personnes aptes à produire, et par le fait même à entretenir les retraités.

Comment passer de cette analyse économique à la réforme organisationnelle et juridique qu’elle appelle logiquement ? Une façon de faire est exposée dans le dernier en date de nos ouvrages, La retraite en liberté, publié en janvier au Cherche midi. Elle inclut le passage à un système unique de retraites par répartition, où les droits se mesurent en points, comme dans le projet esquissé par Emmanuel Macron lors de sa campagne électorale. Mais la proposition présidentielle, à l’instar du système suédois qui l’a inspirée, maintient hélas un fonctionnement de type Ponzi : les droits à pension y sont toujours obtenus en payant les cotisations vieillesse immédiatement reversées aux retraités, et non en investissant dans la jeunesse. Il ne serait pas beaucoup plus difficile de faire une réforme complète, qui ferait de la France le premier pays à rendre économiquement logique sa législation des retraites par répartition.

Reprenons les catégories « faux droits » et « vrais droits » élaborées par Jacques Rueff dans son ouvrage L’ordre social (paru en 1945) : ce sont elles qui sont à l’origine de l’assainissement des finances publiques réalisé au début de la cinquième République. Un faux droit, rappelons-le, est une créance qui constitue une coquille juridique vide, ou à moitié vide, de contenu économique réel. Le système actuel de retraites par répartition est un système de faux droits, puisque les cotisations vieillesse ouvrent juridiquement le droit à percevoir des pensions dans plusieurs décennies mais ne servent en rien à préparer les dites pensions. Le droit des retraites par répartition n’est pas convenablement articulé à la réalité ; il est en quelque sorte, la poésie en moins et la démagogie en plus, « le songe d’une nuit d’été », drame de la dissociation entre le mariage légal et l’amour réel. Réveillons-nous avant que ce rêve ne tourne franchement au cauchemar !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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